Télétravail : près d'un salarié sur deux en détresse psychologique

S.L
Publié le 20 avril 2020 à 15h10
Télétravail : près d'un salarié sur deux en détresse psychologique
Source : AFP

ETAT DES LIEUX - Alors que le Premier ministre a appelé à prolonger le télétravail le "plus longtemps possible", quand c’est faisable, une étude réalisée pour un cabinet spécialisé en risques psycho-sociaux souligne les risques de détresse de ce mode de travail, sur le long terme.

Détresse psychologique, sentiment d’isolement, anxiété, manque d'interaction sociales, sédentarité, surmenage… On connaissait déjà ces problématiques liées télétravail, mais le confinement, et donc le télétravail de façon pérenne, les accentue. Pour mesurer les liens entre confinement, crise sanitaire et santé mentale, le cabinet Empreinte Humaine, spécialisé en prévention des risques psychosociaux, vient de publier la première vague d’un baromètre Opinion Way, sur la situation des salariés en période de confinement. 

44 % des salariés français sondés se sentent en situation de "détresse psychologique", un quart d'entre eux présente un risque de dépression nécessitant un traitement, un quart déclare que leur motivation professionnelle s’est dégradée, selon l’étude menée auprès de 2.000 salariés. Et le fait d'être en couple ou avec un enfant sont des facteurs aggravants. "Après plusieurs semaines de confinement et de télétravail, le bien-être psychologique des salariés s’est largement dégradé en perdant 10 point par rapport à 2016", estime le cabinet.

"Ces résultats sont très préoccupants et montrent l’urgence d’agir", déclare Christophe Nguyen, psychologue du travail et président d’Empreinte humaine, qui en appelle à "une véritable prise de conscience des pouvoirs publics et des entreprises" : "La crise sanitaire a pris de court toute la société, les entreprises y compris. Mais elle ne les exonère pas de leur responsabilité en matière de protection de la santé de leurs salariés. Il convient de mettre en place des actions pour la sécurité psychologique."

Plusieurs facteurs expliquent cette "saturation" des salariés. Le sentiment d'être plus sollicité que jamais, une charge mentale alourdie, un cumul des rôles. Ainsi, les femmes semblent être les plus impactées : elles sont 22% contre 14% des hommes. Travail et maison se mélangent et bien souvent les parents doivent travailler en même temps qu’ils s’occupent de leurs enfants. Les managers sont eux aussi particulièrement exposés, puisque 20% d’entre eux vivent une détresse psychologique élevée. "Ils sont un pivot central dans l’’entreprise. Il faut prendre soin d’eux mais surtout leur donner les outils pour prendre soin de leurs collaborateurs", poursuit Christophe Nguyen.

Superficie, extérieur, télétravail... les inégalités face au logement et au travailSource : TF1 Info

Télétravail en mode dégradé

Joue aussi le fait que très souvent, le télétravail a été imposé en urgence, et donc parfois dans des conditions dégradées. Les outils techniques n’étaient pas prêts, les collaborateurs mal installés, mal équipés. D’ailleurs, beaucoup semblent ne pas avoir d’endroit où travailler dans de bonnes conditions. Selon le sondage, seuls 45 % des salariés interrogés peuvent s'isoler toute la journée si besoin. 60 % travaillent dans leur salon, et 25 % dans une pièce fermée qui n'est, initialement, pas prévue pour le travail, comme une chambre.

Sans surprise, être confiné dans un logement de moins de 40 m2 est un facteur aggravant car ces derniers sont plus nombreux que les autres à faire face à une détresse psychologique élevée. "Le télétravail n’est pas en soi un facteur de risque, ce sont les conditions dans lesquelles il s’effectue qui présentent des facteurs aggravants pour les salariés", précise Jean-Pierre Brun, co-fondateur d’Empreinte humaine et expert conseil.

Le défaut d'accompagnement psychologique

Une vigilance s’impose donc, poursuit le cabinet, sur le suivi de la motivation professionnelle : elle s’est détériorée pour 1/4 des salariés depuis le début du confinement. Cette détérioration est de plus grande ampleur chez les femmes (30%), les salariés d'Ile-de-France (31%), et pour les salariés confinés avec un ou plusieurs autres proches (32%). Enfin, les personnes exprimant une détresse élevée considèrent que leur performance s’est dégradée de 50%. 

Une réalité que les entreprises et le management doivent prendre en compte. Là-dessus, si les efforts des entreprises sont salués par les salariés (7 sur 10 considèrent que l'entreprise fait son maximum pour les aider), en entrant plus en détail sur le soutien qu’ils estiment recevoir des différents acteurs de l’entreprise, les salariés plébiscitent principalement celui de leurs collègues (79%), puis de leur N+1 (70%). Viennent ensuite la direction de l’entreprise (67%), la DRH (59%).

Surtout, le chaînon manquant semble être celui de l'accompagnement psychologique.  Ainsi, seulement 1/3 des sondés estiment être bien informés sur les risques psycho-sociaux.  Pourtant, l’étude le montre, les personnes vivent moins de détresse psychologique si elles se sentent soutenues par leur direction, les RH, ou encore leur manager.

Du télétravail "dans toute la mesure possible"

D'après un sondage de l'ANDRH (association nationale des DRH) en fin de semaine dernière, 95% des organisations ont recours au télétravail avec le confinement. Et les déclarations d’Edouard Philippe dimanche montrent que la sortie du tunnel n’est pas pour tout de suite : le Premier ministre a appelé à la poursuite du télétravail après le 11 mai "dans toute la mesure possible" "Beaucoup de nos concitoyens se sont mis (…) au télétravail, beaucoup peuvent le faire, beaucoup ont pu profiter de cette possibilité. Il va falloir que ce télétravail se poursuive dans toute la mesure du possible", a dit le Premier ministre lors d'une conférence de presse depuis Matignon. 

Quelles solutions, alors, pour tenter de limiter les dégâts ? Sans doute d’abord, de la part des encadrants, la nécessité de maintenir un lien, un collectif, mais qui ne être uniquement des apéros virtuels. "Il est temps de dépasser les uniques numéros verts ou les apéros virtuels qui ne sont pas suffisants au regard des enjeux de santé publique et de mettre en place de vrais programmes de santé psychologique des salariés et des managers impliquant en premier lieu l’engagement des comités de direction", conclut Christophe Nguyen.


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