"Westworld" : bilan de la première saison d'une grande série

Romain Cheyron
Publié le 6 décembre 2016 à 19h52, mis à jour le 7 décembre 2016 à 16h12
"Westworld" : bilan de la première saison d'une grande série
Source : HBO

CRITIQUE - HBO diffusait ce dimanche 4 décembre "The Bicameral Mind", le dixième et dernier épisode de la première saison de "Westworld", nouvelle série américaine phénomène. Une heure trente pour conclure - et introduire - une histoire dense, ambitieuse et passionnante.

"These violent delights have violent ends". Il fallait s'y attendre, et Dolores (Evan Rachel Wood) nous avait prévenus dès ses premières apparitions : si Westworld est un parc où l'humain choisit de s'abandonner à ses plus bas instincts, il doit en subir les conséquences. Ces "délices violents" ont vu leurs "fins violentes" arriver dans les dernières secondes de l'épisode 10, après une heure trente d'un récit magistralement orchestré. "The Bicameral Mind" avait pour but à la fois de conclure ce que Jonathan Nolan et Lisa Joy ont mis en place tout au long de la saison, mais également d'introduire définitivement l'univers dense et ambitieux de Westworld.

Le titre de l'épisode fait référence à la bicaméralité, cette hypothèse controversée du psychologue américain Julian Jaynes qu'on trouve dans son live "La naissance de la conscience dans l'effondrement de l'esprit [bicaméral]". En gros : l'esprit humain, avant d'être conscient, est divisé en deux parties, l'une qui parle et l'autre qui écoute et obéit. Cette théorie symbolise l'évolution de Dolores - notamment - tout au long de la première saison de Westworld. D'un hôte au service des humains, répétant en boucle les mêmes actions, elle devient consciente de sa propre existence au cours du dernier épisode, à travers ses souvenirs et cette voix qui la guide.

Du rêve à la conscience

Les hôtes, ces êtres humanoïdes créés par Robert Ford et Arnold Weber, sont ces êtres bicaméraux dotés d'une conscience enfouie sous tout un tas de commandes, d'ordres, de boucles narratives qu'ils enchaînent sans savoir ce qu'ils ont déjà vécu. C'est en tout cas ce qu'on comprend en surface, avant que le récit bien huilé ne nous révèle les véritables intentions d'Arnold aux origines du parc : créer des êtres de conscience. De faire des hôtes qui obéissent et écoutent, destinés à devenir à des êtres qui parlent, qui prennent conscience de leur propre existence.

En se lançant dans cette première saison de Westworld, on pense suivre un récit linéaire, des quelques hommes qui débarquent à Westworld pour vivre une expérience, se redécouvrir, mais c'est finalement d'une narration déconstruite dont nous sommes témoins, de plusieurs époques. Le présent, avec l'Homme en Noir (Ed Harris), le passé, 30 ans auparavant, avec William (Jimmi Simpson) et Logan (Ben Barnes), mais également 34 ans avant, avec l'ouverture du parc et la mort d'Arnold. C'est souvent à travers l'esprit de Dolores que nous suivons cette histoire, et ces époques qui s'entremêlent.   

Plus qu'une aventure dans le Far West, Jonathan Nolan et Lisa Joy nous entraînent dans un voyage dans l'esprit de Dolores, un "rêve" qui n'en est pas un, un voyage initiatique qui a pour but de trouver le centre d'un labyrinthe spirituel. Et L'Homme en Noir, qui s'avère être William, l'apprend à ses dépens. Si la révélation William = L'Homme en Noir n'a surpris personne - les internautes ayant trouvé la solution dès l'épisode 2 grâce aux nombreux indices laissés par les créateurs - c'est la réaction de Dolores qui importait. Une prise de conscience nécessaire pour l'extraire définitivement de sa boucle et l'installer véritablement dans le présent. Les allers-retours de son esprit n'ont plus lieu d'être. 

Elle commence peu à peu à "parler", écouter sa voix intérieure et devenir humaine. Mais l'est-elle réellement ?  Robert Ford (incroyable et glaçant Anthony Hopkins) a mis en route le programme "Wyatt", le grand méchant de l'histoire qui se révèle donc être Dolores, pour son plan final : détruire Delos, la société qui détient Westworld, et continuer le travail entrepris par Arnold sur la conscience des hôtes. Et c'est là le véritable tour de force de la série. Si le film, dont elle est adaptée, nous offrait une vision effrayante de robots tueurs qui se retournent contre l'humain, la série nous place du côté de ces humanoïdes, dont on encourage le soulèvement.

Une liberté programmée

Soulèvement qu'on pensait lancé par Maeve dans les coulisses du Parc. L'androïde prend rapidement conscience de son état de robot, et impose à Félix et Sylvestre, deux ingénieurs, d'augmenter ses capacités, lui donner des ressources illimitées, l'humaniser grâce aux émotions. Une liberté qui s'avère finalement être une énième machination de Ford, qui lui a donné une nouvelle narration, celle d'une rébellion qui doit servir son plan final. Tous ses mouvements ne sont pas ses propres décisions, ils sont déjà dictés par un programme... Jusqu'à la fin, où elle décide de quitter le train et sortir de cette emprise, comme l'a confirmé Jonathan Nolan à Vulture : "Ce qu'on comprend à ce moment là, c'est que c'est la première décision personnelle qu'elle prend de toute la saison".

La liberté a un prix, la frontière entre l'humain et la machine est bien plus proche qu'on ne peut le penser et c'est  ce qu'avait compris Arnold. On ne peut pas jouer à Dieu impunément. Si Ford n'a pas assimilé ça au départ, la mort de son ami Arnold a été un véritable déclic. Pendant 10 épisodes, Westworld nous a offert une série intelligente, un questionnement profond sur la nature humaine, un univers riche, dense et d'une grande ambition. HBO vient de conclure la première saison d'une grande série.  


Romain Cheyron

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