ZOOM – Du jamais vu : lors de la 30e cérémonie des Molières, Blanche Gardin est devenue la première femme à remporter le trophée de l’humoriste de l’année... et à se le remettre à elle-même, prononçant au passage l’un de ces discours au vitriol dont elle a désormais le secret. Portrait.
Son intervention a fait hurler de rire – et grincer quelques dents – lors de la 30e édition des Molières, diffusée lundi 28 mai en deuxième partie de soirée sur France 2. Mais surtout, Blanche Gardin, 41 ans, a réussi une double première dans l’histoire de la cérémonie. Elle est non seulement devenue la première femme a être sacrée humoriste de l'année, triomphant de Jérôme Commandeur, Jamel Debbouze, Manu Payet et Fabrice Eboué. Mais c'était aussi la première fois qu'un lauréat se remettait le trophée à lui-même !
Avant les remerciements d’usage, la jeune femme avait dégainé l’un de ces discours dont elle a désormais le secret. Il y a tout juste un an, lors des Molières 2017, elle avait taclé les défenseurs de Roman Polanski qui entendent "séparer l'homme de l'artiste [...] C'est bizarre que cette indulgence ne s'applique qu'aux artistes. On ne dit pas d'un boulanger : oui, d'accord, il viole un peu des gosses dans le fournil... Mais bon il fait une baguette extraordinaire !"
En février dernier, déjà à la salle Pleyel, elle allait de nouveau faire sensation en venant remettre le César du meilleur espoir féminin. "Les producteurs n’ont plus le droit de violer les actrices", annonçait-t-elle, en référence à l’affaire Weinstein. "En revanche il y a une chose qui n’est pas claire […] Est-ce que nous on a encore le droit de coucher pour avoir les rôles ?". Une punchline qui n’avait pas fait rire du tout l’une des nommées, la jeune comédienne Garance Marillier, la moue boudeuse immortalisée par les caméras de Canal +, avant de devenir la cible des réseaux sociaux.
Blanche Gardin elle aussi sera critiquée, et notamment par les militantes féministes qui lui reprochent moins son humour que son soutien affiché à la star américaine du stand-up, Louis C.K. Lors des César, la Française portait en effet un badge à l'effigie de son modèle anglo-saxon, coupable de comportements sexuels déplacés envers plusieurs de ses collaboratrices.
Ces deux sorties, Blanche Gardin les a évoqués ce lundi soir, à sa manière. Au vitriol, donc : "Je pense que vous pouvez considérer que je dis principalement de la merde en général", a-t-elle suggéré, avant de citer la célèbre introduction du sketch de Pierre Desproges sur les juifs, et de s’interroger : "L’humour a-t-il basculé dans la bienséance ? Si on regarde les nommés pour ces Molières de l'humour, on serait tenté de dire oui : dans cette liste, on a un noir, un arabe, un réunionnais, une femme. Alors ils ont quand même glissé un normal, un mâle blanc de 40 ans. Autant te dire que tu vas rester assis ce soir, Jérôme [Commandeur, ndlr]… A moins que tu sois pédé ?"
Je suis la seule femme nommée l'année de l'affaire Weinstein, ça c'est tout moi, c'est l'histoire de ma vie ! Le jour où j'ai un prix, il n'a aucune valeur !
Blanche Gardin, lors des Molière 2018
Debout à côté d’elle, Zabou Breitman a du mal à contenir ses larmes… de rire. Quelques instants plus tard, Blanche Gardin se remettra donc le Molière à elle-même, sans rien perdre de son verbe acide : "C'était sûr, je le savais. Je suis la seule femme nommée l'année de l'affaire Weinstein, ça c'est tout moi, c'est l'histoire de ma vie ! Le jour où j'ai un prix, il n'a aucune valeur ! C'est dommage. J'ai l'impression d'être un rebeu du 9-3 qui vient d'être admis à Sciences Po."
Qu’on soit client, ou pas, ce Molière vient récompenser le parcours d’une véritable marathonienne du stand-up. Titulaire d’un DEA en sociologie - épousant au départ la même carrière que son père - elle travaille comme éducatrice en région parisienne lorsqu’elle est repérée par Kader Aoun, le producteur de Jamel Debbouze.
"Professionnellement, je n’ai jamais voulu en faire mon métier, je n’ai jamais voulu être comédienne non plus, c’est arrivé sur le tard", confiait-elle l’an dernier à "Paris Match". "Je faisais des sketchs avec deux potes mais pour mon plaisir. Celui qui tenait la caméra faisait un BTS d’audiovisuel et il balançait des DVD de ce qu’on faisait, un peu au hasard, dans différentes boîtes de production parisiennes."
Après quelques apparitions dans "Le Vrai Journal", de Karl Zero, Blanche Gardin entre en 2006 dans la bande du Jamel Comedy Club. Un an plus tard, elle décroche sa propre émission, "Ligne Blanche", de 2007 à 2008 sur Comédie. Elle va ensuite enchaîner les petits rôles à la télé et au cinéma. Dans "Bref", "Case Départ", "L’Exercice de l’ Etat" ou encore "Parents mode d’emploi" sur France 2 dont elle écrit plusieurs épisodes. Mais c'est bel et bien sur scène qu'elle donne la pleine mesure de son talent comique.
En 2015, elle joue son premier one woman-show, "Il faut que je vous parle", suivi deux plus tard par "Je parle toute seule", pour lequel elle vient d’être récompensée, et qu'elle a joué à guichets fermés dans toute la France ces derniers mois. "Depuis que je suis toute petite, je fais rire la galerie. Ma façon d’exister, c’est de pousser le bouchon et me faire remarquer. Faire et dire des conneries", assume-t-elle. Mission accomplie.