Interview

Aïssa Maïga : "Au début de ma carrière d'actrice, on me disait que le racisme n’existait pas"

Publié le 24 avril 2023 à 13h04, mis à jour le 24 avril 2023 à 13h24

Source : Sujet TF1 Info

La comédienne Aïssa Maïga est la vedette de "Quand tu seras grand", le nouveau film d'Andréa Bescond et Éric Metayer en salles mercredi prochain.
Elle y incarne une assistante scolaire dont la classe d'enfants partage le quotidien des résidents d’un EHPAD.
Un rôle fort, réaliste et émouvant, au diapason de ses engagements personnels, explique-t-elle à TF1info.

Actrice douée et femme engagée, Aïssa Maïga a été révélée au début des années 2000 grâce à ses rôles dans Les Poupées Russes de Cédric Klapisch et L’un reste, l’autre part de Claude Berri. Au fil des années, elle est devenue l’une des porte-voix du combat pour la diversité dans le cinéma français par l’intermédiaire du livre Noire n'est pas mon métier, mais aussi son discours marquant sur la scène des César en 2020.

Alors qu’elle vient d’achever le tournage d’une grande série américaine, on la retrouve ce mercredi dans Quand tu seras grand, le nouveau film d'Andréa Bescond et Éric Metayer, le duo primé aux César pour Les Chatouilles. Elle y incarne Aude, une assistante scolaire dont les jeunes élèves doivent partager leurs repas avec les résidents d’un Ehpad, le temps de travaux dans leur cantine. Une comédie à la fois drôle, émouvante et engagée qu’elle défend auprès de TF1info.

Qui est Aude, l’assistante scolaire que vous interprétez à l’écran ? 

C’est quelqu’un qui fait son métier par amour. Elle n’est pas là par dépit, parce qu’elle a raté une autre vocation. Mais parce qu’elle a à cœur d’accompagner les jeunes. En tant que maman, je connais des femmes comme elle dans mon entourage et je m’en suis inspirée. Surtout une qui va peut-être se reconnaître. C’est une femme qui a développé, au-delà des attentes qu’on a d’elle, une vision pédagogique très pointue, avec une culture de son métier très exigeante. Dans le film, Aude est dans une situation particulière puisqu'elle n’a rien à faire dans un Ehpad. Il se trouve que le réfectoire de l’école où elle travaille est en travaux. Et la municipalité a trouvé cette solution provisoire où les enfants dont elle s’occupe sont amenés à partager leur repas avec les résidents. Et ça la fait sortir de sa zone de confort.

Chez nous, appeler quelqu’un "le vieux" ou "la vieille", c’est un signe d’affection
Aïssa Maïga

Que saviez-vous de l’univers des Ehpad avant d’accepter le film ? 

Pas grand-chose. Étant issue d’une culture ouest-africaine, la notion d’Ehpad et de maison de retraite m’est plutôt étrangère. Personne de mon entourage n’a été placé dans ce genre d’établissement et je pense que ça ne nous viendrait pas à l’esprit, sauf si l’un de nos anciens nous le demandait. J’ai grandi dans une famille où la notion de vieillesse était hyper valorisée. Où les gens sont heureux de prendre de l’âge parce qu’ils gagnent en respectabilité. Où les plus jeunes se plient en quatre pour eux. Chez nous, appeler quelqu’un "le vieux" ou "la vieille", c’est un signe d’affection. Ce qui est tout l’inverse de la culture française où on a tendance à les reléguer dans des espaces déconnectés de l’ensemble de la société. 

Dans le film, les enfants et les personnes âgées se regardent au début en chiens de faïence, alors qu’ils ont beaucoup à partager, n’est-ce pas ?

