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"Notre fille est plus heureuse" : qui sont ces parents qui fuient la ville au nom du bien-être de leurs enfants ?

Publié le 3 mai 2019 à 16h15, mis à jour le 4 juin 2019 à 10h21
JT Perso

Source : JT 13h Semaine

NÉO-RURAUX - Fuir la pollution, l'insécurité, le manque d'espace ou encore le coût de la vie... Quelles que soient leurs raisons, de plus en plus de parents décident de partir élever leurs enfants en zone rurale dans le but de bénéficier, entre autres, d'une maison avec jardin et d'un meilleur art de vivre. Plusieurs d'entre eux nous racontent leur expérience.

"Dans le sud, on a une autre qualité de vie. Bien sûr, je gagne moins d'argent qu'à Paris mais quand je regarde par la fenêtre, je vois des champs d’oliviers, et ça, ça n’a pas de prix". Vingt ans après s'être installée en pleine campagne, à 25 km d'Aix-en-Provence, avec son mari et son fils de 14 ans, Hélène Dorey ne regrette rien de ce changement de vie, malgré les nombreux trajets en voiture imposés par leur nouvelle implantation. "Avant, on habitait dans le 19ème arrondissement et il y avait beaucoup de tensions. Je dis désormais à mon fils qu'il a beaucoup de chance d'être loin de tout ça", poursuit-elle. 

Pour la jeune femme, même si avoir un enfant ne suffit pas pour prendre une telle décision - "il faut au minimum avoir un projet ou que l'un des deux conjoints ait un boulot sur place", nous dit-elle -, le fait de fuir pour lui la pollution et surtout l'insécurité a drôlement pesé dans la balance. "On en parle souvent dans le village, ici on se sent protégé de tout ce qui se passe, de tout ce qu'on voit à la télé; on est beaucoup plus tranquille", confie celle qui a décidé, du coup, de faire profiter tous les futurs aspirants à la mise au vert de son expérience, au travers d'un guide : "Choisir de quitter la ville" (Editions Vocatis).

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200.000 personnes quittent l'Ile-de-France chaque année

Mais qui sont-elles vraiment, ces familles qui désertent les espaces urbains ? "Sur les 6 millions de personnes qui seraient prêtes à quitter l’Ile-de-France, 200.000 franchissent le pas chaque année. Et aucune des grandes agglomérations françaises n’échappe au phénomène", assure l'auteure. Il semblerait même que le retour à la terre soit un processus qui s'installe durablement. Ainsi, selon l'Insee, en 2014, les communes faiblement peuplées ont gagné 104.000 habitants, quand celles qui sont un peu plus grosses en ont perdu 114.000. Parmi ces néoruraux, il y a de plus en plus de jeunes couples, avec enfants, qui, à l'image d'Hélène Dorey, considèrent que les embouteillages, la pollution, le bruit, et tous les autres inconvénients de la ville compliquent leur tâche éducative. 

Comme l'explique la Fédération des Familles rurales, jointe par LCI, "avec l'arrivée des enfants, on a souvent besoin de plus d'espace, et d'un cadre plus propice à leur développement avec un environnement moins urbain, moins pollué et plus près de la nature". "La motivation première n'est pas forcément l'enfant, nous précise-t-on encore, mais le fait d'être parent amplifie les raisons qui font qu'on quitte la ville". Et comme pour mieux enfoncer le clou, dans son étude publiée en octobre 2018, Familles rurales révèle que "pour 81% des Français, vivre à la campagne représente la vie idéale, qu’ils y travaillent ou non. Seuls 19% aspirent à une vie totalement urbaine (comme lieu de vie et de travail). La qualité de vie, le calme et la nature apparaissent comme les principaux attributs qui pourraient conduire les Français à s’installer dans le monde rural, devant le moindre coût de la vie".

Soyez réaliste, vos enfants n’ont pas eu comme vous un coup de foudre pour le Cantal lors des dernières vacances estivales. Leur dire que vous faites cela pour eux, pour leur avenir, aura certainement autant d’impact que le message 'fumer tue' sur un fumeur.

