"Pour nous, c'est #AuRevoirLaFrance" : les étudiants étrangers déçus par la hausse annoncée de leurs frais d'inscription

Publié le 30 novembre 2018 à 17h38, mis à jour le 30 novembre 2018 à 17h48
"Pour nous, c'est #AuRevoirLaFrance" : les étudiants étrangers déçus par la hausse annoncée de leurs frais d'inscription
Source : PATRICK HERTZOG / AFP

TÉMOIGNAGES - Alors qu’une nouvelle journée d’action des Gilets jaunes s’organise ce samedi 1er décembre, les étudiants ont également décidé de se mobilier dans la capitale et dans toute la France. La FAGE, principale fédération représentative, conteste notamment l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants internationaux. LCI a donné la parole à deux d’entre eux.

Une augmentation très contestée. Le gouvernement a annoncé lundi 19 novembre que, dès la rentrée prochaine, les frais de scolarité des extra-européens seront revus à la hausse afin "d’améliorer les conditions d’accueil". Pour intégrer une université française, ils devront donc payer près de quinze fois plus qu’aujourd’hui. De quoi pousser la Fage (Fédération des associations générales étudiantes) à appeler à une mobilisation le 1er décembre, non en soutien direct avec les Gilets jaunes, mais afin de demander la suppression de cette hausse. Dans les rangs, elle provoque une levée de boucliers. 

Je suis tellement dégoûté
Rahmad, diplômé de l'Université Paris Sorbonne

"Je trouve que ces frais ne sont pas conformes au principe d'égalité que le pays défend." Indonésien, Rahmad vient de terminer son Master. Il confie à LCI être "choqué" par ces annonces. Car règne actuellement l’égalité parfaite. Ainsi, un étudiant étranger paye comme tous les autres, soit 170 euros pour une année de formation en licence, 243 euros en master et 380 euros en doctorat. Mais à partir de la rentrée 2019, ils devront s'acquitter de 2.770 euros en licence et 3.770 euros en master et doctorat. Si cela représente, selon le gouvernement, "un tiers du coût réel d’un étudiant" pour les finances publiques, il représente surtout une hausse de plus de 1.500% pour ces jeunes. Objectif affiché : doubler le nombre d’élèves étrangers accueillis à l’horizon 2027, en faisant faire financer les bourses des "moins fortunés et des plus méritants" par ceux qui en ont les moyens.

Mais Rahmad ne croit pas en ces justifications. Ce jeune homme de 25 ans comprend que le pays peut avoir besoin de renflouer ces caisses, mais estime qu’en faire pâtir des étudiants est "injuste", "cruel", et surtout, injustifié. Venu de Jakarta, il vient de terminer un Master en langue française à la Sorbonne, à Paris. S’il ne critique aucunement la qualité de l’enseignement, il estime cependant qu’il ne fait pas partie du "meilleur dans le monde." "Les universités ici ne sont pas les mieux classées. Et moi-même j'ai connu quelques cours qui ne répondaient pas à mes attentes. Je pense que l'éducation supérieure française ne mérite pas cette augmentation drastique."

La douche froide

Pourtant ce jeune diplômé a lui-même profité des bourses que le gouvernement compte augmenter. Ainsi, Edouard Philippe a annoncé que la hausse des frais permettra notamment de faire bénéficier de bourses 15.000 étudiants, venant principalement de pays en développement. C’est près de deux fois plus qu’aujourd’hui. Ce qui n’empêche pas Rahmad d’être "dégoûté" par cette annonce qui va à l’encontre de ce qu’il estime être les valeurs nationales. Car, depuis qu’il est adolescent, l’homme originaire de Jakarta est passionné par la France et ses idées. Diplômé d’une licence en Français Langue Étrangère (FLE) dans son pays d’origine, c’est tout naturellement qu’il décide d’approfondir son apprentissage à Paris. À son arrivée, c’est "un grand rêve qui se réalise". "Depuis toujours, je voulais venir dans ce pays pour jouir de sa liberté, son égalité et sa fraternité." 

