INTERVIEW - En France, le harcèlement scolaire concerne encore 5 à 6% des élèves, malgré l'implication du gouvernement pour traiter le problème. Les conséquences sont parfois dramatiques : une jeune fille de 11 ans s'est suicidée le 21 juin après avoir été harcelée durant toute son année de sixième. Hélène Romano, psychothérapeute, explique qu'il faut miser sur une approche psychologique plutôt que répressive.
A l'heure des résultats du bac, du brevet et des conseils de classe, un autre bilan se fait dans les écoles : celui du harcèlement scolaire. En France, les dernières études estiment encore à 700.000 le nombre de victimes de harcèlement scolaire, dont la moitié de manière sévère, soit 5 à 6% des élèves au total. Au collège, le chiffre serait pour la première fois en baisse, avec 5,6% des élèves concernés en 2018 contre 7% en 2017, selon le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer.
Pourtant, les conséquences de tels comportements dans les établissements scolaires restent dramatiques. Le 21 juin dernier, Evaëlle, 11 ans, s'est suicidée après une année de sixième marquée par le harcèlement. Hélène Romano, psychothérapeute spécialisée dans la prise en charge des blessés psychiques et le harcèlement scolaire, revient pour LCI sur les manquements du système français pour défendre ses élèves.
La prise en charge psychologique plus efficace que le dépôt de plainte
LCI : Malgré l’entrée du harcèlement scolaire dans le droit pénal, les messages du gouvernement invitant à porter plainte, les cas continuent. Un changement de méthode est-il nécessaire ?
Hélène Romano : Cela fait plus de dix ans que l’on traite le harcèlement scolaire avec des mesures punitives, voire pénales, or ce n’est pas la solution. Certes, le harcèlement scolaire est désormais un délit, mais comme dans tout procès il faut des preuves pour que la loi s’applique. Or souvent le harcèlement ne laisse pas de traces, ce sont des comportements en huis-clos et les témoins ont peur de parler. Les plaintes sont donc classées sans suite. Non seulement cela renforce la puissance du harceleur, mais le harcelé se sent rejeté, incompris. Quand on dit aux victimes qu’il faut porter plainte pour aller mieux, on leur ment et on les blesse davantage.
Les profils des harcelés et des harceleurs sont très semblables
Hélène Romano
Il y a une confusion actuellement sur le rôle de la justice : on pense qu’elle va tout résoudre et tout faire pour réparer les victimes, c’est faux, la justice va appliquer le droit. Le système pénal est fait pour les auteurs, pas pour les victimes. La réparation des victimes est le travail des psychothérapeutes, les plaintes n’empêchent ni les harceleurs de recommencer ni les harcelés de souffrir. Les limites du répressif sont pointées dans les études et recherches sur le harcèlement scolaire depuis des années. Je ne dis pas qu’il faut abandonner la punition, mais la répression sans médiation et sans suivi psychologique, cela ne sert à rien.
LCI : Quel suivi psychologique doit être mis en place et comment impliquer les établissements scolaires ?
Hélène Romano : Pour commencer, la prévention devrait débuter très tôt, les premiers cas de harcèlement sont observés dès la maternelle. Il faut comprendre que les profils des harcelés et des harceleurs sont très semblables : ils ont des comportements qui émanent d’une souffrance psychique. Parfois les harcelés deviennent harceleurs, et inversement. Ce sont des enfants en détresse. Il faut changer la politique et la logique de prise en charge, cibler davantage sur cette dimension psychologique. Qu’est-ce qui fait qu’un enfant devient violent ou qu’il supporte de la violence sans rien dire ? Il faut faire de la médiation avec les enfants pour comprendre ce qu’il s’est passé, faire un travail sur l’empathie, l’émotion, le respect. Créer des espaces et des moments pour recevoir les élèves, leur apprendre à communiquer, à prendre soin des uns des autres, à se protéger. En les mettant en confiance et en leur apprenant à partager leurs émotions, ils pourront plus facilement accepter de voir un professionnel, psy ou éducateur, en dehors de l’école.
