Carpaccio pour les femmes, tartare pour les hommes : le sexisme se cache aussi dans notre assiette

Publié le 11 janvier 2019 à 14h42, mis à jour le 14 janvier 2019 à 17h09
Carpaccio pour les femmes, tartare pour les hommes : le sexisme se cache aussi dans notre assiette

Source : iStock

DIFFÉRENCES - De l’entrée au dessert, une multitude de stéréotypes se jouent à table dans le choix de nos aliments, souvent à notre insu. C'est ce que dévoile une étude menée par Kantar Worldpanel pour Charal. Héritage culturel, éducation, normes sociales... les raisons ne manquent pas. Décryptage.

Un jour, peut-être, une femme pourra commander une tête de veau sauce gribiche ou une andouillette lors de son premier rendez-vous amoureux sans craindre de passer pour une morfale et de faire fuir à toutes jambes le garçon de ses rêves. Eh oui, au restaurant (comme ailleurs), l’inconscient collectif dicte encore bien souvent aux femmes l'option poisson-légumes - met plus délicat, donc plus susceptible de plaire -, tandis que les hommes, eux, ne voient aucun inconvénient à choisir une entrecôte avec frites. 

Pourquoi une telle différence d'attitude ? Nos assiettes auraient-elles donc un genre ? C'est en tout cas ce qui ressort d'une étude Kantar Worldpanel pour Charal, dévoilée le 10 janvier. Selon cette enquête notamment, les femmes célibataires mangent plus de légumes frais que les hommes célibataires qui préfèrent, eux, la viande, la charcuterie, le pain, les féculents et le fromage.

Ce n'est qu'à deux ans et demi que l’enfant a les capacités de s’identifier au masculin ou au féminin. Le problème, c'est que bien avant cet âge, on lui a déjà sexué son environnement.

Catherine Vidal, neurobiologiste

Pour comprendre ce qui se joue dans nos goûts alimentaires, si différents entre les hommes et les femmes, allons voir ce qui se passe dans notre cerveau. A-t-il un sexe ? Assurément non, si l'on en croît la neurobiologiste Catherine Vidal : "90% de nos milliards de synapses se fabriquent après la naissance, c’est-à-dire à partir du moment où l’enfant est en interaction avec son environnement social et culturel. Le cerveau humain va donc se façonner en fonction des apprentissages et des expériences, ce qui explique pourquoi nous avons tous des cerveaux différents", explique-t-elle.

"Par ailleurs, ce n'est qu'à deux ans et demi que l’enfant a les capacités de s’identifier au masculin ou au féminin. Le problème, c'est que bien avant cet âge, on lui a déjà sexué son environnement. On lui a décoré sa chambre différemment. On lui a donné des jouets, des habits différents. On sait aussi que les adultes n’ont pas les mêmes aptitudes avec les bébés : avec les garçons, de façon très inconsciente, il y a davantage d’interactions physiques; on va plus les faire sauter en l’air par exemple. Alors qu’avec les filles, on va plutôt leur parler, leur sourire, ou leur chanter des chansons. Tout ce processus d’interactions avec l’enfant va contribuer à forger certains goûts alimentaires, certains traits de personnalité, certaines aptitudes en fonction des normes du féminin et du masculin données par la société dans laquelle il grandit", poursuit la thérapeute. 

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Viande rouge et testostérone

Et c'est là que le bât blesse. Comme l'assure Catherine Vidal, de nombreux travaux d'anthropologues ont ainsi montrés que dans la majorité des sociétés, les hommes sont plutôt nourris avec de la viande rouge, des graisses et des morceaux nobles. Alors que les femmes sont plutôt nourries avec des céréales, de la viande blanche et des bas morceaux. Cette différence dans les mets qui sont prescrits ou interdits est le reflet d’un processus qu'ils ont largement démontré, celui de la domination des hommes sur les femmes, avec la force associée aux premiers et la faiblesse aux secondes. 

Des progrès ont bien évidemment été faits dans nos sociétés contemporaines, mais il semblerait que nous soyons encore les héritiers de ces normes sociales qui laissent croire qu’il est important pour un homme d’avoir des muscles saillants et pour une femme d’être mince et fragile. Résultat, la viande rouge conviendrait aux hommes pour se faire des muscles et la viande blanche conviendrait aux femmes pour en avoir moins, justement... 

La pièce de bœuf serait donc un passage obligé pour les hommes, les vrais ? Si l'on regarde de plus près l'étude de Kantar Worldpanel, il semblerait effectivement que l'entrecôte soit plus masculine que le tournedos ou les brochettes (même si les écarts ne sont pas drastiques) et le carpaccio plus féminin que le tartare. Même constat pour la viande hachée, qui contient moins de matières grasses et qui est donc plus appréciée par les femmes que par les hommes.

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Mais comment expliquer que ces stéréotypes perdurent ? "Tout simplement parce qu'on continue de ne pas élever les filles et les garçons de la même manière, et ça se traduit aussi dans l’assiette", répond la psychanalyste Caroline Weill. "Vous avez certainement déjà entendu cette phrase quand vous étiez enfant : "Finis ton assiette !". Et bien, elle s’adresse en général plus particulièrement aux garçons qu’aux filles. On va trouver beaucoup plus naturel de nourrir davantage un garçon parce qu’on lui prête des besoins physiologiques plus importants. De plus, le petit garçon est élevé avec beaucoup moins de frustrations que la petite fille. On va lui laisser manger à peu près tout ce qu’il veut, alors que la fille, dès le plus jeune âge, on lui apprend la privation, comme on lui apprend à manger plus délicatement, parce que elle est davantage élevée dans l'idée de plaire".

Et donc de répondre à des canons de beauté. "La presse féminine véhicule en effet toujours cette idée de minceur, qui est associée à la viande blanche, au poisson, aux légumes, des 'aliments lights', tandis que les hommes  vont garder traditionnellement l’idée que la viande rouge est synonyme de force et de virilité", avance la psychanalyste. "Ce qui se répercute sur la façon dont les femmes vont cuisiner. On assiste ainsi à quelque chose de nouveau : de plus en plus dans les couples, l'homme et la femme ne mangent pas le même plat. Ces dernières vont se cuisiner une plus grande assiette de légumes vapeur tandis qu’elles vont continuer à servir à l’homme ce qu’il aime, toujours dans un désir de lui plaire", continue-t-elle. 

Résultat, la séduction influe sans conteste sur le choix de l'assiette. Un exemple, parmi tant d'autres, est bien révélateur de ce conditionnement : les femmes vont toujours commander une viande plus cuite que les hommes ! "Imaginez une femme demander une viande très saignante, voire bleue. Elle va immédiatement être associée à une carnivore, et donc à un fantasme de dévoration, ce qui ne peut qu'effrayer les hommes. Un conditionnement inconscient qui oblige encore beaucoup de femmes, lors d'un dîner en amoureux, non pas à se faire plaisir mais à ne pas commettre d’erreur", conclut Caroline Weill.


Virginie FAUROUX

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