François Cluzet a grandi entre un père dépressif et une mère absente.Il a raconté cette enfance douloureuse, mais aussi ses années d’errance et son succès arrivé sur le tard, ce dimanche face à Audrey Crespo-Mara dans "Sept à Huit".
François Cluzet tient une place à part dans le cinéma français, qu'il incarne depuis près de cinquante ans. Une filmographie marquée par de beaux rôles comme Autour de minuit, de Bertrand Tavernier, L'enfer, de Claude Chabrol ou Ne le dis à Personne de Guillaume Canet qui lui valu le César du meilleur acteur en 2007. Pourtant, sa carrière n'a pas été un long fleuve tranquille. "J'ai passé beaucoup de moments à attendre, comme tous les débutants et là, je m'insultais. Je me disais : 'Je ne fais rien, je ne sers à rien, je suis inutile, je suis en pleine oisiveté'", dit-il à Audrey Crespo-Mara dans la vidéo de "Sept à Huit" en tête de cet article.
Je déteste qu'on humilie les gens et notamment les étrangers.
François Cluzet
Pour se rendre utile, ces dix dernières années, l'acteur a donc décidé de rejoindre plusieurs associations, notamment en faveur des migrants. Une thématique abordée dans son dernier film La brigade, en salles le 23 mars. "Il faut rendre un peu. La chance, c'est un boomerang, si vous ne la renvoyez pas, elle ne revient pas", souligne-t-il. Cet engagement, François Cluzet le revendique. "Tout le monde sait que l'homme est né en Afrique, or apparemment il n'y est pas resté puisque le reste des continents sont peuplés. Il y a donc bien depuis le départ une envie d'émigrer", explique-t-il, tout en comprenant la peur des Français face aux vagues migratoires. "Mais de là à dire qu'ils ne viennent que pour l'attrait de la délinquance, pour essayer de voler, de violer, c'est dégueulasse de dire ça. Ce qui me touche le plus, c'est l'humiliation. Je déteste qu'on humilie les gens et notamment les étrangers. Je ne sais pas d'où ça vient, je ne comprends pas", s'indigne-t-il.
L'envie d'être aimé par le plus grand nombre
Il faut dire que François Cluzet a toujours estimé que sa place était du côté des humiliés et des démunis quels qu'ils soient. Car si le comédien est désormais un homme serein "avec une femme merveilleuse", enfant, en revanche, il l'a été beaucoup moins. "Je crois que pour être humble, il faut avoir été humilié et comprendre la douleur que c'est", avance-t-il. Son enfance s'est en effet construite dans l'arrière-boutique de journaux de son père où il vivait avec son frère sans aucun confort. "Le moment le plus difficile, c'est quand on a été obligé de déménager chez ma grand-mère. Là on s'est retrouvé à cinq dans un deux-pièces au rez-de-chaussée. Elle nous a accueillis mon père, mon frère et moi. On s'est retrouvé dans un lit qui était complétement défoncé à trois ; on bouffait à cinq sur une petite table de jeu qui ne tenait pas. C'est l'assistance publique qui nous filait les draps, les couvertures", raconte-t-il, la gorge nouée. Et d'ajouter : "C'était un peu triste parce qu'on manquait de tendresse et d'amour. Mon père était dépressif, ma mère était partie, donc on a chopé la dépression de mon père et on a eu beaucoup de mal à s'en sortir".
Le départ de sa mère lorsqu'il avait huit ans le marquera telle une blessure indélébile. Pourtant, il ne lui en a jamais voulu, "parce qu'elle est partie par amour", lâche-t-il. Mais ce fort sentiment d'abandon ne le quittera jamais. D'où l'envie d'être aimé par le plus grand nombre. Le déclic viendra à l'âge de 13 ans après une soirée passée au théâtre en famille. "Ma tante prenait toujours des billets pour le 31 décembre et une année, elle nous a emmenés voir Jacques Brel jouer Don Quichotte. En le voyant chanter, pleurer, être en sueur, ma première réaction a été de me dire : 'Il va se faire engueuler par ses parents'. Car chez moi, on n’avait pas le droit de se mettre dans cet état. Mais quand j’ai vu la salle se lever pour l’ovationner pendant vingt minutes, je me suis dit que j'avais tellement envie de pleurer que j'allais faire la même chose", se souvient-il.
François Cluzet a pourtant dû attendre la cinquantaine pour que le succès arrive enfin avec un César du meilleur acteur, puis c'est le phénomène Intouchables où il joue un handicapé moteur, qui signe sa consécration à l'âge de 56 ans. "Ça paraît totalement antinomique et parfois je le regrette, mais je voulais le succès à la fin, je voulais les honneurs à la fin. Et là j'ai fait une grosse connerie qui aurait pu me coûter cher, j'ai commencé les scandales, l'alcool, les bagarres, et du coup, j'ai eu une très mauvaise réputation", admet-il.
Un choix qui lui a couté dix ans de traversée du désert. Mais pour se justifier, l'acteur reconnaît : "Je n'ai pas eu d'enfance, alors je l'ai prise après. De 20 ans à 40 ans, j'ai eu mon enfance et mon adolescence", analyse-t-il avant d'admettre qu'"il a beaucoup de chance". Et comme une morale à son histoire, il conclut : "Je voudrais que les enfants qui souffrent sachent que la vie va les aider, au même titre que les cons, la vie va s'en charger. J'en suis convaincu".