Hélène Dorey, auteure du guide "Choisir de quitter la ville"

Des convictions qui se heurtent parfois à la réalité du terrain. Ainsi, parmi les griefs qui arrivent en tête des familles ex-citadines, les services et infrastructures éducatives sont toujours jugés insuffisants. Et puis, il faut aussi faire avaler la pilule à ses enfants, notamment les plus grands, avec une angoisse de taille à déconstruire : la perte des ami(e)s ! "Soyez réaliste, vos enfants n’ont pas eu comme vous un coup de foudre pour le Cantal lors des dernières vacances estivales, plaisante Hélène Dorey dans son livre. Leur dire que vous faites cela pour eux, pour leur avenir, aura certainement autant d’impact que le message 'fumer tue' sur un fumeur. Ils ont d’autres priorités que les adultes". Une expérience vécue par Gérard et Michelle, qui ont changé de vie pour devenir tous deux agriculteurs dans la Drôme et sont les heureux parents de Thibaud (6 ans au moment du déménagement) et Alexandrine (15 ans). "Nous avons de nombreux amis qui ont eu le même cheminement ville-campagne que nous, et pour eux ce sont effectivement l’éloignement avec les amis, les copains de classe… qui a posé problème", racontent-ils. 

Parmi les arguments percutants à développer, il faut insister sur les possibilités de transport, selon notre experte. "Avec le TGV, en ce qui nous concerne, nous sommes à deux heures de Paris. Et guère plus des pistes de ski, en voiture. Des annonces qui ont rassuré tout notre petit monde, confirme les parents de Thibaud et Alexandrine. Autre point qui a fait mouche, nous allions avoir une maison plus grande, ce qui signifie que chacun aurait sa chambre et qu’une ou deux pièces pourraient être réservées aux invités. Comme les autres parents, nous avons eu droit à la petite phrase 'la Province de toute façon, c’est ringard'. A vous de leur démontrer qu’internet est accessible (ou presque) dans les coins les plus reculés, que des équipements sportifs sont à disposition, ainsi que des cinémas, des théâtres… Et puis en y regardant de plus près, nous avons constaté qu’à Paris nous avions certes à disposition une vie culturelle très riche, mais qu’à cause des prix des places de concert, des difficultés de stationnement, nous en profitions peu".

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Pour Maxime et Marie-Laure, parents de Lison, 3 ans, le transfert ville-campagne s'est lui passé sans heurts. Et pour cause, leur fille avait un an quand ils ont décidé de faire le grand saut, et donc pas encore l'âge des copains-copines. "C'est un discours de parent, mais je pense qu'elle est plus heureuse ici qu'en ville, affirment-ils. Si on était resté dans notre petite maison, à Clermont-Ferrand, elle n'aurait certainement pas eu le même développement et le même intéressement face à la nature". 

Mais au-delà du bien-être de leur enfant, c'est un autre élément qui a tout déclenché : Maxime ne voyait pas sa fille grandir. "J'avais des amplitudes horaires assez importantes et, certains mois, je ne la voyais que les week-end, du samedi midi au dimanche soir. Le matin quand je partais, elle dormait, même chose le soir quand je rentrais. Il était temps de faire autre chose", explique-t-il à LCI. Aujourd'hui, deux ans après s'être installé dans un petit village de 360 âmes, à 70 km de là où ils habitaient auparavant, le constat est plus que positif. "On est en train de monter un projet de maraîchage biologique, couplé à un atelier de transformation alimentaire en conserve avec les produits de notre terrain, détaille-t-il. On n'est pas juste venu à la campagne parce que c'était mieux, c'est aussi et surtout un projet familial. A partir du mois de juin, on va enfin pouvoir vendre nos premiers légumes !"

Et même si la ville garde parfois leur faveur, notamment pour ses activités culturelles et son réseau de transport  - "Ici on a dû acheter une voiture... électrique, je précise", reconnaît Maxime -  rien ne les fera retourner en arrière. Le télétravail leur permet de garder une petite activité en tant qu'architecte, leur premier emploi, au cas où leur micro-entreprise ne marcherait pas. Quant à l'éducation de leur fille, une petite école avec deux classes se maintient dans le village et une épicerie vient de rouvrir ses portes. "Vous savez, la fermeture des écoles en zone rurale, c'est avant tout politique et non démographique. Quand une école ferme, ce n'est pas un problème d'habitants ou d'élèves, c'est plutôt par manque de moyens ou plus grave, par manque d'envie", insiste le père de famille, qui se ravit de pouvoir enfin partager le quotidien avec sa fille. "On va au jardin ensemble et je peux lui faire découvrir tout ce qui l'entoure. C'est un régal. Mais vous savez, c'est un luxe abordable par tous, il faut juste savoir sortir du moule des '35 heures', se libérer des contraintes et remettre la famille au premier plan... bien avant le travail", confie-t-il. En attendant, leur deuxième enfant devrait montrer le bout de son nez dès le mois de juin.


Virginie FAUROUX

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