VIDÉO - Asia Argento : "Après mon discours à Cannes contre Weinstein, toutes les femmes m’ont tourné le dos"

Jérôme Vermelin, Léa Bons & Flore Galaud
Publié le 2 février 2020 à 12h31, mis à jour le 4 février 2020 à 13h24

Source : Sujet TF1 Info

INTERVIEW - Présidente du jury du 27e Festival de Gérardmer, l’actrice et réalisatrice italienne Asia Argento a accepté de se confier à LCI. Un entretien parfois douloureux au cours duquel elle évoque notamment le procès du producteur Harvey Weinstein. Elle revient également sur la polémique née des 12 nominations de Roman Polanski aux César.

Pour nous parler, elle a retiré les lunettes noires derrière lesquelles elle s’abrite des regards. La voix basse, le regard sombre, parfois fuyant, on sent vite qu’Asia Argento n’est pas tout à fait sortie de la spirale infernale dans laquelle sa vie a basculé lorsqu’elle a dénoncé, en octobre 2017, les violences sexuelles que lui a fait subir le producteur américain Harvey Weinstein dans sa jeunesse. 

Accusée elle-même d’agression sexuelle par la jeune vedette de l’un de ses films, elle a perdu son compagnon, le chef américain Anthony Bourdain, qui s’est donné la mort à l’été 2018. Depuis, elle a pris ses distances avec le monde du cinéma et se reconstruit à travers différents projets, notamment dans le domaine de la musique.

Aujourd’hui âgée de 44 ans, Asia Argento préside cette semaine la 25e édition du Festival du film fantastique de Gérardmer. L’occasion de rendre hommage à un genre cinématographique dont son père Dario est l’un des maîtres. Et de renouer avec un milieu qui ne lui a pas fait de cadeaux.  

LCI : Avez-vous accepté facilement de présider le festival de Gérardmer ? 

Asia Argento : J’ai accepté tout de suite de faire partie de ce jury, d’en être la présidente. C’est un grand honneur. On me dit que je suis la première femme présidente ici. J’espère que ça va donner le bon exemple à d’autres festivals.

Des femmes présidentes, il en manque en général ? 

Je pense qu’il n’y a pas assez de femmes dans les positions de pouvoir. Pas seulement dans le cinéma. Ça, c’est un fait. Ce n’est pas que je le pense, c’est la vérité. Il y a par exemple seulement 20% de femmes réalisatrices. Pourquoi ? Parce qu’on vient de 2000 ans de patriarcat. Ça va peut-être prendre 2000 ans pour changer ça, je sais pas. Mais ça change très lentement.

Aviez-vous envie de renouer avec le monde du cinéma ? Depuis votre discours à Cannes en mai 2018, on vous a peu vue…

Je suis là pour regarder des films. C’est toujours bien d’être avec les gens du cinéma car j’ai fait ce métier toute ma vie. Depuis 36 ans ! Je m’y sens à l’aise. Mais j’avais besoin de passer des moments toute seule, avec ma famille, parce que j’ai beaucoup souffert. Des injustices, de plein de choses. Comme un animal, j’avais besoin d’être toute seule et de lécher mes blessures. 

Après mon discours à Cannes, toutes les femmes m’ont tourné le dos. Personne n’est venu me dire bravo ou même "Qu’est-ce que tu as fait ?". Comme si j’avais la lèpre, comme si j’étais une malade.
Asia Argento

Quel souvenir gardez-vous de votre discours contre Harvey Weinstein en clôture du festival de Cannes en mai 2018 ? 

J’ai fait ce discours à Cannes parce que j’avais un peu de mépris pour  ces femmes, ces actrices, ces réalisatrices qui n’étaient pas militantes dans un moment où nous avions besoin de dire quelque chose de fort. Elles étaient toutes avec leurs belles robes sur le tapis rouge. Quand on m’a demandé de remettre un prix, j’étais seule dans ma chambre d’hôtel et je me suis dit que je devais faire quelque chose. Je devais casser quelque chose. J’en avais marre. J’en avais marre parce que j’avais parlé avec tellement de femmes, pas seulement des actrices. Elles m’appelaient, elles me racontaient leurs histoires. Moi je n’étais pas psychologue… Et je n’étais pas psychologiquement prête ! Je n’étais pas bien. Et c’est pour ça que j’ai décidé de faire ce discours kamikaze. Ce qui est triste, c’est qu’après ce discours, toutes les femmes m’ont tourné le dos. Personne n’est venu me dire bravo ou même "Qu’est-ce que tu as fait ?". Comme si j’avais la lèpre, comme si j’étais une malade. Comme si j’étais dingue. Seul Spike Lee est venu me féliciter. Il m’a serré la main. C’est le seul. Je me suis sentie seule. J’ai envie de pleurer en vous racontant ça.

Est-ce que vous regrettez parfois d’avoir parlé dans cette affaire ?

