18e circonscription de Paris : chez Myriam El Khomri, la revanche de la loi Travail se joue à quatre

par Antoine RONDEL
Publié le 9 juin 2017 à 16h08
18e circonscription de Paris : chez Myriam El Khomri, la revanche de la loi Travail se joue à quatre

DUEL À QUATRE - Dans une circonscription de gauche qui a porté Emmanuel Macron en tête au premier tour de la présidentielle, les regards se focalisent sur le duel entre la porteuse de la loi Travail et une de ses opposantes les plus médiatiques. Mais dans ce secteur du nord de Paris, d’autres candidats viennent compliquer la donne. Reportage autour de la butte Montmartre.

La 18e circonscription de Paris viendra-t-elle solder, un an plus tard, les comptes de la loi Travail ? D’un côté, Myriam El Khomri, porteuse du texte si contesté qu’Emmanuel Macron veut accentuer, investie par le PS. De l’autre, Caroline de Haas, auteure d’une pétition monstre contre la loi (plus d’1,3 million de signatures). Avec pareille affiche, il serait tentant de résumer cette bataille des législatives, qui doit réunir 70.000 électeurs, à ces deux seules protagonistes. 

"Comme Liverpool face au Milan AC en 2005"

"La question de votre article, ça devrait être : ‘Comment Caroline de Haas peut battre Myriam El Khomri’", plaisante Léa, militante EELV qui gère les relations presse de la candidate de la 18e citoyenne. Sauf qu’en ce jour de marché, au pied de la butte Montmartre, sa candidate ne parle pas trop politique et alliances, ni de la rivale qu’on lui prête. Elle préfère évoquer les origines de sa candidature, - "un sondage auprès de 800 personnes pour savoir s’ils me connaissaient, s’ils me voulaient comme candidate et les thèmes qui comptaient pour elles" -, des partis qui la soutiennent - "EELV, le PCF, Ensemble, des membres du NPA, du PS et même des insoumis, c’est quand même pas rien" - et des actions que son équipe mène. "Boîtage, distribution de tracts, discussions… on en fait sept ou huit par jours", continue-t-elle. La campagne est prenante : "Je n’ai pas vu mes enfants depuis cinq jours", soupire Caroline de Haas. Mais l’investissement va payer, espèrent ses troupes. Un militant NPA, la cinquantaine, risque une métaphore : "On est comme Liverpool contre le Milan AC en 2005. On est mené 3-0 et on va remporter la Ligue des champions." Le même se dit bluffé par Caroline de Haas : "Jusque-là, je n’avais jamais vu un candidat faire les boîtes aux lettres avec les militants."

 

Myriam El Khomri non plus ne se focalise pas sur sa challengeuse. Elle préfère la pédagogie et remarque quelques énormités dans l’appréciation de la loi Travail : "Quand je demande aux habitants ce qui leur pose problème, certains m’affirment que c’est la fin du CDI, de la durée légale du travail, de la fin de la majoration des heures supplémentaires." L’ex-ministre du Travail se présente avec l’étiquette PS et sera dans la majorité présidentielle, avec quelques nuances. "Je n’ai pas demandé l’investiture. Et j’ai des limites." Exemple avec la prise en compte de la pénibilité, un mot honni par le Président, et les ordonnances promises par Emmanuel Macron comme méthode pour faire passer sa nouvelle réforme du code du travail. Si elle n’a rien contre le principe, "encore faut-il que son contenu soit validé après concertation politique et syndicale." Le souvenir du 49-3 est encore là...

Quand la gauche énerve ses électeurs

La loi Travail, un sujet qui revient au bon souvenir des habitants du quartier. "Ils savent très bien ce qui se prépare", assure Caroline de Haas. "Il y a une volonté de revanche dans les urnes", estime de son côté Paul Vannier (France insoumise). "El Khomri, elle ne va pas passer, à cause de ça", pronostique Michel, la cinquantaine, allocataire handicapé, qui garde en mémoire “les manifs violentes, l’année dernière” et qui focalise sur l’ex-ministre, à tel point qu’il ne connaît pas ses adversaires : "De Haas ? Qui c’est, ça ? Elle est soutenue par Hamon ? Ah bah je voterai pour elle alors, j’avais voté Hamon au 1er tour." Saïd, agent de sécurité, votera "pour le candidat de Mélenchon : la sincérité, c’est rare en politique. Et se définir comme un insoumis, ça veut dire quelque chose". S’il trouve qu'"avec Macron, on voit de nouvelles têtes", il se méfie de la nouvelle réforme : "Ils veulent faire disparaître la pénibilité, non ?" Qu’importe si ce n’est pas exactement ça : "Je vote à gauche, ils proposent le partage du temps de travail, c’est important." Marion, 40 ans, plutôt le coeur à gauche, a "peur" des effets de la première loi Travail : "Les licenciements économiques, les heures supps renégociées… ça va créer de la précarité", craint-elle. La réforme du code du travail qui se prépare, du même accabit, n'empêchera pas cette électrice d'Emmanuel Macron de glisser un bulletin El Khomri le 11 juin : "Je donne sa chance à Macron."

