Etre jeune en Italie : "Mon pays s’éloigne lentement du reste de l’Europe"

Publié le 22 mai 2019 à 12h07, mis à jour le 22 mai 2019 à 20h20

Source : Sujet JT LCI

LES EUROPÉENNES VUES D'AILLEURS - A l’ occasion des élections européennes, LCI donne la parole aux jeunes citoyens du continent. Parmi eux, Matteo, un italien homosexuel. Face à une recrudescence de l'homophobie dans son pays, il regrette que l’Union Européenne ne lui garantisse pas plus de droits.

A 18 ans, lors d’un voyage à Paris, Matteo découvre que l’homosexualité peut se vivre sereinement. Entre s’installer dans le pays ou retourner dans son Italie natale, où la société est, selon lui, "culturellement archaïque", il décide d’assumer sa sexualité dans sa propre ville, à Padoue. Treize ans plus tard, il n’est pas certain d’avoir fait le bon choix. Car, et ce malgré des traités et des lois européennes qui protègent les droits des LGBT, la politique du gouvernement italien commence à faire "peur" à ce jeune trentenaire. 

"L'homosexualité est perçue comme quelque-chose de louche"
Matteo, 31 ans

Né dans le petit village montagneux de Asiago dans le nord du pays, Matteo a dû faire face très jeune à l’homophobie de la société dans laquelle il vit. Habitant à 40 minutes de la première grande ville, il se remémore encore aujourd’hui une adolescence "cauchemardesque". "J’ai immédiatement été harcelé à cause de ma sexualité. Je me rappelle encore très bien de cette époque où je me cachais dans le bus pour ne pas être vu par les autres. A chaque fois que j’entrais dans une pièce, j’avais le sentiment qu’on se disait : ‘ah voilà la tapette’." Selon lui, cette crainte de "celui qui est différent" vient de l’attachement "excessif" des Italiens à la religion catholique. Désormais orphelin, il a perdu son père à dix ans et sa mère en 2017, il confie comment cette dernière a eu du mal à affronter la sexualité de son fils. "Elle me répétait tout le temps que si on lui avait expliqué, lorsqu’elle était enfant, qu’il existait plusieurs façons d’aimer, elle n’aurait jamais eu de problème."

A 31 ans, Matteo admet qu’avant l’arrivée de Matteo Salvini, le ministre de l’Intérieur, au pouvoir, "la vie des homosexuels n’était pas toute rose". Fan de musique, de vidéo et photo, ses passions rencontrent son métier : il gère un club universitaire et un local de restauration. C’est dans ce milieu culturel qu’il assume pleinement sa sexualité. Car ailleurs, "la vie d’un homosexuel n’est pas simple". "Deux hommes qui se tiennent par la main, ce n’est pas habituel,  ils sont souvent insultés. L’homosexualité est perçue comme quelque-chose de louche qu’on lie à la pédophilie." 

Un discours désormais soutenu par la Ligue du Nord au pouvoir. Comme le relève le trentenaire, certains ministres "portent en eux cette mentalité étroite et archaïque". Et notamment  le ministre des Familles. Issu du parti La Ligue du nord, Lorenzo Fontana niait ainsi en juin 2018 l’existence des familles homoparentales. Alors que le journaliste du Corriere della Sera lui demande ce qu’il compte faire pour les parents homosexuels, il rétorque : "Les familles homoparentales existent-elles ?". Lorsqu’on lui rappelle qu’elles sont nombreuses en Italie, il assène : "Aux yeux de la loi, elles n’existent pas". Car selon l’homme politique de 39 ans, la "famille naturelle est attaquée". Comme le relève Le Monde, l’homme avait même estimé que les homosexuels voulaient "nous dominer et effacer notre peuple". Des déclarations qui étonnent encore Matteo. "Nous sommes en 2019, et il défend une mentalité vieille de deux siècles !"

L'Italie chute dans le classement des droits des personnes LGBT

Pourtant, l’Italie a fait des progrès, notamment sous le précédent gouvernement de gauche. Le 11 mai 2016, le pays a ainsi approuvé la création d'une union civile pour les couples de même sexe. Une avancée dans ce pays, dernier bastion d'Europe occidentale à ne pas avoir reconnu ce statut. Mais ce pas en avant n’est que purement symbolique pour Matteo. "Je pense que l’Italie reste culturellement, et désormais politiquement, à des années lumières de nos voisins européens." Vivant depuis trois ans avec son compagnon, qu’il a rencontré en 2014, il explique ainsi que certaines annonces pour des emplois ou des appartements  déclarent ne pas vouloir de candidature de la part d’une personne homosexuelle. Et lorsque ce n’est pas écrit noir sur blanc, c’est spécifié sans vergogne au moment de l’entretien. 

Un sentiment relevé par les chiffres. Selon le porte-parole de l’association Gay Center, les cas d’homophobie au travail ont bondi de 6% en un an. Une homophobie décomplexée qui a fait passer l’Italie de la 32è place à la 34è dans le classement de l’ILFA, la branche européenne de l'Association internationale lesbienne et gay, sur les droits de la communauté LGBTI en Europe. Pourtant de telles pratiques sont sanctionnées dans l’Union européenne depuis les années 2000. La Directive Emploi votée par le conseil de l’UE interdit ainsi la discrimination directe ou indirecte fondée notamment sur l'orientation sexuelle en matière d’emploi et de travail. 

Mais Matteo n’a pas l’impression d’être protégé par ces textes. Ce trentenaire, qui a commencé à travailler dès l’âge de 16 ans et ne s’arrête que pour promener ses chiens le long des berges de son quartier, estime que son gouvernement tend à placer l’Union européenne comme un "tyran" et non pas un défenseur de droits. " Mon pays s’éloigne lentement du reste de l’Europe", regrette le jeune homme. Il va même à contre-courant de la tendance actuelle, demandant à ce que l’UE fasse "mieux respecter son autorité". Dans l'état actuel des choses, il pense donc que, tant que les hommes au pouvoir continueront à entretenir un message ouvertement homophobe, les mentalités ne pourront pas évoluer vers plus de droits et de respects pour la communauté LGBT+. 

 Un constat qui a "éveillé" en lui un esprit militant qu’il ne pensait pourtant pas posséder. "Je ne considérais pas la politique comme quelque-chose d'important. Encore moins qu’elle pouvait avoir un impact sur ma propre vie", reconnaît-il. Pour les élections qui auront lieu dimanche, Matteo ira donc voter ... Mais il ne sait toujours pas pour qui. S'il est certain qu'il contrera la liste de la Ligue [parti d'extrême droite au pouvoir], il ne se sent pas pour autant "reconnu" par les autres responsables politiques qui se présentent. C'est pour toutes ces raisons qu'il préfère agir au quotidien. Et que, après des décennies d’inertie, il collabore désormais avec la Padova Pride, la marche des fiertés qui aura lieu le 1 juin.


Felicia SIDERIS

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