Ma mère m’a toujours dit : "Asia, avant de parler, il faut que tu réfléchisses à ce que tu vas dire au moins dix secondes !". Mais moi je suis trop instinctive. Je ne peux pas regretter d’être comme je suis parce que je ne changerai jamais. Il y a une sorte d’innocence là-dedans. C’est la gamine qui n’a pas grandi. Sans doute parce que j’ai commencé à travailler très tôt, trop tôt. Et peut-être qu’une partie de moi n’a jamais grandi. Alors je ne peux pas regretter ce que je suis. Moi je m’accepte. Les autres, peu importe.

Est-ce que vous suivez avec attention le procès Weinstein ? 

Bien sûr ! J’ai des copines qui ont témoigné. Mais je ne veux pas parler du procès. Ce que j’avais à dire, je l’ai déjà dit. Mais je sais qu’il y a des choses qui vont sortir là-bas. Et j’espère que ces 90 femmes, et moi avec, nous obtiendrons justice.

 S’il ne va pas en prison, ce sera terrible pour vous ? 

S’il ne va pas en prison, j’aurai peur pour le reste de ma vie. Jusqu’à sa mort. 

Vous êtes très critique envers les mouvements MeToo et Time’s Up. Que vous inspirent-ils ? 

C’est tout de suite devenu une parodie. Surtout Time’s Up. Ces femmes qui voulaient demander de l’argent à Weinstein, je ne suis pas pour. Cet argent est pourri. Moi je voulais être derrière le rideau, parler avec les autres femmes. Pour me soigner moi-même à travers nos échanges avec ces femmes qui ont vécu la même chose mais face à des prédateurs différents. Moi j’avais gardé ce secret pendant vingt ans. Très peu de gens savaient. Mais après ce que les Américains en ont fait, ce truc de moralisme, ce n’est pas ce que je suis. Moi je suis quelqu’un de très libérée. Sexuellement, mentalement. Je ne voulais pas qu’on parle  de la vie sexuelle des gens connus, je voulais dénoncer des gens qui ont fait du mal. Pour de vrai. Des prédateurs en série qui ont abusé de leur pouvoir. Et ça durait depuis des années. Ma mère a connu ça. Beaucoup d’actrices ont connu ça. Mais elles l’acceptaient comme si faire l’actrice, c’était un métier de courtisane. Je ne sais pas comment changer ça. Et je ne sais même pas si ça va changer. 

Beaucoup de gens aujourd’hui sont choqués que Roman Polanski soit nommé aux César avec "J'accuse". Vous le comprenez ? 

Il a toujours été l’un de mes réalisateurs préférés. Avant MeToo, j’avais entendu des choses, j’avais même lu son livre (L’autobiographie "Roman By Polanski" dans laquelle il donnait sa version de l’affaire Samantha Geimer, ndlr). Je pense qu'à l'époque, je n'avais pas tout compris, c’est très compliqué. J'ignore s'il est possible de séparer l’artiste de l’homme. Moi, son film, je l’ai adoré, c’est un chef-d’œuvre... 

Vous êtes partagée ?

Je ne sais pas quoi en dire... (elle se retient de pleurer).

Vous avez envie de repasser derrière la caméra ? 

En ce moment je fais de la musique. La musique, c’est le meilleur film que j’ai jamais vu. J’écris mes mots, j’enregistre ma voix. Je viens de finir un album. Il y a des moments dans la vie où on fait d'autres choses. On ne peut pas tout faire, et là je dois me remettre d’un cœur brisé, d’une vraie maladie de l’âme, de l’injustice. J’ai perdu mon travail, on m’a traité moi de pédophile (Asia Argento a été accusée d’agression sexuelle par Jimmy Bennett, l’acteur de son film "Le livre de Jérémie". L’actrice, qui a toujours nié les faits, a conclu avec lui un accord financier, ndlr), le monde me faisait peur… Et il me fait encore plus peur aujourd'hui. 

Le monde du cinéma, vous l’aimez moins qu’avant ? 

Je n’ai jamais aimé ce qu’il y a autour du cinéma. Tout le glamour, toutes ces choses fausses, surtout pour une actrice qui se doit d’être belle... Mais les gens du cinéma, c’est ma famille. Surtout, j’ai toujours adoré être sur les plateaux de cinéma avec l’équipe technique. Je parle le même argot. Ce sont eux mon école de cinéma, mes maîtres.

Quel conseil donneriez-vous à une adolescente qui aurait envie de faire du cinéma ? 

Je n’ai jamais été très bonne pour donner des conseils. Ils sont généralement très mauvais, y compris lorsque je me les adresse à moi-même ! Si votre rêve c’est de faire du cinéma, moi je dis qu’il ne faut pas suivre les rêves. Rêver, c'est être endormi. Il faut suivre la réalité, la vérité. Il faut vraiment comprendre ce qu’on a besoin de faire et ce que l’on sait faire. Il faut être honnête avec soi-même. 


Jérôme Vermelin, Léa Bons & Flore Galaud

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