CHAMPIONS ? - Singeant Baptiste Gatouillat, vice-président des Jeunes Agriculteurs, cet été, Didier Guillaume a assuré mardi 22 octobre sur LCI que l'agriculture française s'était vue décerner, "pour la troisième année consécutive, le titre d'agriculture la plus durable du monde". Mais si la France est bien en tête du classement du magazine britannique "The Economist" sur l'alimentation durable, sur le seul critère de l'agriculture durable, elle chute à la 21e place.
Alors que les agriculteurs français adressent un nouveau "coup de semonce" au président de la République, l'heure était à la calinothérapie, mardi 22 octobre sur LCI. Invité d'Elisabeth Martichoux, leur ministre de tutelle, a multiplié les appels à soutenir la profession, mécontente notamment de ses conditions de rémunération et de ce qu'elle estime être "l'agri-bashing", expression reprise par le ministre, désignant une défiance à l'égard des exploitants agricoles jugés trop gourmands en pesticide et en marge de productivité par les associations écologistes.
De quoi faire dire à Didier Guillaume que "l'agriculture française, il lui a été décerné le titre de l'agriculture la plus durable du monde. La plus durable du monde. Et on a toujours un certain nombre de gens qui veulent dénigrer, ce qu'on appelle de l'agri-bashing. C'est ça le problème. Je comprends le ras-le-bol des paysans, qui disent : 'On en a marre'." Une déclaration à retrouver dans la vidéo en tête de cet article et un argumentaire qui rejoint celui porté par le vice-président des Jeunes agriculteurs Baptiste Gatouillat, le 9 août, à la suite de la publication d'un rapport alarmiste du Giec sur la question de l'état des terres agricoles.
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Interrogé sur Europe 1 à propos de ce rapport, le vice-président des Jeunes agriculteurs avait alors estimé que la France était "sur la bonne voie". Une façon de rassurer qui tord toutefois la réalité.
Que penser du dernier rapport des experts du GIEC ? Qu'en disent les agriculteurs français ? "Il faut aussi rassurer nos concitoyens : on a été élus agriculture la plus durable au monde pour la 3e année consécutive" dit @BaptisteGat , vice-prés. des Jeunes agriculteurs. #Europe1 pic.twitter.com/02rpcE1ME7 — Europe 1 📻 (@Europe1) August 9, 2019
Leader contre le gaspillage, pas sur l'agriculture durable
Comme Baptiste Gatouillat, Didier Guillaume évoque l’indice de durabilité alimentaire ou FSI (Food Sustainability Index) que publie chaque année le magazine britannique "The Economist". Cette étude comparative est élaborée par des chercheurs, des économistes et des journalistes et est reconnue par de nombreuses institutions dont l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), une institution des Nations Unies.
La France arrive effectivement en tête du classement depuis trois ans, soit depuis la création de cet indice, mais comme son nom l'indique, il s'agit de durabilité alimentaire, et non agricole. Le score attribué à chacun des pays repose sur une quarantaine de critères répartis en trois catégories : le gaspillage alimentaire, la gestion des problématiques nutritionnelles et enfin la durabilité des méthodes agricoles. Chacune de ces catégories a un poids équivalent dans le calcul de l’indice agrégé.
L'indice 2018 compare 67 pays, représentant, à eux seuls, plus de 80% de la population et 90% du PIB mondial. Si la France enregistre le meilleur score, c'est surtout, et avant tout, pour ses bons résultats dans le domaine du gaspillage alimentaire. "Dans un monde où un tiers des aliments produits est jeté, la France est à l’avant-garde des politiques de lutte contre le gaspillage" indique Martin Koehring, l'un des auteurs de l'étude. Sont notamment félicités, la loi anti-gaspillage alimentaire mise en place en février 2016 et qui oblige les supermarchés de plus de 400 mètres carrés à donner leurs invendus alimentaires à des associations partenaires, mais aussi l'obligation faite aux restaurateurs d'ici le 1er juillet 2021 de proposer des "doggy-bags" à leurs clients pour emporter les restes de leur repas.
Toutefois, dans la catégorie "agriculture durable", la France chute à la ... 21e place, juste après le Rwanda et devant Malte. Dans cette catégorie, ce sont l'Autriche, le Danemark et Israël qui se démarquent. Si l'on regarde en détail les notes pour chaque critère, l'Hexagone gagne des points grâce aux faibles émissions de gaz à effet de serre liées à l'agriculture, au bien-être animal ou encore à la pêche durable. Elle passe dans le rouge en ce qui concerne l’impact du négoce international, la productivité et la gestion de l’eau. L'impact environnemental de l'agriculture sur les terres ou la diversité du système agricole enregistrent quant à eux des notes assez moyennes.
#France tops the #FoodSustainability Index, but it doesn't mean they make the best beef bourguignon @BarillaCFN https://t.co/Cixb7shomA pic.twitter.com/WzgIqjwH1f — The Economist Intelligence Unit (@TheEIU) December 2, 2016
La France peut donc encore mieux faire. Qu'en était-il des années précédentes ? Était-elle une championne de l'alimentation ET de l'agriculture durable ? En 2016, l'indice était calculé sur un panel plus réduit de 25 pays. La France était alors sur la première marche du podium sur les questions de gaspillage alimentaire et de défi nutritionnel et figurait à la 11e place en terme d'agriculture durable. En 2017, sur un panel de 34 pays, elle enregistrait son meilleur score : première sur le gaspillage alimentaire, 3e sur le développement durable et 4e sur les problématiques nutritionnelles.
L'industrie agroalimentaire mal prise en compte
Le but de cet index est de permettre aux Etats de mieux percevoir les politiques efficaces pour une alimentation durable. Aujourd'hui près de 820 millions de personnes souffrent de la faim, selon l'ONU, alors que plus de 1,9 milliard d’adultes sont obèses ou en surpoids, rapporte l'OMS. Autre paradoxe : les ressources naturelles sont surexploitées mais un tiers de la production alimentaire est jetée.
"Si l’indice peut servir à comparer les pays, son utilisation principale sera surtout d’aider à suivre l’évolution de la situation dans chacun des pays pour lesquels il est calculé et ainsi mettre en évidence les dimensions dans lesquelles ils devraient agir", souligne ainsi Materne Maetz, économiste agricole. Il émet toutefois quelques critiques : "On peut noter qui si grosso modo les dimensions environnementale et de santé/nutrition sont couvertes de façon assez satisfaisante, il ne semble pas qu’une importance suffisante ait été accordée aux dimensions économiques, sociales et politiques de la durabilité". Il regrette notamment le "manque total de considération de l’industrie agroalimentaire dans l’indice" et du "partage de la valeur ajoutée à l’intérieur du système alimentaire". Selon lui, le fait que l'indice ait été créé par le "Barilla Center for Food & Nutrition Foundation", autrement dit "une fondation financée par l’un des plus grands agro-industriels italiens, n’est peut-être pas étranger à cette lacune."
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