Il faut former tout le personnel scolaire, des professeurs aux médecins, des CPE aux surveillants.
Hélène Romano, psychothérapeute
LCI : Le collège de la petite Evaëlle, qui s'est suicidée en juin après une année de harcèlement, appliquait pourtant une méthode reconnue de prévention. Pourquoi cela n’a-t-il pas été efficace ?
Hélène Romano : La méthode Pikas utilisée dans ce collège est un travail de médiation qui vient d’Europe du Nord. Le problème est qu’en France, elle n’est pas mise en place avec les moyens de formation nécessaires. La médiation sans les capacités d’écoute, de communication et d’accompagnement, est plus compliquée. Aujourd'hui, les professeurs ne sont pas formés, il n’y a pas de lieu d’accueil spécialisé, tout est à faire. Tant que l’on aura pas mis en place une réelle prise en charge psy, on ne s’en sortira pas.
J’ai fait partie des formateurs de professeurs en Seine-Saint-Denis : c’était une demi-journée avec 900 personnes dans un amphithéâtre, ce n’est absolument pas suffisant. On donne des fiches techniques aux professeurs, mais ils ont besoin d’être mis en situation pratique. Même les médecins scolaires ne sont pas formés alors que ce sont des personnes ressources. Ils attendent que les élèves viennent d’eux-mêmes exprimer leur mal-être, on est complètement à côté de la réalité du comportement d’une personne blessée psychiquement. Il faut former tout le personnel scolaire, du professeur au médecin, du CPE aux surveillants. Oui, cela coûte de l’argent, mais il n’y a pas la volonté.
Parents d'élèves harcelés : privilégiez le suivi médical et l'aménagement des cours
LCI : En tant que parents d’élève harcelé, comment agir concrètement autrement qu’en portant plainte ?
Hélène Romano : Il faut que les parents fassent des déclarations d’accident de vie à l’établissement scolaire. Dans le code de la santé scolaire, comme dans le code du travail, est mentionnée l’obligation que le milieu scolaire ne soit pas un espace mettant en danger votre santé. Le harcèlement scolaire doit donc être signalé par une déclaration d’accident à l’assurance scolaire, et une déclaration d’accident à l’assurance personnelle des parents. Il faut prendre rendez-vous avec le médecin généraliste, faire un arrêt-maladie si nécessaire et axer sur les conséquences somatiques : les problèmes de sommeil, d’angoisses, les problèmes dermatologiques développés en réaction.
Il est important d’insister pour rencontrer le médecin scolaire et monter un “projet d’accueil individualisé” pour l’enfant. Ce dispositif initialement mis en place pour les enfants malades sont désormais applicables aux enfants en souffrance psychologique. Cela permet de faire des aménagements d’horaires, notamment pour éviter les trajets problématiques ou la cantine, de bénéficier de cours à domicile sur une demi-journée, de faire du sur-mesure. Dans tous les cas, il faut cibler l’aspect médical.
LCI : Le changement d’établissement, en cas de harcèlement scolaire répété, est-il encore une solution ?
Hélène Romano : Si c’est une demande de l’enfant, oui. Cela peut aussi être une solution lorsque l’établissement ne veut rien entendre et n’agit pas. Mais le plus souvent, c’est vécu comme une double peine pour l’enfant victime, il perd ses repères et si il n'a pas été aidé pour reprendre confiance en lui et communiquer, les choses ne se passeront pas différemment. Les études qui ont été faites montrent que le changement d’établissement sous contrainte rassure les adultes, mais ne règle pas le problème. Cela donne par ailleurs un pouvoir épouvantable aux élèves harceleurs, le pouvoir de faire partir un élève, de mettre à mal le système éducatif au point que ce soit la seule solution. C'est pour cela qu'il faut travailler entre parents d'élèves et équipe pédagogique.
Quand votre enfant est harceleur, ou harcelé d’ailleurs, vous vous en prenez plein la figure par l’établissement scolaire pour savoir comment cela se fait, ce qu’il se passe à la maison, etc. Il y a un renvoi de culpabilité, alors qu'il faudrait surtout comprendre et agir ensemble.
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