57% d'abstention aux législatives : paroles de boudeurs d'urne

par Antoine RONDEL
Publié le 19 juin 2017 à 22h15
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Source : Sujet JT LCI

GRÈVE DES ISOLOIRS - En parachevant un nouveau record au second tour des élections législatives, les abstentionnistes posent à nouveau la question de la défiance entre électeurs et monde politique. LCI s'est entretenu avec quelques-uns pour connaître les raisons de leur démotivation.

Dimanche 18 juin, 57,36 % des Français âgés de plus de 18 ans ont refusé de se rendre aux urnes, créant par là un phénomène abstentionniste sans précédent dans l'histoire de la Ve République, pour des élections législatives. "Grève générale civique", comme l'a qualifiée Jean-Luc Mélenchon au soir du second tour ? Incapacité des autres partis à mobiliser, selon l'analyse partielle d'Emmanuel Macron ? Mode de scrutin inique, d'après Marine Le Pen ? 

L'institut Ipsos s'est intéressé au profil type de l'abstentionniste du second tour. D'où il apparaît que ce sont d'abord les plus jeunes et les catégories sociales les moins aisées qui sont les plus touchées par l'abstention. 69% des ouvriers et 65% des employés ont ainsi boudé les urnes, ce dimanche, tandis que 74% des 18-25 et 70% des 25-34 nont évité les bureaux de vote. Les citoyens aux revenus inférieurs à 1.250 euros sont les champions de l'abstention, quand une moitié de revenus supérieurs à 3.000 euros mensuels ont rempli leur "devoir civique", faisant venir une majorité d'élus dont la légitimité démocratique pose question.

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"Dès lors qu'un être humain à un mandat, il part en vrille"

Chez les citoyens interrogés par LCI, c'est d'abord une grande lassitude matinée de dégoût et "d'à-quoi-bon ?" qui domine. Electrice au premier tour de la présidentielle, Muriel, 27 ans et cheffe de chantier, raconte : "Je n'ai pas réussi à me motiver au premier tour et au second, j'étais posée et je suis partie trop tard pour avoir le temps." Un manque de motivation que la jeune femme, qui assure qu'elle saurait pour qui voter, explique par le peu de confiance qu'elle place dans les élus : "Avec les choix proposés et la façon dont les gens votent, t'es quasi sûr que celui qui va passer va soit pas changer grand-chose, soit donner une image très négative de la France, qu'il devienne député ou président."

Un discours fataliste que ne renierait pas Pascale, la cinquantaine, correspondante de presse dans le sud de la France depuis 25 ans... et abstentionniste depuis quinze ans : "J'ai passé des années à côtoyer des élus locaux et je les ai vus se transformer une fois élus. Dès lors qu'un être humain à un mandat, il part en vrille, jusqu'à se fourvoyer quand il appartient à une famille politique, où il va faire l'inverse de ce qu'il jugeait pendant sa campagne. Ce n'est qu'une quête de pouvoir." Une seule chose pourrait la faire revenir aux urnes : "Un non-cumul des mandats très strict. Un homme ou une femme égale un mandat, et c'est tout. Sinon, ils cherchent systématiquement à se faire réélire au détriment de l"intérêt général." Autant dire que la loi portée par François Bayrou, qui instaure la règle des trois mandats consécutifs... pour un seul type de mandat, "est loin de [la] satisfaire."

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L'exemplarité, Muriel en parle aussi, citant les pays scandinaves où la modération salariale des gouvernants et de mise : "Quand on aura le droit à des bosseurs et pas des gens qui cherchent le fric, le pouvoir ou les deux, je pourrai avoir confiance."

Le mode de scrutin actuel laisse également penser qu'un second tour où l'on voterait pour le moins pire des candidats n'est plus à même de séduire des inscrits. Cela s'est vu dans la 18e circonscription de Paris où, face au duel El Khomri/Bournazel, deux candidats pro-Macron, près de 16% des électeurs ont choisi le vote blanc ou nul... avec 57% d'abstention. Au niveau national, le chiffre baisse à 9,87% et se rapproche du second tour présidentiel, où nombre d'électeurs de gauche n'ont pas voulu accorder un blanc-seing à Emmanuel Macron, même face à Marine Le Pen.

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"Voter, mais voter pour qui ?"

Cédric, la trentaine, et vendeur à Mimizan (Landes), est aussi remonté contre un système électoral "qui conduit les gens à voter n'importe comment. Je connais je ne sais combien d'électeurs de gauche qui, à la présidentielle, ont voulu voter Macron pour s'éviter un duel entre Le Pen et Fillon au second tour. Donc, Macron a été élu malgré un vide idéologique, et comme, dans la Ve République et depuis qu'on a le quinquennat, on donne une majorité au président... il a de quoi gouverner." 

Une logique implacable, vérifiée aux législatives, dont la République en marche est sortie grande gagnante, malgré l'abstention, avec 306 députés. Et qui a conduit Cédric à rester chez lui : "Voter, mais voter pour qui ? Les républicains qui changent de nom pour faire genre ? Les socialistes qui ne sont pas des gens de confiance ? Le Front national, c'est même pas la peine... Mélenchon, c'est séduisant, mais le plan de relance à 100 milliards pour relancer l'économie, je n'y crois pas trop." Conclusion, la grève des urnes de Cédric pourrait s'éterniser. "Tant que je ne trouve pas quelqu'un en qui j'ai foi. C'est complètement idiot de voter contre."


Antoine RONDEL

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