FACE CACHÉE - Que contiennent vraiment les assiettes de nos enfants à la cantine ? Une question bien légitime, surtout quand ils rentrent affamés de l'école et se jettent sur leur goûter sans demander leur reste. Sandra Franrenet, auteur du "Livre noir des cantines scolaires", a voulu en avoir le cœur net. Accrochez-vous, la réalité n'est pas vraiment appétissante !
Qu'on ne se voile pas la face, des générations d'enfants ont été écœurés à vie des choux de Bruxelles après en avoir mangés de façon récurrente à la cantine. Ces dernières années, beaucoup d'établissements ont fait de gros efforts et proposent désormais des menus sains et bons. Mais ce n'est pas le cas partout. "Oui, la cantine peut traumatiser !", lance Sandra Franrenet au début de notre entretien. Et elle sait de quoi elle parle. Cette jeune femme, titulaire d'une thèse en éthique médicale, a enquêté durant des mois dans les coulisses de celle de sa fille, scolarisée dans le 18ème arrondissement de Paris. A l'arrivée, un ouvrage choc : "Le livre noir des cantines scolaires" (Leduc.s Editions), paru en septembre dernier.
Avant de mettre son nez dans les arrières-cuisines des géants de la restauration, l'auteure était plutôt restée avec l'idée fataliste que la cantine, "c'est pas bon", se souvenant essentiellement du mauvais goût de certains aliments. Mais, au fur et à mesure de son immersion, elle s'est vite rendue compte que "le goût n'est même plus le souci". "C’est horrible à dire mais quelque part, on s’en fiche presque. Car là, on est face à un problème de santé publique", dénonce la jeune femme. Regroupée avec plusieurs parents sous le collectif "Les enfants du 18 mangent ça", elle a découvert que sa fille ingurgitait chaque midi ou presque des produits industriels, autrement dit des produits ultra-transformés, gavés de sucre, de sel, d'additifs et de pesticides...
Plats en sauce, en veux-tu en voilà
Comment en est-elle arrivée à cette conclusion qui fait froid dans le dos ? "Premier point noir, certaines collectivités optent pour une cuisine centrale, en gros une unité de production qui va élaborer les repas pour plusieurs, voire toutes les cantines d'un même périmètre, ce qui est le cas dans le 18ème arrondissement de Paris où 14.000 repas sont préparés chaque jour", explique Sandra Franrenet. "On voit bien qu’on est dans une logique industrielle. Ces cuisines centrales n’ont de 'cuisine' que le nom. En fait, ce sont des lieux d’assemblage. On fait venir des ingrédients déjà conditionnés en vrac, qu’on va reconditionner sur place en une seule et même barquette. Par exemple la ratatouille, ce sont des boîtes qu’on va ouvrir et réchauffer", poursuit la jeune femme.
Autre aberration qu'elle pointe, le choix souvent fait de la liaison froide : les aliments sont préparés, cuits, puis refroidis et sont ensuite maintenus plusieurs jours en chambre froide à 3°C, avant d'être acheminés. "Le problème, c'est qu'au pays de la liaison froide, point de viande ou de poisson grillés accompagnés de légumes vapeur, ça n'existe pas ! Et pour cause : comme les plats sont cuisinés à l'avance, on se doute bien qu'une fois réchauffés, ils vont être secs. Pour que ce soit mangeable, on met donc de la sauce, beaucoup de sauce", avance Sandra Franrenet. "De plus, pour gagner du temps, les prestataires achètent des fonds de sauce industriels (fumet de poisson, fond de veau) qui sont bourrés d'additifs, d'exhausteurs de goût, de sel et de sucre sous diverses formes : amidon, dextrose, glucose...".
Le bio à la cantine, une supercherie ?
