SPÉCULATIF - Repassé au-dessus de la barre des 6000 points, l’indice parisien affiche une santé insolente, meilleure encore que celle des grands indices américains. Alors, reprise, ou spéculation ? Une économiste nous aide à y voir clair.
Un an pile après que l'OMS ait officiellement reconnu l'épidémie de Covid-19 comme une pandémie, c'est comme si la Bourse de Paris avait décidé d'ignorer la crise, et de remettre la balle au centre. En passant aujourd'hui la barre des 6000 points, l'indice CAC 40 est revenu à son niveau de début 2020, effaçant des pertes qui s'étaient d'ailleurs concentrées au début de la crise.
Plus qu'un baromètre de la santé réelle de l'économie, les indices boursiers sont d'abord un indicateur avancé de ce qu’économistes et investisseurs prévoient pour notre avenir à plus ou moins long terme. Et si l’on en croit la courbe du CAC 40, les prévisions sont bonnes. Mais s'expliquent-elles uniquement par la reprise économique annoncée ? Pas si sûr… C’est en tout cas l’analyse de Véronique Riches-Flores, économiste indépendante et fine analyste des marchés financiers.
LCI : Si le CAC 40 remonte si fort aujourd’hui, c’est parce qu’il anticipe une forte reprise économique ?
Véronique Riches-Flores : On pourrait s’en contenter comme explication, mais en fait, le CAC anticipe bien plus que la reprise, il mise aussi sur les effets des plans de relance, et particulièrement sur tout ce qui se passe autour de la relance verte. J’ai l’impression que cela explique cet enthousiasme, qui va de pair avec la remontée des matières premières et de certaines valeurs cycliques, comme les bancaires par exemple. Ces dernières retrouvent pour la première fois depuis très longtemps des couleurs du fait de la remontée annoncée des taux d’intérêts. En fait, tout cela va au-delà de la reprise, le marché suggère que cette reprise pourrait balayer le décor antérieur, qui était plutôt déflationniste, dépressif, englué dans un surcroît de dette, qui était nocif pour le système bancaire.
La remontée des matières premières, elle traduit quoi exactement ?
C’est une remontée comme on n’en voit presque jamais, certains analystes nous promettent aujourd’hui un “super-cycle” des matières premières, un peu comme celle des années 20, il y a un siècle, même si on a vu comment ça avait fini (par la crise de 1928 - NDLR). En fait, le marché spécule beaucoup sur les plans de relance, sur cette idée que la relance verte va aller au-delà de l’injection d’argent frais en soutien de l’économie.
Ce que l’on voit aujourd’hui, c’est beaucoup d’investissements dans le renouvellement des infrastructures, dans les nouvelles normes environnementales, et dans des pans entiers de l’économie qui vont profiter de cette impulsion, on pense à tout ce qui touche aux infrastructures, à la construction, à l’énergie aussi. On parle beaucoup du plan de relance européen, mais pendant ce temps-là les Américains ont promis d’investir 7000 milliards de dollars dans des projets structurels dans les dix années à venir.
Pour l’instant, on est dans une logique spéculative
Véronique Riches-Flores, économiste indépendante
Cela n’aurait que des vertus ?
Sur le papier, si on a plus de croissance, on a de l’emploi, et cet emploi capte la croissance, évite l’inflation, et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes (rire). Mais en fait, le paradoxe, c’est que tous ces grands chantiers vont avoir un volet "Schumpeterien", ils auront leur part de destruction créatrice. Quand on intègre la digitalisation galopante que l’on voit à l’œuvre aujourd’hui, et que l’on se projette dans l’avenir pour en imaginer le bilan en terme d’emplois, de pouvoir d’achat, et d’inégalités, alors la conclusion pourrait être nettement moins réjouissante. On voit mal comment on créerait de la “reflation” avec la perte massive d’emplois faiblement qualifiés qui sont d’ordinaire le gisement d’emplois qui sert de moteur à toute reprise.
Donc la bourse investit surtout sur les milliards injectés dans l’économie, ou économisés par les ménages ?
Oui, pour l’instant on est encore dans une logique spéculative, le marché projette que cette épargne forcée va revenir au moins en partie dans le circuit économique. Il faut réaliser que les ménages, tous pays confondus, ont mis de côté plus de 3000 milliards d’épargne (200 milliards d’euros environ en France - NDLR), c’est du jamais vu ! Si cette épargne revient même très marginalement dans la consommation, ça devrait occasionner un boom économique incroyable. Après, la vérité est forcément plus complexe, il y a des ménages qui en profitent pour réduire leur dette, ou payer des arriérés. Mais cet impact sur la consommation, on le verra sûrement bientôt.