À LA LOUPE - Quelque 80% des lois votées en France seraient issues de textes de l'Union européenne ? Un chiffre qui revient souvent dans le débat public, notamment à l'approche des élections européennes. Nous avons voulu vérifier. Et il en ressort que la réalité est très éloignée de cette assertion.
Bruxelles a-t-elle la mainmise sur l'activité des parlementaires français ? A l'approche des élections européennes de mai prochain, l'idée revient en force dans le débat public, avec, notamment, un chiffre choc régulièrement brandi : 80% des lois françaises ne seraient que des transpositions dans notre droit national de normes décidées au niveau européen. En creux, les adversaires de l'UE y voient un signe de perte de souveraineté de l'Etat au bénéfice d'une supra-nationalité européenne supposée.
Dans le passé, plusieurs études se sont déjà penchées sur le sujet. En 2010, le think tank Terra Nova écrivait que "l’impact réel du droit européen sur l’activité législative française se limite à 10%." Loin, donc, des 80% souvent avancés et issus d'une phrase lâchée par Jacques Delors en 1988, lorsqu'il était président de la Commission européenne. "Vers l’an 2000, 80% de la législation économique, peut-être même fiscale et sociale, sera décidé par les institutions européennes", professait-il. Trente ans plus tard, quelle est la réalité des chiffres ?
Pour établir notre constat, nous avons comptabilisé le nombre de lois votées et ordonnances promulguées sur une période donnée, que nous avons ensuite comparé avec le nombre de lois et d’ordonnances transposant des directives européennes. Ces données, accessibles sur Legifrance, sont issus des indicateurs de suivi de l’activité normative publié par le Secrétariat général du Gouvernement en mars 2018. Les données les plus récentes disponibles remontent à 2017.
Une réalité plus proche des 30%
Résultat des courses : entre 2012 et 2017, 30% des lois et 21% des ordonnances provenaient de transposition de directives européennes. Loin, donc, des fameux 80%.
Prenons l'exemple de 2012. Cette année-là, 77 lois ont été adoptées et 35 ordonnances promulguées, parmi lesquelles 12 lois et 7 ordonnances contenaient des éléments de transposition de directives européennes. Si on établit le ratio, nous obtenons pour cette année-là 16% des lois qui participent à la transposition de normes communautaires et 20% pour les ordonnances.
Cette même méthode, appliquée de 2012 à 2017, nous permet d'obtenir la moyenne de 30% et 21% de transposition. Enfin, si on calcule ces pourcentage sur quinze ans, entre 2002 à 2017, 29% des lois et 23% des ordonnances sont issues de directives européennes. La part des normes de Bruxelles au sein de la législation française reste donc stable sur la durée.
Un indicateur non-exhaustif
Pour mesurer l'impact des normes européennes dans l'environnement juridique français, le calcul du pourcentage des transpositions des directives rencontre toutefois quelques limites. En effet, il faudrait connaître l'importance qu'occupe la norme européenne à transposer au sein de chaque nouveau texte adopté.
Il ne faut pas oublier, en outre, qu'en plus des directives - qui doivent obligatoirement être transposées dans le droit de chaque Etat membre - l'Union européenne émet aussi des règlements - également contraignants. Ces derniers sont directement applicables dès leur publication par les administrations et opposables face aux juges.
Enfin, les normes européennes ne sont pas toujours retranscrites sous forme de lois ou d'ordonnances. Elles le sont également par décret ou arrêté. Nous avons donc aussi vérifié l'impact des transpositions pour ces types de texte. Résultat : 4% des décrets transposent des directives européennes, et moins de 1% des arrêtés. Seulement.
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