Mais qu'on se rassure, le bio est dans la place. En mai dernier, l'Assemblée nationale a adopté un article de loi qui obligera dès 2022 les cantines à servir au moins 50% de produits bio. Et dans les faits, quand on regarde les menus scolaires, il y a plein de jolis labels AB partout. "Ce qui rassure beaucoup les parents, car dans leur tête bio veut dire bon pour la santé", confirme Sandra Franrenet. Mais ce n'est pas toujours un gage de qualité. "Quand on regarde bien, le bio proposé à la cantine est souvent ultra-transformé (aliment qui contient plus de 5 ingrédients, ndlr) et donc bourré de sucre. Bio ne veut pas dire non plus qu'on va avoir des vitamines et des minéraux dont les enfants ont besoin. C’est sûr, il vaudra toujours mieux de l’ultra-transformé bio que de l’ultra-transformé conventionnel, mais c’est loin d’être satisfaisant. En plus, la plupart du temps, c’est du bio qui vient d’Espagne, d’Italie ou de Pologne et non du petit agriculteur du coin !", s'insurge la jeune femme.
Enfin, pour ne rien gâter, comment savoir si les prestataires extérieurs utilisent vraiment du bio comme le leur impose leur cahier des charges ? "Normalement, quand on fait le choix d’avoir un prestataire privé, on est obligé de le contrôler. Sauf qu’en réalité, beaucoup de collectivités ne le font pas, parce qu'elles n’y connaissent rien ou qu'elles ont juste envie de faire confiance", assure l'auteure. "Par exemple, si dans le cahier des charges, il est prévu qu’il y ait 20 ou 30% de fruits bios, vous vous attendez à ce que ce soit le cas. Or, si vous contrôlez le classeur avec les étiquettes, vous pouvez vous rendre compte qu’il n’y a pas de fruits bios".
Une expérience loin d'être isolée, comme l'a montré en 2016 le documentaire "Les casseroles de la restauration scolaire" (vidéo ci-dessous), qui a suivi en caméra caché un inspecteur diligenté pour contrôler une cuisine centrale. En fouillant dans les placards et en épluchant les étiquettes, il découvre du steak haché italien, des tartines grillées avec du chèvre bourré d'additifs. Et à la question : "Où est le bio ?", le cuisinier répond, désabusé : "Il y a longtemps qu'on n'en a pas eu"...
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Des plats réchauffés dans des barquettes... en plastique
Autre point noir évoqué dans le livre de Sandra Franrenet : les plats préparés en cuisine centrale sont en général acheminés dans des barquettes en plastique. Ce qui n'est pas le meilleur des contenants. Le plastique, on le sait, est un matériau composé de tout un tas de produits chimiques et de perturbateurs endocriniens. Mais là où ça se complique selon elle, c'est qu'en liaison froide, les aliments sont réchauffés dans ces mêmes barquettes. Or, il est désormais démontré que la chaleur accentue la migration des molécules de plastique dans les aliments. "D'ailleurs, on a pu photographier des barquettes et on a pu constater qu'elles étaient gondolées, ce qui montre bien que le produit a muté", témoigne l'auteure, écœurée par ce cocktail délétère.
"Si l'on s'en tient au discours des industriels, il ne faut pas paniquer : nos enfants consomment des produits chimiques, mais de manière encadrée ! Tout va bien, dormez brave gens. Ils oublient juste de rappeler que ces quantités, avalées de manière encadrée, sont quotidiennes. Il faut vraiment militer pour le retour à l’inox, la céramique ou la porcelaine", lance la mère de famille.
Alors, que faire pour améliorer les choses ? Même si certains parents plaident pour l'avènement de la lunch box, Sandra Franrenet est plus radicale : "Sans volonté des élus, point de salut. Mais comme le fonctionnement des cantines est un système très opaque, il n'y a que nous, en tant que citoyens, qui pouvons faire le boulot. Alors un conseil, allez mettre le nez dans la cantine de vos enfants. Demandez les fiches techniques des aliments (même si parfois on peut vous répondre "secret industriel") ou a minima, réclamez la liste des ingrédients. Allez aussi manger à la cantine, il n’y a que comme ça que vous vous rendrez compte de ce qu’il y a sur les plateaux. Enfin, visitez la cuisine centrale - quand il y en a une -, c’est le seul moyen de voir ce qu’il y a sur les étagères !"