Interview

"Le choc pourrait être brutal" : vers une explosion des prix des carburants en 2023 ?

Propos recueillis par Idèr Nabili
Publié le 13 octobre 2022 à 17h46

Source : JT 20h Semaine

Les prochaines semaines vont-elles être synonymes d'augmentation des prix à la pompe ?
Entre les pénuries, la fin des ristournes ou l'embargo sur le pétrole russe, les tarifs des carburants pourraient vite bondir.
C'est ce qu'explique à TF1info l'économiste Patrice Geoffron.

Depuis le début des grèves dans les raffineries et dépôts de carburant, réussir à faire le plein est presque devenu un luxe. Ce pourrait être encore pire dans les prochaines semaines. Bruno Le Maire a confirmé ce jeudi que les ristournes à la pompe mises en place par le gouvernement ne seraient pas prolongées, le ministre de l'Économie privilégiant "des aides ciblées".

La fin de l'aide généralisée sur les carburants s'ajoute à d'autres facteurs de tension, comme les grèves, l'embargo sur le pétrole russe en réponse à la guerre en Ukraine, ou encore la baisse de la production décidée par les pays producteurs de pétrole. Nous dirigeons-nous vers une nouvelle hausse du prix des carburants ? Le tarif du litre pourrait-il bientôt dépasser les deux euros ? Patrice Geoffron, professeur d'économie à Paris-Dauphine et membre du Cercle des économistes, répond à TF1info.  

La pénurie de carburants dans près d'un tiers des stations-service peut-elle entraîner une hausse des prix à la pompe ? 

Les grèves conduisent évidemment à perturber le circuit de distribution, avec des raffineries à l'arrêt. Pour y faire face, il est possible d'importer des carburants de l'étranger, notamment de Belgique. Il faut donc les acheter dans l'urgence et les acheminer en France, ce qui nécessite des coûts plus élevés, tout comme d'en importer directement transformé par bateau. Cela contribue à l'augmentation des prix.

La fin de la ristourne gouvernementale va conduire à une nette remontée des prix
Patrice Geoffron

La raréfaction des stations bénéficiant de carburant est-elle aussi un facteur aggravant ?

Oui, puisque les prix sont libres. C'est la loi de l'offre et de la demande, mais ce n'est pas la seule raison. L'acheminement en urgence nécessite de trouver des camions-citernes ou encore de payer des chauffeurs le week-end, alors qu'ils ne circulent pas habituellement. Cela conduit à des différences de prix entre les régions, en fonction des tensions sur l'approvisionnement.

Quid de la baisse drastique de la production décidée par les pays exportateurs de pétrole (Opep) ? 

La semaine dernière, les pays de l'Opep, élargie à la Russie et ses alliés, ont décidé de baisser les volumes de deux millions de barils. La production mondiale de pétrole va donc diminuer, ce qui contribue à l'augmentation des prix. Dans ce contexte, ils ont d'ailleurs déjà progressé de plus de 10% depuis début octobre. Ce qui aura des répercussions à la pompe dans quelques semaines.

Bruno Le Maire a confirmé ce jeudi matin sur RTL que le gouvernement ne prolongerait pas la ristourne à la pompe. Est-ce un facteur d'aggravation des prix ? 

Mécaniquement. Actuellement, la ristourne est de 30 centimes par litre (plus 20 centimes pour les stations TotalEnergies), puis 10 centimes du 1er novembre au 31 décembre. Ensuite, nous aurons les "vrais prix", sans la ristourne. Cela va conduire à une nette remontée des prix, qui traduiront la réalité. D'autant que nous allons y arriver au moment où l'embargo sur le pétrole russe va entrer en vigueur...

C'est-à-dire ? 

Cet embargo a pour objectif de réduire la capacité de la Russie à vendre son pétrole et ses carburants. Il est encore difficile de mesurer les conséquences pour les prix, qui dépendent du volume d'activité mondial. Nous sommes plutôt dans une phase de récession, mais ce paramètre dépend de la Chine, dont l'activité est liée au Covid-19. Si le pays sort de sa politique "zéro Covid", cela provoquera un rebond de son activité et donc de sa demande de pétrole. Il y aurait alors un "effet de ciseau" : la demande mondiale augmente au moment où l'offre recule. L'hiver pourrait ainsi être compliqué.

Il va falloir accepter des efforts de sobriété sur la route
Patrice Geoffron

Production de pétrole, pénuries, fin des ristournes, embargo... Tout est donc réuni pour une explosion des prix à la pompe...

Il est difficile de trouver le "bon réglage" d'une politique qui repose sur des rabais : la ristourne est passée à 30 centimes en septembre alors que les prix du baril étaient plus bas qu'avant l'été, provoquant un effet d'aubaine (c'est-à-dire un soutien excessif). Désormais, les ristournes vont s'éteindre au moment où le prix du pétrole va augmenter... Cela pourrait causer un choc assez brutal. Sauf climat mondial de récession, il est à craindre que 2023 démarre avec un fort rebond à la pompe.

Comment l'État doit-il agir ? 

De mon point de vue, il faut absolument que l'État, comme l'envisage Bruno Le Maire, prenne rapidement des mesures bien plus ciblées pour aider les ménages et les professions à fortes contraintes de mobilité, afin de ne pas leur infliger des carburants à 2,5 euros le litre. Il faut également que le gouvernement intègre les carburants dans ses appels à la sobriété, qui se concentrent jusqu'ici sur le gaz et l'électricité : il va aussi falloir accepter des efforts de sobriété sur la route.


Propos recueillis par Idèr Nabili

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