BAS LES MASQUES - Le groupe électro formé par Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo a annoncé ce lundi 22 février 2021 la fin de sa carrière dans une vidéo de 8 minutes baptisée "Épilogue" postée via sa chaine YouTube. Retour sur l'odyssée fulgurante d'un groupe parti de rien et revenu de tout, ayant fait danser des générations entières.
Le groupe français le plus célèbre de l'histoire de la pop est aussi le plus anonyme : si leurs morceaux sont connus de tous, Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo, qui ont annoncé la fin de leur groupe Daft Punk, restent de grands inconnus.
Avant le succès, Thomas Bangalter (fils de Daniel Vangarde, auteur du tube D.I.S.C.O. dans les années 70) et Guy-Manuel de Homem-Christo ont débuté leur carrière au début des années 90 comme rockeurs, au sein d'un groupe formé avec Laurent Brancowitz. Ils se sont rencontrés tous les trois au lycée, du côté de Versailles, là où émergeront bon nombre de djs et d’artistes français (Jean-Benoît Dunckel et Nicolas Godin du groupe Air, Alex Gopher et Thomas Mars de Phoenix…). Soit la french touch avant l'heure. Ensemble, ils forment le groupe Darlin', un nom tiré de la chanson des Beach Boys du même nom, mais le succès n'est pas encore au rendez-vous. Pire, à l'écoute de leurs œuvres, un critique musical anglais déclare que leur musique est celle de "daft punk" soit de "punks idiots". Ce qui ne tue pas rend plus fort : cette méchante pique deviendra le nom du groupe suivant, formé par Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo ; Brancowitz deviendra, lui, le futur guitariste du groupe Phoenix.
Ils ne le savent pas encore mais les deux Français, toqués de Kraftwerk et d'Electric Light Orchestra, revendiquant comme influences le pop-art d’Andy Warhol et la musique de Led Zeppelin - des artistes qui, selon Bangalter, "savaient construire un univers esthétique autour d’une forme artistique", vont révolutionner le monde de la musique électronique... dans leur chambre. C'est tout l'art des Daft Punk, ce qui en fera un groupe résolument de son temps : le groupe prouve par a+b qu'il est possible de faire un disque tout seul comme un grand, afin de conserver une totale indépendance. Nous sommes alors au mitan des années 90, à l'aube d'Internet, de cette révolution permettant d'être entendu à l'autre bout du monde et "around the world", comme un de leur plus célèbre titre, sans passer par les studios.
1996, premier album "Homework"
En 1996, le premier album des Daft Punk porte bien son titre : Homework, En résulteront des classiques instantanés mis en valeur par des clips mémorables : Spike Jonze derrière la caméra pour Da Funk, Michel Gondry pour Around The World... "Nous sommes arrivés au moment où, en France, on voyait essentiellement des clips dans lesquels les artistes chantaient face à la caméra et rien de plus", nous racontait Thomas Bangalter lors de la sortie de Electroma en DVD en 2007. "Nous avons poussé tous les réalisateurs avec lesquels nous avons travaillé à faire des clips différents, à utiliser notre musique comme la bande originale d’un court métrage. C’est encore plus spécifique avec le clip de Da Funk, réalisé par Spike Jonze, qui tel quel peut être considéré un court métrage."
Au visuel sophistiqué des clips, les Daft Punk trouvent la parade : ils apparaissent casqués, histoire de rappeler que n'importe qui peut se cacher derrière le masque et, ainsi, garder du mystère dans une époque où la transparence est devenue maître-mot. En somme, quelque part entre la star, l'anonyme et l'icône pop. Rien de plus étonnant de la part de fans du Phantom of the Paradise, le film musical de Brian de Palma...
2001, l'album "Discovery" et le film "Interstella 5555"
En 2001, les Daft Punk survivent au bug de l'an 2000, poursuivent sur une lancée spectaculaire et sortent un album Discovery porté par une grande nostalgie, mélangeant pop, funk et disco à la sauce techno. Surtout, ils composent, à partir de cet album, Interstella 5555: The Story of the Secret Star System, un fabuleux film d'animation réalisé avec le père d’Albator, Leiji Matsumoto et qui se présente comme une relecture de... Phantom of The Paradise. "Il y avait l'envie folle de travailler avec Leiji Matsumoto, c’était notre rapport à l’enfance", se souvenait Thomas Bangalter. "D'ailleurs, la tonalité de l’album est très proche de l’enfance, très nostalgique", nous confiait Guy-Manuel de Homem-Christo. "Ce qui convenait parfaitement pour un film d'animation".
