LE WE 20H

Prolifération des "dark kitchens" : un marché (trop) porteur

V. Fauroux | Reportage vidéo : François-Xavier Ménage et Olivier Cresta
Publié le 22 octobre 2022 à 19h30, mis à jour le 22 octobre 2022 à 19h44
JT Perso

Source : JT 20h WE

Le gouvernement veut mettre fin au "flou" entourant les "dark kitchens".
Un arrêté va permettre aux municipalités de s'opposer à l'installation de ces cuisines fantômes.
Destinées aux livraisons de repas à domicile, elles ne créent aucune activité dans les centres-villes.

Incarnations du "quick commerce" qui permet de commander des produits en ligne et d'être livré en quelques minutes, les "dark kitchens" ("cuisines de l'ombre", NDLR) se sont multipliés au cœur des métropoles depuis 2020, à la faveur des confinements et des couvre-feux successifs. Ainsi, pour la livraison d'un repas à la maison en 15 minutes, une myriade de plateformes s'offre à vous. Côté menus, ils sont souvent concoctés dans ces cuisines de l'ombre. Pour le propriétaire, pas besoin de CAP ni de formation, ni d'attendre de longs mois. Pas besoin non plus d'investir beaucoup d'argent. 

Même principe qu'une location meublée

Illustration dans un quartier résidentiel de Toulouse (Haute-Garonne). On aurait pu y installer un restaurant traditionnel, mais à la place, on trouve une dizaine de cuisines : asiatique, brésilienne ou encore des spécialités à base de cordon bleu. Le chef cuistot a à peine 13 m² pour préparer ses plats et il doit reverser jusqu'à 30% du prix d'un menu aux plateformes de livraison. "Je fais tout : les courses, la production et le service. C'est assez pratique dans le sens où moi, je suis dans ma cuisine et la 'dark kitchen' s'occupe du reste", explique Jennifer Maroselli-Elicha, fondatrice de Cordon B, dans la vidéo du JT de 20H en tête de cet article. Le reste, c'est le comptoir où les clients commandent leur repas via une application ou directement devant une borne, et où attendent les livreurs. Sans eux et leurs cadences souvent infernales, il n'y aurait pas de "dark kitchens". 

Et le marché est porteur. Pour installer une cuisine, c'est le même principe qu'une location meublée, explique Éric Descargues, cofondateur avec Florent Garin de "Popafood" à Toulouse. "Dans chaque box, on trouve un frigo, une hotte aspirante, un plan de travail réfrigéré, la clim et une compensation d'air, indispensable quand on est dans une cuisine. Si on a bien anticipé les choses, en une semaine, on démarre. Vous arrivez, c'est clef en main", dit-il. Le tout pour 1000 euros par mois. À terme, les propriétaires des lieux ont des objectifs très ambitieux. "On peut peut-être sortir 600 à 900 repas par jour et on essaie de multiplier les canaux pour distribuer, toujours avec l'outil digital", avance Florent Garin.

"Chaque minute, chaque seconde compte"

Dans toutes les grandes villes de l'hexagone, les "dark kitchens" investissent de plus en plus les commerces traditionnels pour les transformer radicalement. Mais le secteur est-il rentable ? D'après Bercy, il faudrait que le panier moyen soit de 50 euros. Or, actuellement, il est à 25 euros. Alors, certains "dark kitchens" font tout pour augmenter les cadences en vue d'avoir plus de quantité. Comme à Aubervilliers où s'est rendu le JT de 20H. Une dizaine de cuisines sont réparties sur deux étages. Il y a même, comme dans les usines, des tapis roulants pour que les livreurs réceptionnent au plus vite les commandes. À l'image des gares, des panneaux d'affichage indiquent quand la commande est prête, car il n'y a pas une seconde à perdre.

Pour aider les "dark kitchens", des start-up proposent même des systèmes informatiques très poussées afin d'optimiser la durée de cuisson et de livraison. "Chaque minute, chaque seconde compte. Derrière ça, il y a un algorithme qui prime et si on met trop de temps à produire, si on fait trop d'erreurs, si le menu est mal optimisé, aujourd'hui, on sera mal référencé", souligne Foucauld Haffreingue, co-fondateur de Rush Hour.  

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Ce système mis en place ne rassure pas les enseignes traditionnelles. Pour Alain Fontaine, président de l'Association française des maîtres restaurateurs (AFMR), les "dark kitchens", c'est de la concurrence déloyale : "Aujourd'hui, on est devant une sauvagerie économique qu'il faut absolument régler parce qu'on ne peut pas l'accepter. Nous sommes des artisans de la nourriture, des artisans du plaisir, du bien-être et devant nous, on a des gens qui font croire qu'ils pourraient faire la même chose que nous. Il y a un leurre qu'il faut dénoncer", s'alarme-t-il.

D'ici à la fin de l'année, Bercy promet de nouvelles règles : les maires pourront décider d'interdire toute ouverture de "dark kitchen", qui seront déclarées, non plus comme des cuisines, mais comme de simples entrepôts.


V. Fauroux | Reportage vidéo : François-Xavier Ménage et Olivier Cresta

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