HOMME FORT - Il est au coeur du scandale. Mais il cultive le culte du secret. Après plusieurs semaines d'une crise inédite, Emmanuel Besnier est finalement sorti du silence, contraint et forcé par l'ampleur de l'affaire du lait contaminé à la salmonelle, présentant ses "plus sincères excuses" aux familles. Mais qui est l'étrange "monsieur Lactalis", PDG et héritier du géant laitier ? Eléments de réponse.
L'homme a la réputation de ne pas apprécier qu'on parle de lui. Aucun des portraits qui lui ont été consacrés dans la presse n'ont eu les honneurs d'une réaction, et il n'a jamais accordé une interview de sa vie avant celle de ce dimanche 14 janvier dans le JDD, suivie, deux semaines plus tard, d'une autre aux Echos. "En réalité on me reproche de ne pas avoir pris la parole personnellement. Nous sommes une entreprise discrète", explique-t-il au JDD. "Ici en Mayenne, c’est vrai, c’est le travail d’abord, la parole après."
La parole est finalement venue - tant le groupe d'Emmanuel Besnier est dans la tourmente depuis plusieurs semaines. Et de quelle manière ! Dans ses confidences aux Echos, le PDG admet même que la contamination aurait pu atteindre des bébés, dès 2005... Un article du Canard Enchaîné, datant 3 janvier 2018, a notamment révélé qu'une enquête interne avait conclu à la présence de salmonelles dans la fameuse usine de Craon (Mayenne) dès le mois d'août 2017, sans que Lactalis ne prenne de dispositions suffisantes pour enrayer la crise. Depuis, les associations de familles victimes annoncent "des centaines de plaintes". Le parquet de Paris a, lui, ouvert une enquête préliminaire pour "blessures involontaires", "mise en danger de la vie d'autrui", "tromperie aggravée par le danger pour la santé humaine" et "inexécution d'une procédure de retrait ou de rappel d'un produit" préjudiciable à la santé.
Et alors qu'une grande partie de la grande distribution s'est rendue coupable d'avoir continué à vendre les produits retirés de la vente, certaines enseignes mettent en cause l'attitude du premier groupe laitier et fromager mondial. Des reproches repris jusqu'au sommet de l'État. Largement de quoi obliger le président-directeur même pas quinquagénaire de Lactalis à sortir de sa réserve.
L'introuvable PDG
Signe de cette discrétion orchestrée, la réaction du ministre de l'Economie Bruno Le Maire, pourtant remonté contre le géant laitier, qui avait admis dans un demi-sourire devant la presse, jeudi 11 janvier, ne pas savoir si le PDG "se déplacerait" pour l'entretien prévu avec "la direction de Lactalis", vendredi 12 janvier. Finalement, Emmnanuel Besnier est venu... mais il est sorti par une porte de derrière pour éviter tout contact avec les médias. L'effort doit tout de même être souligné, tant ce libéral assumé mène ses affaires le plus loin possible de la puissance publique. Si un lapin avait été posé, Bruno Le Maire n'aurait ainsi pas été le seul ministre à avoir des contacts distants avec l'héritier du groupe, 11e fortune de France selon le classement 2017 du magazine Challenges. En 2016, Stéphane Le Foll, alors ministre de l'Agriculture, avait raconté à Marianne que lui-même n'avait pas son téléphone.
Il faut s'en remettre à Guillaume Garot, ex-ministre de l'Agroalimentaire et originaire de Laval, comme Emmanuel Besnier, pour dépeindre un peu le personnage. Auprès de Capital, il fait du PDG "quelqu'un de très concentré sur ses dossiers", peu porté sur la communication, tout acquis à une vision "dure" du monde des affaires. Outre des rachats de groupes par dizaines, il est un des rares fournisseurs de grandes surfaces à pouvoir leur tenir tête. Mécontent des prix qu'affichent les magasins Leclerc pour ses produits, il décide d'arrêter de livrer la chaîne... exception faite de la grande surface à la sortie de Laval, raconte Le Point, dans une enquête où la journaliste a couru en vain après le magnat.
"Empereur du fromage" et "plus mauvais payeur de France"
Laval, justement. Le patron du groupe qui concentre la colère des jeunes parents et du gouvernement est un pur produit du chef-lieu de la Mayenne. Soutien historique du Stade Lavallois, club fanion de la ville, dont il assiste aux matchs depuis une loge à la vitre teintée, le milliardaire multiplie les allers-retours depuis Paris, et fréquente assidûment le siège social local. Peu friand d'apparitions publiques, il se montre même très rarement à ses propres salariés, au point que ces derniers sauraient à peine à quoi il ressemble, rapporte encore Capital.
Une ignorance que ses fournisseurs en lait ont vite eu fait de résoudre en rendant public son visage, lors de la dernière grande crise du prix du lait. Partout sur les lieux de mobilisations pullulent les portraits assortis d'un bien peu amène "Wanted : Emmanuel Besnier, PDG de Lactalis", alors que Lactalis et ses prix sont durement critiqués. Au point qu'Emmanuel Besnier, dont le silence lui vaut d'être jugé "méprisant" par les éleveurs, récolte alors le surnom de "plus mauvais payeur de France".
Patron de l'un des premiers groupes laitiers au monde, présent dans 43 pays et employeur de 75.000 salariés, propriétaires de marques aussi célèbres que Lactel ou La Laitière, Emmanuel Besnier a promis d'indemniser toutes les familles victimes de la contamination du lait infantile. Ses dernières prises de parole annoncent-elles un changement de stratégie pour Lactalis ? Pas si sûr. Celui qui dirige le groupe depuis qu'il a à peine trente ans et le décès de son père, lui-même fils du fondateur du groupe en a vu d'autres. On ne récolte pas le surnom d'"Empereur du fromage" ou de "Howard Hugues français" par hasard.
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