COVID, ET APRÈS ? "L'école 100% à distance serait humainement insupportable"

Publié le 8 avril 2021 à 18h17, mis à jour le 9 avril 2021 à 15h55
COVID, ET APRÈS ? "L'école 100% à distance serait humainement insupportable"

Source : AFP

ÉDUCATION - Professeure émérite en psychologie de l'enfant et de l'éducation à l'université de Nantes, Agnès Florin fait le point sur les conséquences de cette pandémie en terme d'instruction et met en garde contre les dommages de l'école à distance.

C'était le cheval de bataille de Jean-Michel Blanquer, mais la crise sanitaire a eu raison de lui. Après plusieurs semaines d'hésitation, mercredi 31 mars, Emmanuel Macron a annoncé la fermeture des établissements scolaires pour une durée de trois semaines, avec un retour prévu pour les élèves de maternelle et de primaire à partir du 26 avril et seulement à partir du 3 mai pour les collégiens et lycéens. Rien ne change pour les étudiants, "grands oubliés de la crise", qui auront encore la possibilité de se rendre à l'université une fois par semaine. Agnès Florin, professeure émérite en psychologie de l'enfant et de l'éducation à l'université de Nantes, met en avant les risques d'une société où l'école deviendrait virtuelle. 

C'est à l'école que les enfants apprennent à vivre avec les autres

Agnès Florin

Qu'est-ce que l'enseignement à distance change en termes d'apprentissage, d'interactions et de construction de l'enfant ? 

Cela dépend beaucoup de la manière dont s'organise l'enseignement à distance, mais il est déjà évident que les élèves auront moins de temps pour poser des questions et les professeurs, à repérer les difficultés. Il y a des signes non verbaux que l'on repère en classe et qui sont indétectables derrière un écran, c'est toute la richesse et la complexité des relations en présentiel. 

En ce qui concerne la construction de l'enfant, c'est à l'école qu'ils apprennent à vivre avec les autres, à adhérer à des normes de groupes et à devenir des êtres sociaux. Au contact des autres, ils apprennent par mimétisme, c'est-à-dire en imitant leurs camarades ou, au contraire, s'appuient sur l'erreur du copain pour comprendre la démarche vers la solution. 

Depuis la rentrée 2020, le port du masque est obligatoire en classe pour les enfants dès 6 ans et pour leurs professeurs, quels sont les risques d'un tel dispositif ?

Il peut y avoir des conséquences sur l’apprentissage de la lecture et de la parole. Petits, les enfants se focalisent sur l'écoute et sur les expressions du visage, ils répètent et imitent. Avec le masque, c'est impossible. Sans compter qu'ils sont évidemment plus attentifs en face-à-face qu'à distance. Le masque crée donc une barrière supplémentaire qui oblige l'adulte à redoubler d'expressivité. Est-ce que cela créera des problèmes de phonologie et des expressions ? Il faudra attendre de vraies études sur le sujet pour le dire.  

Le décrochage lié au confinement ne s'observera pas tout de suite

Justement, a-t-on déjà des premiers résultats d'étude sur les conséquences de l'enseignement à distance ? 

Il est difficile d'avoir un point de vue global, car les effets varient beaucoup selon le niveau scolaire, les établissements et les élèves. Une étude du ministère de l'Éducation nationale sur la continuité pédagogique pendant le premier confinement, publiée en juillet 2020, montre que le confinement et l'école à distance ont creusé les inégalités entre les secteurs d'éducation prioritaire (REP) et non prioritaire et l'écart se creuse encore plus dans l'enseignement secondaire. 6% des élèves n’ont pas pu être suivis dans le 1er degré contre 10% en éducation prioritaire (REP), ce chiffre monte à 9% et près 20% en éducation prioritaire pour collège. Pareil pour le lycée. 

Pour ce qui est du décrochage scolaire, l'étude signale "une plus faible incidence qu'escomptée" : je ne sais pas ce que cela veut dire en réalité. Simplement, le décrochage est un phénomène qui s'observe sur le long terme avec des signes avant-coureurs, donc s'il y en a à cause du confinement, on ne l'observera pas tout de suite. 

D'un point de vue local, avec mes collègues du Centre de recherches en éducation de Nantes (Cren), nous avons interrogé 416 collégiens français en majorité dans la région Pays de la Loire, entre le mois de mai et de juillet 2020.  Ce que l'on a observé, c'est que 10% des collégiens disaient avoir un parent touché par le Covid au sens large. C'est-à-dire qu'ils ressentaient leur anxiété, le stress, la fatigue, voire les états dépressifs de certains d'entre eux. 5% des enfants avaient rarement ou jamais accès à un ordinateur. Globalement, qu'ils s'agissent des relations avec les enseignants, le suivi en classe ou les relations avec leurs parents, ils se sentent plus à l'aise au collège qu'au domicile. 

Le seul point où élèves se disent plus satisfaits au domicile qu’à l’école, ce sont les évaluations. Ce n'est pas étonnant, car c'est vraiment le point noir de l'éducation en France. Ils n'avaient pas peur des notes, des sanctions ou de devoir montrer leurs cahiers de liaison à leurs parents. 

Un bouleversement comme jamais il n'y en a eu "depuis les lois Jules Ferry"

A-t-on déjà observé d’autres bouleversement dans l’histoire semblable à celui-ci ?

C'est un bouleversement historique qui concerne toute la population comme on n’en a pas connu depuis que l’école existe. À ma connaissance, il n'y a pas eu depuis les lois Jules Ferry qui ont instauré l'école gratuite, laïque et obligatoire, un tel bouleversement dans le système scolaire, mais cela déborde la sphère de l'école.

 

L'un des sujets les plus préoccupants selon moi est la perte d'autorité pour les parents. L'autorité n'est plus à la maison, car ce n'est plus aux parents de décider si leurs enfants peuvent sortir le soir, aller en vacances dans un autre pays. Le centre décisionnel de la vie familiale est repoussé à l'extérieur de la famille. L'autre enjeu qui est très difficile à gérer pour des enfants en construction, c'est l'impossibilité de se projeter. L'avenir est impossible car incertain. 

L'école 100% à distance est-elle envisageable ? 

Non. Ce serait humainement insupportable. Pour toutes les raisons que l'on a évoquées plus haut : nous sommes des êtres sociaux et il est impossible de laisser des enfants vivre entièrement à leurs domiciles. Même si c'est probablement ce que vont essayer de promouvoir certaines boites d'enseignement privé pour vendre à qui mieux mieux des kits d'enseignement numérique. Et d'ailleurs, on a bien vu avec l'exemple des Mooc que cela ne marche pas, rare sont ceux qui vont jusqu'au bout, beaucoup abandonne en cours de route.

L'école est la seule institution qui nous fait tenir tous ensemble à des âges différents. C'est un bien commun essentiel à l’équilibre des enfants, des jeunes et de la famille. C'est un bien essentiel pour toute la société.


La rédaction de TF1info

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