Désormais, c’est la douche froide. Il pense à ses compatriotes, avec qui il est en lien étroit, qui se battent tous les jours, sans bourse ni aides financières. "Ils doivent travailler dur et parfois sacrifier des cours pour survivre." Et dans le lot, évidemment, certains "pensent rentrer chez eux sans diplôme si cette mesure est appliquée." Ce jeune homme rappelle que pour lui, comme pour ses camarades, l’éducation n’est pas "juste une marchandise". Rahmad est donc sidéré, et "vraiment étonné par ce double discours du gouvernement". Si bien qu’il remet ses projets d’avenir en question. Alors qu’il avait l'intention d’ouvrir une école de français dans son pays, il explique, fataliste, ne plus avoir "la passion d'enseigner la langue d'un pays appliquant des  mesures inégalitaires."

J’ai pleuré, pendant une heure, en pensant que je n'allais pas pouvoir finir ma formation.
Maria*, étudiantes en Master d'Urbanisme à Lyon

Un fatalisme repris aussi du côté de Maria*. "Si les frais avaient été aussi hauts, je ne serais jamais venue" confesse ainsi la jeune femme au parcours scolaire admirable. Après avoir terminé le lycée en Russie, à Saint-Pétersbourg, elle apprend la langue en un été, trouve un logement depuis l’étranger et obtient son visa afin de débuter sa licence en urbanisme à Montpellier, "car [sa] formation n’existe tout simplement pas dans [son] pays d’origine". Désormais, elle est en première année de master et ne sera donc pas non plus concernée par cette augmentation. Un soulagement. Mais en apprenant la nouvelle, elle a d’abord cru au pire. Elle confie avoir "appelé [ses] parents" sur-le-champ. "J’ai pleuré, pendant une heure, en pensant que je n'allais pas pouvoir finir ma formation. Que ça allait ruiner ma vie."

Aujourd'hui à la fin des ses études en urbanisme à Lyon, elle compatit avec le désespoir de "ces étudiants qui voulaient faire le choix de la France" en 2019, et qui ne pourront pas. Une "injustice". Parce qu'elle pense que beaucoup d’entre eux sont dans la même situation qu’elle. Ils ne viennent pas de pays en développement ni de famille très pauvre, mais ne pourront quand même pas se permettre de reverser 3.000 euros dès leur arrivée, tout en vivant décemment. La Russe explique ainsi que, dès lors qu’on est étranger de classe moyenne, vivre et étudier dans le pays est un combat quotidien. La jeune femme de 20 ans n’a ainsi pas accès aux bourses, ni au logement du Crous. Par conséquent, elle se satisfait des aides que lui envoient ses parents, de quelques jobs pendant les vacances, et de "beaucoup d’économies". Maria explique ne pas connaître la vie estudiantine. "Je ne sors quasiment jamais en ville pour manger ni boire un verre, j'ai même passé 2 hivers sans allumer le chauffage." Entre le loyer, les dépenses, les études et le coût du visa, pour cette jeune femme que la France a charmée, il est même devenu impossible de voir sa famille. Depuis son arrivée dans le pays, elle n’a pu retourner qu’une fois en Russie. Alors, selon elle, il n’y a aucun doute : cette augmentation en fera renoncer plus d’un. De quoi pousser la jeune femme à ironiser sur le hashtag utilisé par Edouard Philippe sur Twitter. "Pour une grande partie d’entre nous, ce n'est pas "#BienvenueEnFrance" mais"#AuRevoirLaFrance". 

Seule bonne nouvelle pour Maria ? La promesse du gouvernement d’améliorer la politique des visas, avec des "formalités simplifiées et accessibles en ligne". Elle admet que ce sera "pratique", elle qui a vécu la demande de ce papier comme "une longue attente pleine d’inquiétudes", mais reste cependant lucide, face à une réforme qu’elle juge "injuste". "Si je dois faire le choix entre "améliorer la politique des visas" et "payer 15 fois plus cher pour ma formation", je n’hésite pas une seule seconde."

* le prénom a été changé


Felicia SIDERIS

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