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Cernée par les sanctions, comment la Russie s’en sort-elle économiquement ?

Caroline Quevrain & Samira El Gadir
Publié le 3 novembre 2022 à 20h09, mis à jour le 11 novembre 2022 à 15h01

Source : TF1 Info

La propagande russe veut montrer la bonne santé économique de Moscou.
Mais derrière ces éléments, les chiffres reflètent une réalité plus terne pour le pays.
Certaines statistiques russes liées au commerce extérieur restent d'ailleurs opaques.

Pour continuer sa guerre en Ukraine, la Russie doit se montrer forte politiquement, mais aussi économiquement. L’un des éléments centraux de la propagande du Kremlin consiste à démontrer la bonne santé de l’économie du pays et l’inefficacité des sanctions occidentales.

Cette bonne santé recouvrirait plusieurs aspects. Par exemple, dans les supermarchés, véritables marqueurs de la société, les rayons seraient remplis de produits occidentaux malgré l’embargo imposé par la Russie en 2014 et surtout, ne seraient pas concernés par l’inflation. Des affirmations trompeuses : seuls des aliments produits localement se retrouvent dans les étals russes et les conséquences de l’inflation sont bien visibles par les consommateurs - ce que reconnaît même la Banque centrale de Russie. Même chose pour le rouble qui, il y a quelque mois, était présenté comme très performant... et qui ne l’était pas tant, en réalité.

Vers 3% de décroissance en 2022

De plus, ces éléments contrastent avec ceux des économistes, plus critiques sur l’économie russe. Sur les réseaux sociaux, des internautes reprennent, chiffres à l’appui, ce qu’ils présentent comme la réalité de l’état du pays, gravement touché par les sanctions. Un chiffre peut permettre d’y voir plus clair, celui de l'évolution du Produit Intérieur Brut (PIB). D’après les prévisions du Fonds Monétaire International (FMI), faites à partir des données nationales, l’économie russe sera en récession en 2022, avec -3,4% attendu de PIB, mais aussi en 2023, avec -2,3%. Une estimation pour cette année qui se situe dans la moyenne : la plupart des économistes tablent sur 3 à 6% de décroissance, selon Julien Vercueil, économiste et vice-président de l’Inalco, l’Institut national des langues et civilisations orientales.

L'Economist Intelligence Unit (EIU), qui appartient à The Economist, prévoit quant à lui -4,4% de PIB pour cette année, puis -3,3% pour l’année suivante. "Une récession de 3 ou 4%, c’est loin d’être négligeable", souligne Agathe Demarais, directrice des prévisions mondiales de l’EIU et autrice de "Backfire", ouvrage sur les effets secondaires des sanctions américaines sur les matières premières. "Quand un pays enregistre une récession, l’année suivante, il rebondit. L’an prochain, ce qui est intéressant, c’est que l’on s’attend aussi à une récession de 2 ou 3%, puis une stagnation. Cette crise va durer." 

Les chiffres comme "armes de guerre"

Mais un facteur est loin d'être négligeable et peut mettre à mal le suivi de la situation et l’effet des sanctions  : l’opacité qui entoure la publication des données par les autorités russes, comme souligné dans ce thread cité plus haut. "L’économie russe est moins lisible aujourd’hui qu’avant la guerre parce qu’un certain nombre de données sont contrôlées politiquement, à savoir le commerce extérieur et la finance", relève Julien Vercueil. Ainsi, l’accès aux statistiques relevant du commerce extérieur (exportations, importations, commerce de l’Union économique eurasienne, etc) est restreint depuis le mois d’avril, d’après la Fondation Carnegie, un groupe de réflexion sur la politique étrangère des États-Unis. 

En effet, des données récentes sont régulièrement publiées sur le site de Rosstat à propos de la vie économique et sociale russe, comme les indices de prix à la consommation datant du 24 octobre. En revanche, la page consacrée au commerce extérieur ne fournit que des données remontant au plus tard à mai 2021. Nous avons contacté l’Office russe des statistiques des services marchands, responsable de l’agrégation de ces données à partir des statistiques douanières, qui n’a pas donné suite.

Pour Agathe Demarais, "la Russie a fait des statistiques une arme de guerre" en publiant seulement les chiffres les moins à son avantage. L'objectif serait d’empêcher les Occidentaux "d'avoir une image précise de l'ampleur des importations fantômes de marchandises sanctionnées et de fournir une couverture aux pays tiers fournissant ces marchandises à la Russie, leur permettant d'éviter des sanctions secondaires", analyse la Fondation Carnegie.

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Cette opacité n’est cependant pas totale. Comme l’indique Julien Vercueil, "ça ne veut pas dire que toutes les données sont contrôlées ou modifiées et cela ne veut pas dire qu’il est impossible de suivre l’évolution des échanges extérieurs". Par exemple, la Banque centrale de Russie publie encore des prévisions sur la balance commerciale du pays, donnant une idée plus exacte de l’état de l’économie russe.

D’après les données d'octobre, les baisses des exportations sont évaluées entre 15% et 16% pour 2022 et celles des importations, à 22,5%. "Pour une économie ouverte comme la Russie, c’est une récession", confirme le chercheur de l’Inalco."La demande intérieure russe a chuté, l’évolution nationale est négative". Agathe Demarais abonde : "La situation budgétaire de la Russie ne cesse de se détériorer et la situation va s'aggraver à partir de l'année prochaine avec l'entrée en vigueur de l'embargo européen sur le pétrole russe".

En effet, Moscou s’est enrichi au cours des six premiers mois de la guerre en vendant cher son pétrole grâce à la hausse des prix du baril. Mais ce n’est plus la conjoncture actuelle. Depuis le mois de juillet, "les recettes des exportations ont été inférieures à l’année précédente", d'après Agathe Demarais, et les nouveaux acheteurs du pétrole russe, la Chine et l’Inde, bénéficient de tarifs préférentiels. L’UE reste à ce jour le plus grand importateur de pétrole russe au monde, devant la Chine et la Turquie, mais plus pour longtemps. Les sanctions européennes, interdisant 90% de l’approvisionnement du continent en pétrole, prendront effet à la fin de l’année.

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