Depuis le début de la guerre en Ukraine il y a un mois et demi, les sanctions à l'encontre de la Russie se font nombreuses.Beaucoup ciblent en particulier le monde du luxe, afin de sanctionner les oligarques.Ces mesures ont-elles eu des répercutions sur l'industrie de ce secteur ?
Depuis la mi-mars, plus aucune voiture de prestige, pas un sac de luxe ou bijoux haut de gamme n'arrivent à Moscou en provenance d'Europe. Les exportations sont bloquées en raison des sanctions qui frappent la Russie depuis l'invasion de l'Ukraine et qui visent aussi les oligarques proches de Vladimir Poutine. Une décision similaire avait été prise peu avant par Washington. "Nous ne permettrons pas à Poutine et à ses amis de continuer à vivre dans l'opulence tout en causant d'énormes souffrances dans toute l'Europe de l'Est", avait justifié la secrétaire américaine au commerce Gina Raimondo. Trois semaines plus tard, et après un mois et demi de guerre et de fragilisation de l'économie russe, le secteur du luxe s'en trouve-t-il pénalisé ?
Les Russes, modestes clients dans le marché du luxe
Si le pays peut apparaître comme une terre de prédilection pour le luxe, les oligarques faisant souvent étalage de leur forture, il ne représente en réalité qu'une part modeste du chiffre d'affaires des groupes de luxe : seulement 1% selon Kering ou Burberry, 2% d'après LVMH.
La Russie "n’est pas un marché de première importance", assure ainsi à TF1info Bruno Lavagna, auteur du livre "Géopolitique du luxe" (Éditions Eyrolles). "Les Russes représentent environ 5% du chiffre d'affaires dans le domaine du luxe, tous secteurs confondus. Donc ça ne va pas ébranler l’industrie du secteur", explique-t-il. Et d'ajouter : "À titre de comparaison, les États-Unis, c’est 20%, la Chine presque 50%."
Des transactions immobilières déjà compliquées depuis 2017
Parmi les secteurs les plus touchés, l'expert international du luxe compte l’immobilier, alors que les Russes étaient de fidèles clients de la côte d'Azur ou de stations comme Courchevel. Malgré tout, les répercutions sont selon lui minimes. Une réalité que confirme à TF1info Thibault de Saint Vincent, président de Barnes. "Depuis 2014 environ, nous ne vendons quasiment plus aux Russes", indique-t-il. Cela s'explique par un renforcement des contrôles sur leurs achats en Europe et aux États-Unis à la suite de la première crise en Ukraine, avec l'annexion de la Crimée. "Depuis cette époque, c’est plus compliqué pour eux d’acquérir des biens sans être bloqués au niveau des transactions", dit-il et "l'époque à laquelle des milliardaires russes achetaient, à des prix records, des biens d’exception dans le 'triangle d’or' parisien et les stations huppées est révolue".
De plus, les agences immobilières, sont, depuis le début de la guerre, obligées de rapporter à l'État français qu'elles sont en train d'effectuer une transaction avec une personne de nationalité russe. "L’administration laisse en général la transaction se faire et ils peuvent ensuite décider de geler ou non les comptes, en fonction de l’analyse qui a été faite du profil client. Parfois les gouvernements occidentaux font des amalgames rapides avec certaines clientèles, donc ça reste toujours risqué", assure Thibault de Saint Vincent.
Nous avons enregistré 22 demandes d’achat d’Ukrainiens récemment.
Thibault de Saint Vincent, directeur de Barnes
Si les Russes confiaient cependant relativement souvent leurs biens à la vente au réseau d'agences immobilières Barnes, ils ne représentaient en fin de compte qu'environ 1,5% des mandats signés et moins de 0,5 % des transactions en général. "Donc la guerre en Ukraine a, du côté russe, très peu d’impact", conclut Thibault de Saint Vincent, soulignant en parallèle un nouveau phénomène : celui d'une vague d'Ukrainiens fortunés cherchant à acheter en Europe, et plus particulièrement en France. "Nous avons enregistré 22 demandes d’achat d’Ukrainiens récemment, dont trois à Londres, sept sur la côte d’Azur, mais aussi à Paris, à Évian… Et avec des bons budgets, entre 3 et 8 millions, parfois même au-delà de 10 millions."
Une ambiance générale peu propice aux achats
Au-delà du domaine de l'immobilier, l'expert du luxe, Bruno Lavagna, estime que d'autres secteurs sont aussi touchés, tels que le yachting, avec la saisie de leurs biens sur les eaux occidentales, ou encore le monde de la joaillerie, "qui touche à des sommes astronomiques". Malgré tout, les répercutions sont selon lui, là encore, minimes.
En revanche, souligne-t-il, le secteur est ébranlé dans tout son ensemble par la guerre en Ukraine, de laquelle découle une anxiété peu propice aux achats. "Il y a de façon générale une baisse de fréquentation des boutiques. Le monde du luxe est extrêmement sensible à tout ce qui se passe à l’international", assure-t-il, se disant cependant certain de la résilience du marché. "Dès que le conflit aura trouvé une porte de sortie, ça va repartir en flèche parce que les gens vont vouloir se faire plaisir", soutient-il.
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Si la question d'un possible retour de bâton pour les enseignes de luxe occidentale se pose, il n'y a, assure Bruno Lavagna, aucun risque que cela se produise tant "l'ADN de ces marques est international". "Même quand Donald Trump qui proclamait 'America First', Vuitton a monté une usine au Texas et le président américain l’a inaugurée lui-même avec Bernard Arnault", rappelle-t-il.