CONNEXION - Communiquer avec les enfants via des outils technologiques est tentant lorsque l'on se trouve loin d'eux pendant plusieurs jours. Mais discuter via Facetime ou Skype est-il réellement adapté pour nos têtes blondes ? Une psychanalyste nous répond.
Fini le temps où l'enfant communiquait simplement par téléphone avec ses parents pendant les vacances chez les grands-parents. Aujourd'hui, les nouveaux outils de communication comme Skype et Facetime ont radicalement changé la donne, permettant à l'enfant d'entendre et de voir son parent, et donc de se rapprocher, en dépit de la distance. Mais on oublie presque parfois, en tant qu'adulte, les effets d'une simple conversation vidéo avec un enfant.
Comme nous le confie la psychiatre Corinne Ehrenberg, "j'ai l’expérience d’un enfant très "désarçonné" par une conversation Skype, angoissé par le simple fait de voir sa mère sur un écran d’ordinateur. Le fait qu’elle s’anime, qu’elle parle et qu’elle lui parle ne semblait pas du tout le contenter ni le rassurer." Et des témoignages glanés sur les forums de discussion abondent majoritairement en ce sens : "Mon enfant de 2 ans déteste Skype", raconte cette internaute. "On a fait l'expérience deux fois lorsque j'étais en déplacement et à chaque fois, je percevais une incompréhension de sa part. Non seulement il n'arrive pas à se concentrer ou à maintenir une conversation mais surtout il est perturbé, voulant attraper l’écran pour me toucher et, comme il boude, je culpabilise à mort à chaque fin de conversation".
D'où notre question : ces nouvelles technologies sont-elles réellement adaptées aux jeunes enfants ? Selon la psychanalyste Elsa Godart, spécialiste du numérique*, contactée par LCI, "tout dépend si l'enfant comprend qu’il s’agit d’une image virtuelle et non d'une présence réelle, que le parent sur l'écran est dans une absence géographique et donc qu'il est là sans être là. Tant que l'enfant n’a pas cette conscience, c'est peine perdue."
Conscience du temps et de l'espace
Normal donc qu'un enfant de deux-trois ans "qui ne se pense pas comme sujet" ne sache pas faire la distinction : "Bien sûr, l'enfant de 2-3 ans perçoit bien l'image de la personne aimée sur l'écran, il la reconnait mais cette image créera un manque, le laissera désemparé tant elle sera morbide pour lui, sans odeur, sans goût, sans contact... L'enfant ne peut pas enserrer, attraper, toucher, embrasser..." Une image lisse sur un écran d'ordinateur qu'il ne peut pas saisir, au propre comme au figuré.
"C’est exactement comme le bébé que l’on filme en vidéo, lorsqu'il fait ses premiers pas. Quand il regarde la vidéo avec ses parents, la bébé se voit dans le film que l’on vient de faire de lui mais cet enfant n’a ni conscience de l’espace et du temps, ne connait pas des notions comme le passé ou le futur. Cette confusion entre le réel et le virtuel peut être déstructurante et donc anxiogène. Même principe alors pour l'enfant face à un écran d'ordinateur ou de smartphone : "Imposer un tel visionnage sans la moindre explication des parents et sans la moindre compréhension de l'enfant est source d’inquiétude."
Voir des parents rassurés rassure l'enfant
Elsa Godart, psychanalyste
Ce qui est également mal vécu, c'est la fin de la conversation sur Skype ou Facetime que l'enfant peut envisager comme une rupture au sens littéral, avec l'angoisse de ne plus revoir ses parents : "Quand on raccroche, il peut s'exprimer chez l'enfant l’angoisse de la séparation, le vertige de l’attente..." La verbalisation est alors ce qui change clairement la donne pour manier de pareils outils : "Vers 4-5 ans, l'enfant manie le langage, peut dire ce qu’il ressent, ce qu’il éprouve, avec ses mots. Il posera alors les bonnes questions aux parents qui sauront lui expliquer le fonctionnement de ces conversations à distance. Progressivement, l'enfant prend conscience de soi dans l’espace, conscience du monde qui l’entoure, conscience de la temporalité jusqu'à l'’âge de 7 ans où il maîtrise tous ces paramètres. Soit un âge où l’enfant est capable de conceptualiser."
Quels conseils peut-on alors donner à des parents dont les enfants sont toujours échaudés par les conversations Skype ? "Utiliser Skype comme quelque chose de ludique, de l'ordre du jeu. Rappeler à l'enfant qu'il peut appeler à disposition les parents, les voir quand il le souhaite. Et ne jamais oublier que les enfants sont très sensibles à l'idée du rituel. Comme lorsque l'on communiquait jadis au téléphone avec nos parents, l'enfant peut aussi être heureux d'entendre et de voir tous les soirs ses parents avant d'aller au lit, lorsqu'il est en vacances chez ses grands-parents. Un rendez-vous qu'il faut planifier avec lui, sans le prendre au dépourvu, auquel il peut prendre plaisir et perçoit que tout va bien. Par voie de conséquence, voir des parents rassurés rassure l’enfant."
* Elsa Godart présentera le colloque "Mutations et métamorphoses des subjectivités à l'ère du numérique" samedi 6 avril à la Sorbonne.
Sur le
même thème
Tout
TF1 Info
- Police, justice et faits diversColère et émoi après le suicide de Lindsay, harcelée à l'école
- InternationalGuerre en Ukraine : les attaques en Russie se multiplient
- Police, justice et faits diversMeurtre d'Iris dans le Morbihan
- SportsMohamed Haouas, international français de rugby, dans la tourmente judiciaire
- Police, justice et faits diversKarine Pialle : mystère autour de la disparition de la mère de famille