Toutes les générations sont faites pour vivre les unes avec les autres. Et c’est ce que montre ce film sans aucun pathos, sans rien de mièvre ou de gnangnan. Tout le monde est traité sur un pied d’égalité, comme sur le tournage d’ailleurs. Je ne travaillais pas avec des vieux et des petits. Je travaillais avec des acteurs. En fait, j’ai vécu ce tournage comme une colonie de vacances. J’y allais avec bonheur. J’étais heureuse de travailler en troupe, une vraie, ce qui n’est pas toujours le cas sur les plateaux de cinéma. Et je crois que ça a nourri nos personnages et que ça a contribué à leur donner davantage de réalisme.

Le cinéma est un monde où aujourd’hui on peut discriminer sans jamais être inquiété
Aïssa Maïga

Le réalisme et la représentation de la société française dans toute sa diversité au cinéma, c’est l’un de vos grands combats. Avez-vous le sentiment que ça avance ? 

La réponse est dans la question peut-être ? Je suis très partagée. Je me rends bien compte qu’il y a une prise de conscience grâce au travail militant qui a été fait, pas simplement dans le cinéma mais dans d’autres sphères de la société. Contrairement au début de ma carrière, où on me disait que le racisme n’existait pas, que c’était dans ma tête, il n’y a plus de déni. Les gens sont d’accord pour dire qu’il y a peut-être un problème. Mais je crois que l’esprit humain est fait de telle manière qu’on voudrait se dire, comme pour la question écologique d’ailleurs, que les choses avancent. Sauf que les derniers rapports que j’ai lus sont très peu flatteurs pour le monde du travail en général. Et du cinéma en particulier. C’est un monde où aujourd’hui on peut discriminer sans jamais être inquiété. Le plus frustrant, c’est que chacun dans ce métier pourrait être acteur du changement, qu’on soit producteur, scénariste, réalisateur… Mais moi je refuse l’immobilisme, le déni, l’indifférence.

Vos prises de position vous ont-elles été reprochées par le métier du cinéma ? 

Il faudrait le demander aux personnes qui peuvent se sentir gênées par rapport à mon engagement. Ou qui, lorsqu’ils voient des listes d’acteurs pour un projet, se disent "Ah non, pas elle !" Je les invite à s'interroger sur la raison de leur résistance. Est-ce le fait de nommer le problème ? Ou le problème lui-même ? Après mon discours aux César en 2020, j’ai reçu beaucoup de messages d’amis aux États-Unis qui me demandaient pourquoi la salle n’avait pas réagi positivement.

Que vous disaient-ils ? 

Quelqu’un m’a écrit : "Chez nous, on se serait tous levés pour t’applaudir !" Pour moi, cette résistance est liée à la société française et à l’image qu’elle a d’elle-même. Chez les artistes français, il y a une longue tradition de lutte antiraciste. Mais elle a toujours été menée par des gens qui menaient ces combats dans d’autres domaines, comme la défense des sans-papiers. Ils étaient perçus comme les sauveurs. Mais à partir du moment où des voix s’élèvent pour dire que c’est dans leur propre milieu qu’il y a un problème, et qu’ils ne veulent pas le voir, c’est peut-être qu’ils font partie du problème, non ? Or, c’est quelque chose qui perdure, qui est systémique, et qui empêche plein de talents d’émerger.

On se contente du succès d’Omar Sy à l’international pour dire que tout va bien ? 

On se contente du succès de quelques-uns, oui. Souvent par le biais de la comédie d’ailleurs. Moi j’adore en faire en tant qu’actrice et en regarder en tant que spectatrice. Mais j’ai le sentiment que ceux qui arrivent à se faire une place, c’est par le biais de l’humour. Et ça m’interroge. Qu’est-ce qui détend autant dans l’humour pour qu’on y donne plus de place aux acteurs non blancs que dans les autres genres cinématographiques ? Quelle est la tension que ça révèle ?

>> Quand tu seras grand de Andréa Bescond et Éric Metayer. Avec Aïssa Maïga, Vincent Macaigne. 1h39. En salles le 26 avril


Jérôme VERMELIN

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