Pour François Bayrou, augmenter le Smic face à la hausse des prix est une "fausse bonne idée".Selon l'élu Modem, cette mesure provoquerait une "inflation immédiate" sans aucun effet sur le pouvoir d'achat.Tous les économistes interrogés contredisent cette prévision.
C'est l'une des propositions phares de la Nupes : augmenter le Smic de 15%. Présentée par Jean-Luc Mélenchon comme une mesure pour redonner du pouvoir d'achat aux salaires les plus bas, elle est une "fausse bonne idée" aux yeux de certains. François Bayrou a ainsi décrit "une escroquerie", ce dimanche 22 mai. Pour le président du MoDem, cette décision entraînerait une "inflation immédiate" sans aucun bénéfice pour le pouvoir d’achat. "Les gens perdent tout de suite ce qu'ils semblent avoir gagné", a-t-il écrit sur les réseaux sociaux. Mais les choses sont-elles réellement aussi simples ?
Une hausse des prix est "un risque"
La crainte du maire de Pau fait partie des inquiétudes exprimées à chaque fois qu'il est question d'une hausse du salaire minimum. Et à raison, puisqu'il y a deux effets à cette mesure. Le premier est "direct et automatique", pour reprendre les mots de Xavier Timbeau, directeur de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Auprès de TF1info, l'économiste rappelle que dans l'indice des prix à la consommation, "certains indicateurs sont directement reliés aux salaires, comme les services à la personne ou les services de ménage". Des postes souvent rémunérés aux salaires minimum, dont l'augmentation est directement ressentie par les particuliers employeurs.
Ensuite, le deuxième effet est plus indirect. "Les coûts de production des entreprises peuvent augmenter en fonction du nombre de salariés au Smic", poursuit le directeur général de l'OFCE. Or, ces travailleurs représentent "une fraction non négligeable en France", puisque le salaire médian est proche du Smic.
Clairement, lorsque le salaire minimum augmente, il y a "automatiquement une augmentation des couts pour l'entreprise", corrobore l'économiste Philippe Crevel. Pour le fondateur de la société d'études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, les entreprises se retrouvent alors avec "plusieurs solutions pour intégrer ce surcoût". Elles peuvent évidemment augmenter leurs prix – "créant une spirale inflationniste" - mais aussi "augmenter les gains de productivité, ou même réduire les effectifs". "En pratique, tout cela dépend du contexte. À savoir, la proportion de la hausse des salaires et la situation économique", souligne l'essayiste, auteur de Juste un autre monde.
De fait, si la situation économique est favorable et que le secteur est concurrentiel, "l'entreprise peut faire le choix stratégique de rogner sur les marges" au lieu de jouer sur ses prix, note à son tour l'économiste Eric Heyer. C'est d'ailleurs ce qui a été observé ces dernières années. Dans un bulletin publié en 2018, trois chercheurs de la Direction de la Conjoncture et des Prévisions macroéconomiques de la Banque de France observaient, avec surprise, que le dynamisme des salaires n'avait pas eu d'impact sur l'inflation dans la zone euro. Il relevait alors que cet effet était notamment lié au comportement des entreprises, dont les marges avaient baissé sur la même période. "Ce qui compense en partie l’impact de la hausse du coût du travail", écrivaient les chercheurs.
Ces "solutions alternatives" à l'inflation, c'est aussi ce qu'a observé la France lors du passage aux 35 heures hebdomadaires. "Tous les salaires horaires ont pris une grosse augmentation, sans que l'inflation n'explose", souligne Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision à l'OFCE. "Car il y a eu des aides de l'État aux entreprises, et que celles-ci ont fait des gains de productivité en réorganisant le temps de travail."
La hausse de prix ne dépasse jamais la hausse des revenus
Si les trois économistes interrogés s'accordent à dire qu'une hausse du Smic fait peser le risque d'une hausse des prix, ils sont aussi unanimes sur un autre point : il est faux d'estimer que les travailleurs "perdent tout de suite ce qu'ils semblent avoir gagné", contrairement à ce qu'a écrit François Bayrou. Car les coûts de la main-d'œuvre ne représentent qu'une fraction des frais pour les entreprises. "Le Smic, c'est une partie de la masse salariale. Et la masse salariale est elle-même une partie de la totalité des coûts de production, donc la hausse des salaires ne sera jamais répercutée à l'identique sur les coûts pour l'entreprise", pour reprendre le raisonnement d'Eric Heyer. Si cette question "dépend toujours du contexte, et [qu']on ne peut pas la maitriser", on n'observe "jamais d'annulation de la hausse du Smic à cause de l'inflation", confirme à son tour Xavier Timbeau.
L’idée que dès vous êtes élu, vous prenez votre stylo et décidez que le SMIC est à 2000 euros est une fausse bonne idée. Plus que ça c'est une escroquerie. C'est ce qui entraine une inflation immédiate, les gens perdent tout de suite ce qu'ils semblent avoir gagné. #BFMPolitique — François Bayrou (@bayrou) May 22, 2022
En résumé, la réaction de François Bayrou à la proposition de la nouvelle union de la gauche est caricaturale. Oui, la hausse des prix est possible, mais elle n'est pas automatique. Les entreprises peuvent trouver d'autres solutions pour rester concurrentielle. Et surtout, les spécialistes en macroéconomie que nous avons interrogés sont unanimes : il est impossible que l'inflation annule l'effet de la hausse du Smic.
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