Dans la circonscription, le vote de gauche coûte cher. Caroline de Haas doit composer avec l’insoumis Paul Vannier. Les deux sont bien décidés à être contrôlés par les citoyens s'ils sont élus et s'investissent dans la lutte des Tati, du nom du grand magasin de Barbès menacé de fermeture. Convergence des luttes, mais pas des forces. Investi dans les questions d'éducation, Paul Vannier veut "poursuivre la dynamique Jean-Luc Mélenchon. Les gens sont encore plus motivés, après être passés si près du second tour. Les 28% de Jean-Luc Mélenchon vont se reporter sur moi, j’espère même plus." La militante écologiste et féministe est “à peu près sûre que non” et regrette l’absence d’accord avec la FI : "Il ne faut pas de têtes qui dépassent, chez Jean-Luc Mélenchon." Paul Vannier, lui, pointe le manque de cohérence de son adversaire : "Elle se dit écologiste mais reçoit le soutien du PCF, qui ne veut pas sortir du nucléaire." Qu'importe si les deux candidats promettent de se faire encadre par leurs électeurs s'ils sont élus, leurs divisions agacent les électeurs : "Ils m’énervent, sourit Marie-Madeleine, guide touristique à la retraite. De coeur, je suis avec eux deux, mais j’ai l’impression que ces deux candidatures, c’est une histoire d’argent. Ils vont toucher quoi, 7 € par voix sur le temps du mandat ? Franchement, je vais peut-être voter blanc."

Bournazel et El Khomri, les deux faces de la pièce Macron

Myriam El Khomri a aussi à faire sur sa droite avec Pierre-Yves Bournazel. Ce jeune élu, rare figure de la droite locale, est investi par LR/UDI. Proche d’Edouard Philippe, qui est venu le soutenir en personne à deux jours de la fin de la campagne, il se revendique aussi de la majorité présidentielle - au point d’avoir fait disparaître le logo de son parti de son affiche - et promet "de voter la confiance au gouvernement."

Mais ne lui dites pas qu’il est un clone de l’ex-ministre : "Sa loi Travail est un échec, sur le fond et la forme. Elle est comptable du quinquennat de François Hollande et du mandat du député dont elle était suppléante. Je m’inscris davantage dans le renouvellement." "C’est pour ça qu’il soutenait encore monsieur Fillon avant les affaires ?" ironise l’ex-ministre. 

Des chamailleries qui font rire Paul Vannier : "Je les appelle Tic et Tac : ce sont les mêmes et ils n’assument pas ce qu’ils sont. Et ça prouve qu’Emmanuel Macron se comporte avec dédain et distance avec ses militants, en leur interdisant d’avoir un candidat." Caroline de Haas, elle, soupire devant la situation : "Ça prouve que le PS n’est plus de gauche. Non mais franchement : soutenir un gouvernement dont Bruno Le Maire est le ministre de l’Economie, c’est chaud." Comme s'il fallait en remettre une couche, les deux candidats sympathisants d'Emmanuel Macron ont annoncé, lors d'un "speed dating" organisé par le comité de la REM du 18e, qu'ils étaient prêts à se désister l'un en faveur de l'autre pour battre la gauche. Ce que le candidat insoumis n'a pas manqué de relever :

 

Une dureté que l’ex-ministre ne découvre pas : "Je suis lucide sur mon impopularité à gauche, je suis consciente des perceptions… et de leurs limites." Marquée par les invectives, elle n’aime pas le "ton" que prend la campagne. Deux jours après avoir pris un verre d’eau en pleine figure ("ça va, il faisait chaud"), elle soupire en évoquant les accusations de Jean-Luc Mélenchon contre Bernard Cazeneuve… elle n’en dira pas plus, mais la lassitude est là.

 

Ses plus de deux ans au gouvernement lui vaudront-ils d’être emportée par la vague "dégagiste" qui a pris avec elle les Valls, Hollande, Sarkozy et autres Juppé ? "Vous savez, moi, je n’ai même pas été députée de cette circonscription (ndlr, elle était suppléante lors du précédent quinquennat). Et puis dans la rue, les gens me disent qu’il faut aider le président. Surtout, ils veulent qu’on se mette autour de la table, qu’on sorte des postures." La question de ce que veulent les électeurs sera tranchée le 11 juin. Et la réponse, pour une fois, n’impliquera pas le FN. Le 23 avril, Marine Le Pen a fait 5% dans le 18e.


Antoine RONDEL

Tout
TF1 Info