Arsenic, cyanure, amiante : 42 000 tonnes de déchets dangereux resteront enfouis à StocaMine en Alsace

par Mathilde ROCHE
Publié le 22 janvier 2019 à 19h24
Arsenic, cyanure, amiante : 42 000 tonnes de déchets dangereux resteront enfouis à StocaMine en Alsace

Source : SEBASTIEN BOZON / AFP

ENVIRONNEMENT - StocaMine, site de stockage souterrain de déchets dangereux, est à l'arrêt depuis plus de 15 ans. Alors qu'un rapport évoque un risque de pollution de la plus grande nappe phréatique d'Europe, François de Rugy a opté pour l'enfouissement définitif des 42 000 tonnes de déchets toxiques.

Ni réutilisables ni recyclables, ils peuvent être explosifs, inflammables, irritants, nocifs, toxiques, mutagènes ou encore cancérogènes : ce sont les déchets industriels ultimes dits "dangereux" (anciennement classe 0 et 1, à ne pas confondre avec les déchets radioactifs). En France, il n'existe qu'un seul site d’enfouissement à grande échelle de ce type de déchets. C'est en Alsace, dans l’ancienne mine de potasse de la commune de Witterlsheim reconvertie en décharge souterraine. Enfouis à 500 mètres de profondeur, de l’arsenic, du cyanure, de l’amiante ou encore des métaux lourds sont enfermés à proximité de la plus grande nappe phréatique d’Europe. Et à la surface, les polémiques sur la gestion de ces déchets sont récurrentes.

Le programme StocaMine, lancé en 1999 pour limiter les frais de la mise à l'arrêt de la mine, devait être une solution "réversible" et provisoire sur 30 ans. Mais l’Etat en a décidé autrement vendredi 18 janvier : 42 000 tonnes de déchets dangereux ne quitteront finalement plus jamais les galeries souterraines. François de Rugy, ministre de l’Environnement, a douché les espoirs formulés par plusieurs habitants et élus de la région, qui réclamaient le déstockage des déchets depuis des années.

Une perte de plusieurs centaines de millions d'euros d'argent public

A sa création, "StocaMine" devait initialement recueillir 320 000 tonnes de déchets industriels dangereux. Très vite, le projet est une perte d'argent pour l'Etat, qui peine à trouver des clients. Puisqu'en France, il faut payer pour déposer ses déchets, les industriels préfèrent l'Allemagne toute proche, qui propose des décharges souterraines du même type pour moins cher.

En 2002, alors que la décharge vient d'être partiellement privatisée, un gigantesque incendie stoppe toute l'activité. A ce stade, 44 000 tonnes de déchets ont déjà été ensevelies, parfois dans des conditions ne garantissant pas l'étanchéité parfaite des substances toxiques, selon le récit des équipes de Libération. Depuis, le déstockage des déchets est réclamé par les élus locaux et les associations environnementales, en raison de la présence potentielle de déchets non autorisés et des risques de pollution de la plus grande nappe phréatique d'Europe, qui passe au dessus des galeries, entre les déchets et la surface. Mais rien n'est fait.

En 2014, la Cour des comptes alerte sur le coût de l'entretien du site : "A la fin de 2012, cette inaction [de l'Etat] avait coûté au minimum 45 millions d'euros aux finances publiques, montant qui s’accroît annuellement de 5,5 millions d'euros". La même année 2 000 tonnes de mercure - considéré comme la substance la plus toxique - sont évacuées, grâce à une enveloppe supplémentaire de 100 millions d'euros. Mais en mars 2017, l'Etat opte finalement pour le confinement définitif du reste des déchets. Depuis, la bataille fait rage entre ministère, préfecture et représentants sur place. 

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Des risques de pollution "dans un délai de 600 à 1000 ans"

En 2018, Bruno Fuchs (Modem) et Raphaël Schellenberger (LR), députés du Haut-Rhin, publient un rapport parlementaire sur StocaMine, concluant sur la nécessité de vider l’ancienne mine de ses 42 000 tonnes de déchets restants. Le ministre de la Transition écologique de l'époque, Nicolas Hulot, demande alors une "étude sur la faisabilité d'un déstockage intégral des déchets" au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Les résultats montrent que le déstockage des déchets est "techniquement faisable" mais demeure complexe et nécessiterait l'emploi des "techniques les plus pointues au niveau mondial". Autrement dit, beaucoup d'argent. Le confinement coûterait 80 millions d'euros de travaux, alors que le coût de l'extraction des déchets est estimé entre 300 et 400 millions d'euros.

Or dans l'hypothèse d'un enfouissement définitif, "la pollution de la nappe phréatique par les déchets [commencerait] à apparaître dans un délai de 600 à 1 000 ans", selon la présidente du BRGM, Michèle Rousseau. Un délai visiblement suffisant pour que le gouvernement actuel s'en tienne à une minimisation des risques et des coûts. Le ministre François de Rugy, ayant repris le dossier, a ainsi estimé que "compte tenu des enjeux, de la balance des risques" et du "surcoût" lié au déstockage des déchets, "la solution la plus adaptée demeure la poursuite du (...) confinement des déchets restants, sans déstockage supplémentaire".

Grand débat national : le dernier espoir ?

Une aberration pour Bruno Fuchs, qui a exprimé sa déception sur Twitter. Contacté par LCI, le député explique qu'il se rendra mercredi à l'Assemblée "poser [s]es questions et voir quels sont les arguments donnés par le premier ministre". Même s'il comprend les arguments financiers, il existe selon lui des solutions intermédiaires "comme extraire seulement les déchets solubles dans l'eau" qui sont les plus à risques en cas d'infiltration des galeries souterraines.

Mais Bruno Fuchs regrette surtout "la méthode" et aurait apprécié que la décision "soit ouverte à la discussion, surtout dans le climat actuel". Une réunion publique avec le collectif Destocamine, organisée bien avant la décision du ministère, devrait selon le député, permettre aux citoyens de s'organiser juridiquement pour contester la décision. L'élu estime enfin que le gouvernement doit désormais décider "si c'est un sujet où le ministre décide seul où si c'est un sujet où les citoyens donnent leurs avis".  


Mathilde ROCHE

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