Légende du cinéma, Woody Allen, 87 ans, est retour avec "Coup de chance", le cinquantième film de sa carrière.Une comédie policière tournée à Paris, dans la langue de Molière, avec la crème du cinéma français.TF1info est allé à sa rencontre quelques heures avant un concert de jazz sold-out au Grand Rex.
C’est au deuxième jour de la visite du roi Charles III que Woody Allen a reçu TF1info dans un palace à deux pas de l’Élysée, quelques heures avant de jouer de la clarinette avec ses musiciens sur la scène du Grand Rex. Imperméable à l’agitation ambiante, le cinéaste américain est aussi là pour la promo de Coup de chance, son premier film en langue française, tourné à Paris l’automne dernier.
Fanny (Lou de Laâge), son héroïne, est la jeune épouse de Jean Fournier (Melvil Poupaud), un homme d’affaires aux méthodes douteuses. En croisant la route d’Alain Aubert (Niels Schneider), un écrivain bohème qu’elle a connu autrefois, elle va mettre le doigt dans un terrible engrenage. Heureusement, sa mère (Valérie Lemercier) veille au grain...
Délicieuse comédie de mœurs, lorgnant sur le polar à la manière de Match Point, ce cinquantième film porte la patte inimitable de son auteur, entre situations cocasses et répliques qui font mouche. À 87 ans, l'auteur de Manhattan n'a rien perdu de son légendaire humour noir, comme l'illustre également le recueil de nouvelles Zéro Gravité, qui vient de paraître chez Stock.
Comment allez-vous, Woody Allen ?
Je vais bien. En ce moment je joue du jazz, c’est relaxant, c’est fun. Je suis entouré de bons musiciens qui viennent de la Nouvelle-Orléans. Et le public a l’air d’apprécier !
On m’a dit avant cette interview que vous étiez plus occupé que jamais…
Oui, parce que je fais la promo de mon livre, je fais la promo de mon film, je joue du jazz le soir, je vole de pays en pays. Je crois que la France est le cinquième ou sixième que je visite en dix jours.
Et vous n’en avez jamais marre à la longue ?
Si ! Mais c’est important de faire savoir que ce film existe parce qu’il y a des gens qui ont investi de l’argent dedans ! Moi, je prends leurs sous et je me sens responsable. Pareil pour l’éditeur qui me demande de faire la promo du livre… Le jazz en revanche, c’est du plaisir.
Alors parlons de Coup de chance, votre cinquantième film, mais le premier en français. Tourner dans notre langue, c’est un rêve devenu réalité ?
Oui, c’est exactement ça ! C’est quelque chose que j’ai toujours voulu faire : tourner des films européens dans la langue du pays où je travaillais. Je n’avais jamais réussi jusqu’ici et j’y suis enfin parvenu avec mon cinquantième film. Je ne parle pas français. Mais j’ai réussi parce que tous les gens chez vous parlaient anglais !
"Coup de chance" pourrait être un film français des années 1950 ou 1960
Woody Allen
Travailler avec des acteurs français, c’est vraiment différent par rapport aux acteurs américains ?
Non, c'est complètement la même chose. Les bons acteurs sont de bons acteurs. Et les mauvais sont mauvais ! Sur celui-là, j’ai eu de la chance, car j’ai eu quatre très bons acteurs. Vous savez, les bons acteurs lisent le scénario, on en parle quelques minutes. On va sur le plateau, ils font leur truc et je les filme avec un bon caméraman et si j’entends quelque chose qui ne va pas, si l’acteur est trop énervé, ou trop mignon, ou trop lent, j’arrête tout pour lui faire recommencer. Mais là, je n’ai pratiquement jamais eu besoin de leur parler.
Cette histoire d’amour et de vengeance, c’est du pur Woody Allen… avec une petite touche française ?
Je dirais que c’est l’une de mes histoires typiques. Mais Coup de chance pourrait aussi être un film français des années 1950 ou 1960. Parce que je fais partie d’une génération de réalisateurs américains avec une forte influence européenne. Le cinéma français, mais aussi, le cinéma italien, le cinéma suédois… C’est dans mon sang.
Comme dans Match Point ou L’homme irrationnel, il est question du crime parfait. C’est un thème avec lequel vous aimez vous amuser, non ?
Je crois qu’il y a beaucoup de crimes dont nous ne connaitrons jamais l’existence. Je ne parle pas de ceux commis par les grands cerveaux du crime ou les méchants dans les James Bond. Mais des crimes commis par des gens ordinaires. Des meurtres, des vols… Il y a beaucoup de crimes dont on n’attrape jamais les auteurs. Mais beaucoup d’autres qui n’ont pas l’air d’un crime. Ils peuvent ressembler à un accident, une mort naturelle… Mais ce sont de vrais crimes !
