Entre traditions et symboles, le très attendu dîner entre Charles III et Macron à Versailles

C’est une étape majeure de la visite officielle de Charles III en France. Emmanuel Macron reçoit le nouveau souverain britannique et son épouse Camilla jeudi soir au Château de Versailles pour un dîner de gala qui a déjà fait couler beaucoup d’encre. Au printemps dernier, une partie de la classe politique s'est offusquée de la perspective d’une telle réception alors que les manifestations contre la réforme des retraites se multipliaient dans toute la France. L’hypothèse d’un changement de lieu au profit de l’Élysée a même été évoquée… avant que l’ensemble du séjour soit reporté à une date ultérieure. 

Six mois plus tard, le chef de l’État accueille bel et bien le successeur d’Elizabeth II dans la demeure des rois de France, prolongeant une tradition très ancienne entre les deux pays. En 1855, Napoléon III réussit à charmer la reine Victoria, première souveraine britannique à se rendre à Paris depuis la Guerre de Cent ans. Sa visite d'État se clôture par un gala avec 400 convives dans la salle de l'Opéra royal. 

Edouard VII est ensuite reçu par le président Loubet le 7 juillet 1903, dans le pur esprit Belle-Époque. Visant une alliance avec son voisin, il sort le grand jeu : poulardes du Mans à la Royale, cailles flanquées d'ortolans, canards rouennais glacés et sorbet au kirsch… Mais l'apothéose des réceptions pour les souverains britanniques a lieu le 19 juillet 1938 avec un banquet dans la Galerie des glaces pour George VI. Au menu : la "Timbale de cailles farcies à la Talleyrand", en hommage au ministre des Affaires étrangères de Louis XVIII qui inaugura, au Congrès de Vienne, la fameuse "diplomatie des casseroles".

Après une première incursion à Versailles en 1948, alors qu’elle est encore princesse, Elizabeth II effectue elle sa première visite d’État en France en 1957 durant la présidence de René Coty. Le 10 avril, elle se voit gratifiée d’une réception à la galerie des Glaces. Ce soir-là, elle déguste un "hérisson périgourdin au nid", une recette au nom un brin barbare pour décrire un foie gras piqué de truffes au cœur d’une briochette. Par la suite en 1972, c’est au Trianon qu’elle est reçue une troisième et dernière fois au château par George Pompidou.

Comme sa mère, Charles III va se rendre donc à Versailles pour sa première visite officielle dans l'Hexagone. Mais pas question de manger du foie gras puisque le nouveau souverain britannique l’a officiellement banni des tables de Buckingham, et de tous les dîners officiels auxquels il participe, pour des raisons éthiques. Ce qui n'empêchera sans doute pas la gastronomie française de s'illustrer. À la demande du chef de l'Élysée Fabrice Desvignes, ce sont Anne-Sophie Pic, Yannick Alléno et Pierre Hermé qui ont été chargés de remplir les assiettes, ont révélé nos confrères de Paris Match.

Au-delà des questions culinaires, l’invitation de Charles III à Versailles s’inscrit côté français dans la volonté d’Emmanuel Macron de faire du château un lieu majeur des relations diplomatiques et économiques de la France depuis son entrée à l'Élysée. On se rappelle qu’il y a reçu Vladimir Poutine en mai 2017, peu après son élection, et qu’il y a présidé un sommet européen en mars 2022 autour de la guerre en Ukraine. Depuis 2018 s'y tient Choose France, rendez-vous annuel de grands patrons. Il y a quelques semaines, c’est le milliardaire controversé Elon Musk qui a été reçu avec les fastes royaux.

Sous la Ve République, l’Élysée n’a pas toujours fait la même utilisation de l’une des destinations touristiques les plus prisées de la planète. Sous sa présidence, le Général de Gaulle y avait reçu le shah d'Iran, Nikita Khrouchtchev ou encore les époux Kennedy. Valéry Giscard d'Estaing y a présidé lui une fête somptueuse de 4.000 convives en l'honneur de son homologue américain Jimmy Carter.

En juin 1982, François Mitterrand fait fermer le château aux touristes pour y accueillir un sommet du G7, avec atterrissage de Ronald Reagan en hélicoptère au bassin d'Apollon. Pour réchauffer la relation avec Moscou, il y reçoit aussi Mikhaïl Gorbatchev en 1985 puis Boris Eltsine en 1992. En revanche, aucune réception de la sorte n'a lieu à Versailles durant les mandats de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy. Avant l’élection d’Emmanuel Macron, il a fallu attendre 2014 pour que François Hollande y accueille le président Xi Jinping à la demande de la Chine.