LES BONS COMPTES... - Prévue à plus de 120% du PIB l'année prochaine, la dette publique pose question aux économistes, pas tant par son montant que par la capacité de la France à y faire face par la croissance. À défaut, ses effets pourraient se faire sentir pendant des décennies.
Après quarante ans de hausse contenue, mais constante, rares sont ceux qui ont connu la France sans dette, devenue comme une des briques les plus normales de nos finances publiques. Mais en un an, les différents plans de soutien à l'économie ont poussé son montant au-delà des 100% du PIB annuel. Un repère que la pandémie a tant relativisé qu'à la fin de 2021, c'est à plus de 122% du PIB que le compteur de la dette devrait s'arrêter, autour de 3000 milliards d'euros. Un montant qui pose de sérieuses questions pour l'avenir.
"Certains économistes vous disent que la dette ne coûte rien", explique à LCI Marc Touati, économiste et fondateur du cabinet ACDEFI, "or chaque année, les échéances de la dette nous coûtent 30 à 40 milliards d'euros, quand notre PIB augmenter de 35 milliards environ, donc c'est déjà la soutenabilité de la dette qui a de quoi inquiéter." Une dette contractée à des taux aujourd'hui nuls, voire négatifs, mais qui mettraient le dispositif en grand danger si les taux d'intérêts venaient à remonter. Sur la durée, c'est la course entre taux d'intérêts et croissance qui fait qu'un état peut tenir ses engagements, ou pas.
Plus que le niveau de la dette, c'est donc celui de la croissance que scrutent économistes et argentiers. En la matière, le gouvernement a récemment dû revoir à la baisse sa prévision de croissance pour 2021, à +6%. Et encore, la promesse est faite sous conditions : "s'il n'y a pas de troisième confinement et si on a une reprise économique relativement régulière à partir du 1er trimestre", prévient Patrick Artus, économiste en chef de Natixis. Un alignement des planètes à préserver à tout prix, car à défaut, "tout sera différent : ça voudra dire qu'il faudra attendre 2024 pour retrouver le niveau de PIB d'avant la crise, le chômage va monter beaucoup plus haut, les faillites d'entreprises aussi", ajoute-t-il.
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Le problème ne touche pas que la France : la Banque centrale européenne (BCE) s'attend elle aussi à une reprise de la croissance plus lente que prévue en zone euro, en raison de la durée de la crise sanitaire, tandis que l'inflation restera loin de son objectif, au moins jusqu'en 2023. Après la profonde récession attendue à 7,3% pour l'année en cours, l'épidémie de coronavirus aura en 2021 "un impact plus prononcé" qu'attendu sur l'économie, expliquait il y a quelques jours la présidente de la BCE Christine Lagarde.
Un contexte où l'empilement de nouvelles mesures d'aides financées par la dette inquiète nombre d'experts. "C'est une fuite en avant qui est extrêmement dangereuse", proteste Marc Touati, "si l'on avait une économie à croissance forte comme la Chine ou les États-Unis ce ne serait pas un problème, mais dans un pays à croissance molle comme la France, cette dette mettra des décennies à être financée."
Autant de choses qui sont donc suspendues à une reprise de l'économie dont on ne connaît pas les contours exacts. Nul ne sait surtout si un retour à la normale veut dire un retour à l'économie d'avant la crise sanitaire. Une interrogation qui concerne des pans entiers de l'économie. "Est-ce qu'on retourne autant qu'avant dans les restaurants?", se demande Patrick Artus à haute voix, "Est-ce qu'on reprend autant qu'avant l'avion? Est-ce que le tourisme de masse du week-end recommence? Personne n'en sait rien."
Si la croissance n'était pas au rendez-vous, reste la solution vers laquelle tout pointe à terme, mais que tout le monde refuse à ce jour : financer la dette par une augmentation des prélèvements obligatoires. Si l'exécutif a plusieurs fois repoussé ce scénario, le calendrier d'extinction de certaines taxes a déjà été reporté à plus tard. "Et en cas de besoin, on peut faire confiance à Bercy pour nous trouver de nouveaux impôts", sourit Marc Touati.