Combien de gens avez-vous tué sans qu’on le sache, Woody ?
Vous devriez plutôt me demander combien de gens j’aurais aimé tuer ! Heureusement, je ne suis pas une personne violente.
Mais comme vous êtes-vous un grand scénariste, vous pourriez être un grand cerveau du crime, n’est-ce pas ?
Oui, mais comme je le dis dans le film, ça ne sert à rien d’avoir un cerveau si on n’a pas un peu de chance. Il y a aussi beaucoup de gens qui parviennent à commettre des crimes parce qu’ils n’ont pas de conscience. Je n’en fais pas partie. J’éprouve trop de culpabilité, c’est mon gros problème. Si je mange un truc qui n’est pas bon la santé, je me sens aussi coupable que si j’avais tué quelqu’un !
Son cinquantième et dernier film ?
Il y a eu des rumeurs sur votre éventuelle retraite et sur le fait que Coup de chance serait votre dernier film. Mais est-ce vraiment une possibilité pour vous ?
En tout cas, j’écrirai toujours. Vous savez, quand vous faites un film, il faut en passer par un processus pénible où on va chercher l’argent. Il faut passer des coups de fils, faire des déjeuners, des dîners et ensuite des réunions. Et ENFIN on vous donne l’argent ! C’est l’aspect le plus dur et le plus ennuyeux à la fois. Si quelqu’un me dit demain : tenez, voici l’argent, je serais content d'en refaire un. Autrement… Je pense que je préfèrerais rester chez moi écrire des livres ou des pièces de théâtre.
Alors ça pourrait vraiment être le dernier ?
Possible. 50, c’est assez.
Si c’était vraiment le dernier, vous diriez que c’est l’un des meilleurs ? Que vous êtes heureux du résultat ?
Je ne donne pas de notes à mes films. Ça pourrait être mon meilleur film ou mon pire film. Je ne sais pas. La personne qui fait un film n’a aucune objectivité à son égard. Je ne peux pas le regarder comme vous le regardez.
Bon alors si vous pouviez en faire encore un… Est-ce que vous aimeriez que ce soit à New York ?
J’ai une bonne idée pour un film à New York maintenant que vous en parlez ! Si quelqu’un le finance, c’est là que je ferai mon prochain film. À vrai dire, j’ai plusieurs idées. Mais je crois que la meilleure, c’est pour un film à New York. Après, je peux me tromper. Ce n’est pas une science exacte. À chaque fois que vous faites un film, c’est comme si c’était le premier. Tout est nouveau, on n’apprend rien.
Les gens qui ont choisi les arts ne sont jamais en paix
Woody Allen
À ce stade de votre vie et de votre carrière, diriez-vous que vous êtes en paix avec vous-même ? Ou bien qu’un artiste ne l’est jamais vraiment ?
Je suis d’accord avec ça. Quand vous êtes artiste, vous n’êtes jamais en paix. Vous n’êtes jamais satisfait, vous avez toujours un problème avec le monde, l’univers, l’humanité. Avec le sens de la vie. Les gens qui ont choisi les arts ne sont jamais en paix.
Craignez-vous l’intelligence artificielle et qu’elle remplace les scénaristes ?
Je ne crois pas que ça va arriver. Mais je n’en suis pas certain. Si vous m’aviez demandé il y a quelques années, je vous aurais répondu qu’aucun ordinateur n’était capable de battre Gary Kasparov aux échecs. Et puis c’est arrivé (en 1997 – ndlr). Alors aujourd’hui, je pense qu’aucun ordinateur ne pourra jamais écrire comme Shakespeare ou composer comme Beethoven ou Mozart. Mais je peux me tromper. Et ce serait intéressant… Là, je n’ai pas peur. Mais peut-être que je devrais avoir peur !
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Vous pensez qu’un ordinateur serait capable d’écrire "comme Woody Allen" ?
Ça ne me surprendrait pas. Je me dis toujours que ce "petit truc" en plus n’existera jamais dans un ordinateur. Ce petit truc en plus qui fait le génie de Tennessee Williams, de Eugene O’Neill, de Stendhal ou de Nabokov… Je me dis que pour écrire comme moi, il faudrait prendre tout ce que j’ai fait, toutes mes idées, toutes mes pensées, et les mettre dans un ordinateur. Et alors l’ordinateur vous donnerait quelque chose de pas mal. Mais jamais aussi bien… Vous savez, l’ordinateur n’est jamais aussi bon que ce que nous en faisons. Mais je n’en suis pas certain à 100% !
>> Coup de chance de Woody Allen. Avec Lou de Laâge, Melvil Poupaud, Niels Schneider, Valérie Lemercier. 1h33. En salles mercredi