La chasse aux intox

#ErnotteGate : la riposte savamment orchestrée du Front national contre Envoyé Spécial

Anaïs Condomines
Publié le 17 mars 2017 à 12h52, mis à jour le 21 mars 2017 à 17h19
#ErnotteGate : la riposte savamment orchestrée du Front national contre Envoyé Spécial

FLOU ARTISTIQUE - Le Front national a diffusé, en parallèle de l'émission Envoyé spécial qui lui étant consacrée, un document se présentant comme l'interview d'un ancien membre de France Télévisions. Une parodie visant à alimenter une théorie du complot au détriment des médias ? David Rachline, qui le premier a diffusé ces images, entretient savamment le flou quant à leur origine. Reste que la démarche s'inscrit dans le cadre d'une offensive bien calculée contre l'émission d'investigation de France 2.

Un timing parfait. Jeudi 16 mars au soir, pendant la diffusion sur France 2 de l'émission "Envoyé Spécial" consacrée aux hommes de l'ombre du Front national, une vidéo a commencé à circuler sur les réseaux sociaux. Filmée dans la pénombre, elle montre un homme de dos sur fond de musique au piano. D'une voix trafiquée, il se présente comme un membre de l'équipe de Delphine Ernotte, dirigeante de France Télévisions, et assure : " Quand elle a été désignée, c'était évidemment pour faire la campagne de François Hollande. (...) Il faut maîtriser l'information quoi qu'il en soit, on est en contact permanent avec l'Elysée." 

Il poursuit : "Dès que François Hollande n'a plus été candidat, il a fallu soutenir coûte que coûte Macron, avec l'objectif clair de faire battre Marine Le Pen." Une vidéo simplement précédée, sur Twitter, d'un smiley effaré et de deux hashtag : #EnvoyéSpécial #ErnotteGate. Reprenant clairement les codes d'une émission d'enquête dans laquelle l'intervenant souhaite protéger son anonymat, le spot ne contient aucune source, aucun crédit... Et de ce fait, ressemble fort à une parodie. 

"C'est du grand journalisme, j'en suis convaincu :D"

Pour en avoir le coeur net, nous avons contacté David Rachline, maire FN de Fréjus et directeur de campagne de Marine Le Pen, qui a relayé la vidéo sur Twitter.  Il nous répond par SMS ce vendredi matin, à grands renforts de smileys : "J'ai déniché ce témoignage indiscutable sur Internet... :p C'est du grand journalisme, j'en suis convaincu :D". Joint directement par téléphone quelques instants plus tard, l'élu n'entend pas lâcher davantage d'informations et nous répète qu'il a "trouvé cette vidéo sur Internet". Interrogé sur le timing surprenant de la publication de ces images, il renchérit, non sans ironie : "Tout à fait, vous avez raison, c'est étonnant. Tout comme est étonnante la diffusion d'un reportage d'Envoyé Spécial sur le Front national à quelques semaines de l'élection."

Le responsable FN ne reconnaît pas formellement, donc, qu'il s'agit bien là d'une parodie. Les autres membres du parti en charge de la communication, eux, nous assurent qu'ils ne sont en rien informés de cette campagne. Mais un examen approfondi de la tendance #ErnotteGate permet d'y voir un peu plus clair. En effet, nous constatons que ce hashtag, qui existait déjà de manière sporadique sur les réseaus sociaux, a été massivement repris à partir du 16 mars, 23 heures. Soit le moment même où David Rachline a posté cette vidéo, qu'il dit "avoir trouvée sur Internet". Il figure d'ailleurs, selon l'outil keyhole.co, en tête des tweets les plus influents à ce sujet, également associé aux termes "Envoyé Spécial" et "Macron". Des coïncidences qui prouvent, à tout le moins, une offensive virtuelle savamment organisée en parallèle de l'émission de France 2. Celle-ci avait commencé un peu plus tôt dans la semaine quand, invitée sur C8, Marine Le Pen accusait déjà Emmanuel Macron et Delphine Ernotte de copinage

Capture d'écran Keyhole
Capture keyhole

Une vidéo prise au premier degré

Problème : la vidéo a déjà été retweetée près de 800 fois, et un simple coup d'oeil aux commentaires, en dessous, montrent comment elle a été massivement reprise par les twittos frontistes... et interprétée au premier degré par bon nombre d'internautes. Certains d'entre eux interpellent même le CSA. "Jour après jour la vérité éclate" peut-on lire, "A diffuser pour dénoncer les magouilles de l'Etat!" ou encore "Les médias sont neutres!! Ben voyons...". 

Une heure après son premier tweet, jeudi soir, David Rachline semblait toutefois lâcher un indice de la supercherie, en précisant ironiquement : "Vous voyez, tout le monde peut faire "journaliste" chez France Télévisions..."

Contactée, la direction de la chaîne publique n'a pas encore répondu à nos sollicitations sur le sujet. 

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Anaïs Condomines

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