En 2005, sort Human After All, troisième album enregistré en six semaines en totale autarcie, deux ans avant l'album Alive 2007. Et comme le suggère le titre cet album, il y est question de robot : "Une métaphore pour la technologie", nous précisait Bangalter. "Il représente le conflit entre la machine et l’être humain et amène incidemment à réfléchir sur la place de la technologie dans la société. La technologie possède un caractère à la fois séduisant et effrayant. Le robot est pareil : il peut être cool comme terrifiant. On est stimulés par ce paradoxe. La technologie représente l’accélération exponentielle du progrès. En deux trois ans, tout peut changer". Entre le rétro de Discovery et l'avenir de Human After All, les Daft Punk séduisent différents types de public et de générations.
2006, l'expérience cinématographique de "Electroma"
De la même façon qu'ils fusionnaient les genres en 2002 avec l'album Discovery et le film Interstella 5555: The Story of the Secret Star System, Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo ont poursuivi leurs expérimentations rétrofuturistes avec un film contemplatif intitulé Electroma, beau et mélancolique comme du Monte Hellman, conçu avec le même souci d'indépendance que leur album (en d'autres termes, chacun peut faire du cinéma chez soi) : "Nous voulions dès le départ proposer un projet abstrait et expérimental, avant-gardiste et bizarre", soutenait Thomas Bangalter lors de notre entretien. "Dans les intentions, le traitement devait être libre. Cet essai devait être comme un premier contact avec le langage et la technique. Nous sommes partis sur ces bases et nous nous sommes dit qu’à partir de là, on pourrait développer une histoire bien à nous".
Reste que les fans ne masquent pas leur déroute : "On peut comprendre les réactions de ceux qui s’attendaient à autre chose", admettait Thomas Bangalter. "Electroma ressemble à un point d’interrogation et possède une résonance qui colle au film et qui n’est pas totalement définie. Je ne sais pas ce que l’on peut attendre de nous au cinéma. On ne cherche pas à se répéter, on veut expérimenter quitte à en payer le prix. Et pour nous, ce film se regarde comme on écoute un album."
En 2010, l'obsession du cinéma se poursuit. Ceux qui refusent comme la peste le star-system collaborent avec Disney pour la bande originale du film Tron, l’héritage et cherchent une liberté totale dans un système univoque. Pour ce remake d'un film culte des années 80, le duo qui avait déjà travaillé sur la bande-originale d'un film oublié par tous (l'adaptation du Saint avec Val Kilmer en 1997) et dont les deux membres se sont adonnés à l'exercice du soundtrack séparément (Thomas Bangalter a composé l'inoubliable BO du Irréversible de Gaspar Noé) a utilisé les services d'un orchestre symphonique.
2013, l'apothéose "Random Access Memories"
Une mise en bouche avant l'explosion pop de leur album Random Access Memories en 2013, album bardé de tubes mondiaux instantanés à l'instar de Get Lucky, Lose Youself To Dance ou encore Instant Crush. Un album gonflé de featuring de stars actuelles (Pharrell Williams, Julian Casablancas...) et d'idoles de jeunesse (Giorgio Moroder, Nile Rodgers, Paul Williams, interprète mémorable de Swan, le producteur faustien de Phantom of the Paradise - on y revient...). Après un tel firmament, quelle suite ? Le groupe se trouve désormais bien loin de l'esprit indépendant des débuts. Mais, et on le saura plus tard, cette étape marque le glas d'une odyssée, presque cosmique, dans le monde de la musique : jusqu'où est-il possible d'aller pour bousculer les codes d'industrie en partant de sa chambre d'adolescent ? Random Access Memories est l'aboutissement de ce questionnement presque métaphysique.
Du minuscule au grand, de l'intime au populaire, de l'expérimental aux gros featuring, de leur groupe de rock au lycée Carnot à Paris (Darlin') jusqu’à la consécration aux Grammy Awards aux États-Unis, en 2014, Daft Punk était un peu nous. La concrétisation de nos rêves de grandeur que des mecs casqués comme vous et moi ont touché du doigt. C'est leur Get Lucky qui a été joué par les musiciens de la fanfare interarmées, secouant la fin du défilé du 14-juillet en 2017 sur les Champs-Élysées, devant un Donald Trump circonspect et son hôte français visiblement aux anges.
On retiendra alors de ces années 1993-2021 avec eux le bonheur d'avoir croisé cette comète fulgurante, d'avoir traversé les années avec eux, en découvrant avec émerveillement chacune de leurs inventions. Signe qui ne trompe pas : même la mort du groupe annoncée ce lundi est flamboyante, le temps d'un clip de huit minutes, avec des restes de mémoire comme un robot s'éteignant ou une étoile sur le point de mourir. Des restes de souvenir de choses du passé (des extraits du Electroma, ici). Pas une agonie non, juste une fin douce incitant une nouvelle génération à prendre le relais.
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