SCOLARITÉ - Et si nos origines avaient un impact sur la réussite scolaire ? La question, susceptible de faire grincer des dents, est l'objet d'une étude très sérieuse du Cnam, parue au mois de décembre dans une revue statistique du ministère de l'Education nationale. Décryptage...
Etre un enfant d'origine asiatique, et de surcroît une fille, voilà le duo gagnant pour réussir à l'école. C'est en tout cas ce que tend à démontrer une étude du Cnam, parue en décembre dernier dans la revue Éducation & formations du ministère de l’Éducation nationale. Pour en arriver à cette conclusion, la sociologue Yaël Brinbaum a étudié les trajectoires scolaires des enfants d'immigrés nés en France, jusqu'au baccalauréat, à partir d'un panel de 30.000 élèves entrés en sixième en 2007, en confrontant les résultats des enfants dont les parents sont nés en France avec ceux dont les deux parents sont nés à l’étranger.
Il en ressort que les enfants de parents venus d’Asie ont plus de réussite que les autres (y compris de ceux de parents français) : moins de redoublements dès l’école primaire, meilleurs niveaux scolaires en sixième puis en fin de troisième, orientations plus fréquentes vers les filières sélectives, taux record de baccalauréats généraux, notamment scientifiques. Ainsi, 89% des enfants d’immigrés venus d’Asie ont eu le bac, contre 80% pour ceux dont les parents sont Français.
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Les filles, plus souvent en réussite
A contrario, les élèves d’autres origines migratoires détiennent moins souvent un baccalauréat que les enfants de parent nés en France, sauf les descendants du Portugal qui s'en rapprochent (78%). A noter que les élèves de parents nés en Turquie sont plutôt en sous-réussite et nombreux sans diplôme. Cependant, la prise en compte du sexe en plus de l’origine migratoire fournit une toute autre photographie : ainsi, les filles de la seconde génération ont rattrapé celles de la population majoritaire − au niveau des taux de bachelières −, à l’exception des descendantes de Turquie. Toutefois, elles obtiennent davantage de baccalauréats professionnels. A contrario, parmi les garçons, plusieurs groupes ont des taux plus faibles de bacheliers (de 61 % à 64 %), sauf ceux d’origine portugaise ou asiatique, qui se rapprochent, voire dépassent la population majoritaire, détaille cette étude.
Des réussites qui s’expliqueraient notamment par les aspirations, particulièrement élevées chez les familles immigrées, qui voient en l’école un moyen d’intégration et de mobilité sociale. Selon l'étude, les parents asiatiques sont 86% à aspirer au Bac pour leurs filles (79% pour les garçons), contre 85% dans les familles où les deux parents sont nés en France (79% aussi pour les garçons). L’étude montre aussi que quand ces attentes sont déçues, l’impression d’injustice et d’inégalité face au système scolaire est accrue ; un sentiment plus marqué chez les garçons originaires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne dans les filières professionnelles. Les filles, plus souvent en réussite, semblent, lorsqu’elles sont en échec, moins l’attribuer à leur origine migratoire.
Le poids des origines sociales
Autre constat, les inégalités d’origine masquent de fortes inégalités sociales d’éducation : alors que plus de la moitié des élèves français d’origine (54 %) appartiennent à des familles favorisées, ils ne sont que 18 % à 20 % dans les familles portugaises, d’Afrique subsaharienne ou d’Asie et ne représentent que 9 % des familles turques. Outre le rôle prédominant de la position sociale et des diplômes des parents, la langue parlée en famille a un effet : parler une autre langue – toujours ou souvent − plutôt que le français diminue sensiblement le niveau initial, et c'est le cas dans plus de 60 % des familles maghrébines, portugaises et turques.
Les familles immigrées ne disposent ainsi pas des mêmes ressources que les familles françaises sans ascendance migratoire pour accompagner leurs enfants scolairement, souligne cette enquête. Par conséquent, les écarts de performance sont élevés pour ceux qui cumulent les facteurs défavorables à la réussite scolaire (origines modestes, redoublements nombreux en primaire, ségrégation scolaire), tels que les enfants d’immigrés d’Afrique subsaharienne.
Des statistiques qui font réagir
Les résultats de cette étude ont suscité de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux. Certains se demandant si on ne cherche pas à comparer des élèves français et étrangers. Comme le stipule l'enquête, il s'agit bien de mettre en parallèle les trajectoires scolaires d'enfants d’immigrés, nés en France, à ceux dont les parents sont Français. Par ailleurs, ce ne sont pas des statistiques ethniques, précise le ministère de l’Éducation nationale, contacté par France Inter.
"Demander le lieu de naissance et la nationalité, et même le lieu de naissance et la nationalité des parents, aux membres du panel n’est pas de l’ordre de la statistique ethnique (et c’est d’ailleurs le cas lors des recensements nationaux). Des questions sur la 'race', la religion ou la couleur de peau, elles, sont formellement interdites", avance le ministère, ajoutant que cette étude a été déposée à la Cnil qui a la compétence pour valider ou non l’utilisation de données sur les personnes sondées.