TOO MUCH - Dans un milieu où les heures supplémentaires sont la règle plutôt que l'exception, les revendications des "juniors" de la plus connue des banques d'affaires ont de quoi étonner. Mais Goldman Sachs et d'autres disent aujourd'hui avoir entendu les griefs d'une génération fragilisée par la pandémie.
Ils sont l'élite, la génération montante, celle qui gravit les marches de la plus emblématique des banques d'affaires, le Graal de la finance. Ceux que l'on appelait les "golden boys" dans les années 80, tous promis à des carrières en or, montrent pourtant aujourd'hui de sérieux états d'âme. Dans un document qui circule sur les réseaux sociaux, treize d'entre eux décrivent des journées interminables et réclament la "semaine de 80 heures", estimant en faire près de 100 aujourd'hui. Tous expliquent que leur santé mentale et physique s'est considérablement dégradée. "À un moment, je ne mangeais pas, je ne me douchais pas, je ne faisais rien d'autre que travailler du matin jusqu'après minuit", y raconte l'un d'entre eux.
Un surmenage aggravé par la pandémie
Autant le dire clairement : dans l'opinion américaine, même dans les milieux proches de la finance, les revendications de nos jeunes banquiers en terme d'équilibre vie pro/vie perso ont du mal à passer. Ce que beaucoup décrivent comme les complaintes d'une élite grassement rémunérée ont parfois été tournées en dérision dans un pays où le chômage a explosé, où la reprise exclut encore des millions de personnes et aux risques auxquels s'exposent ceux ne pouvant pas travailler à domicile, comme les soignants ou les employés de supermarchés. "Quand on prend un boulot en banque d'investissement, on sait à quoi s'attendre", affirme un employé anonyme de Goldman-Sachs, embauché depuis trois ans.
On ne trouve pas plus de compassion chez Scott Galloway, professeur de marketing à l'université NYU, "ils sont à un âge où l'on ne compte pas ses heures, en espérant gagner 500.000 dollars par an dans cinq ans. S'ils veulent diviser leurs heures par deux et leur salaire par quatre, ils peuvent aller chez Ernst&Young ou chez Deloitte." (deux grands cabinets de consultants, ndlr). Pourtant, beaucoup de cols blancs se sont identifiés à ces jeunes de la finance, qui subissent des journées interminables ponctuées de multiples réunions sur Zoom.
Une intégration compliquée par le télé-travail
Pourtant, le message des juniors de "GS" va au-delà des critiques envers une firme connue pour son âpreté, mettant en lumière les conditions de travail difficiles de nombreux établissements financiers en temps de Covid. Et la révolte semble avoir trouvé résonance au-delà des murs de la banque d'affaires. Pour éviter les "burn-out", la nouvelle patronne de la banque Citigroup, Jane Fraser, a banni cette semaine les réunions vidéo le vendredi et incité ses salariés à prendre des vacances. Elle-même prendra quelques jours fin mars pour revenir "avec un cerveau plus frais", a-t-elle assuré. Le PDG de Goldman Sachs, David Solomon, a promis d'apporter des renforts aux jeunes analystes et de mieux faire respecter la règle bannissant le travail le samedi... une politique théoriquement en place depuis plusieurs années déjà, peut-être nos jeunes recrues n'avaient-elles pas reçu le mémo.
Qu'il s'agisse des banques, des cabinets de conseil ou d'avocats, les recruteurs sont toujours très clairs avec les candidats sur l'intensité du travail qui les attend, affirme Paul McDonald, de l'agence de recrutement Robert Half. Mais il ne faut pas oublier que les derniers arrivés "ont terminé l'université en ligne, n'ont pas pu avoir leur traditionnelle cérémonie de diplômes et sont entrés dans l'entreprise en télétravail", remarque-t-il. Certes, ils font partie d'une nouvelle génération à qui on a appris à "lever la main" et "à se faire entendre", relève le spécialiste des ressources humaines. De nombreux managers "prennent cela comme une remise en question de leur autorité, mais ils veulent en fait juste participer, comprendre les règles du jeu et avoir voix au chapitre".
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