La publication, ce lundi 20 mars, du dernier rapport des experts climat réunis par l'ONU (Giec) rappelle la nécessité pour l'humanité d'enfin agir radicalement pour s'assurer "un futur vivable".Fabrice Bonnifet, président du C3D, le Collège des directeurs du développement durable, nous livre son analyse dans ce nouvel édito.
La synthèse des travaux du Giec qui vient d'être publiée est un événement extraordinaire. Elle pose clairement le diagnostic de notre addiction aux énergies fossiles, qui risque de nous précipiter dans les soins palliatifs. Et pourtant ce rapport des rapports du Giec sera globalement moins commenté dans les médias qu’un fait divers, et parions qu’il sera oublié dans quelques heures ! Le "résumé pour les décideurs" qui accompagne sa diffusion sera peut-être lu par quelques dirigeants du monde, mais combien d’entre eux comprendront vraiment la radicalité des mesures qu’il faudrait mettre en œuvre, face à l’implacabilité des faits scientifiques ? Adaptons la citation d’Upton Sinclair : "Il est difficile de faire comprendre le monde fini à un dirigeant lorsque son statut social, son salaire, sa dépendance à un système qui le contrôle dépend précisément du fait qu'il ne le comprenne pas."
Lisons bien la principale information de cette synthèse. Les émissions mondiales de gaz à effet de serre doivent culminer au plus tard en 2025 et baisser de 43% d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2019, et de 84% d'ici à 2050. Dans 27 ans, nous devrons donc atteindre la fameuse "neutralité carbone*", cet étendard de vertu souvent affiché comme un objectif ultime par ceux qui auront depuis longtemps... quitté la "barre".
Une question centrale se pose : l’indispensable trajectoire de décarbonation pour garantir un avenir à l’humanité est-elle compatible avec les perspectives économiques exigées par les marchés financiers ? Rappelons qu’une croissance de 2 à 3% par an du PIB mondial (100.000 milliards de dollars en 2022) aura pour effet de le doubler en une génération, soit d’ici 2050 précisément. Dans exactement la même temporalité, pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, la consommation mondiale de charbon, de pétrole et de gaz doit diminuer respectivement de 100, 60 et 70 %.
Les économistes, souvent peu éclairés sur le rôle des flux physiques dans l’économie, nous expliquent que la transition viendra essentiellement de l’innovation, des ENR, de l’hydrogène et bien sûr de l’efficacité énergétique. Personne ne conteste que nous aurons besoin de tout cela. Mais avons-nous bien évalué les conséquences de cette fuite en avant du toujours plus de transactions financières génératrices de business plus ou moins essentiels. Rien qu’en termes de demandes en ressources minérales, Olivier Vidal, directeur de recherche CNRS à l'Institut des Sciences de la Terre, et bien d’autres scientifiques, nous informent que la quantité de métaux à extraire pour tenir les projections des industriels (voitures électriques, équipements numériques, éoliennes…) pour réussir la transition dans les 20 prochaines années est équivalente à la quantité de métaux qui a été extraite depuis l’Antiquité ! Même en admettant que ces métaux seraient encore facilement disponibles, ce qui n’est pas prouvé pour nombre d’entre eux, avons-nous bien mesuré les effets d’une multiplication de 3 à 20 (cuivre, lithium, cobalt, nickel…) de la production des industries extractives en 20 ans, sur les besoins en investissements, les effets collatéraux sur la préservation de la biodiversité et sur le stress hydrique ?
Non, nous ne pourrons pas déployer des innovations technologiques qui soit n’existent pas encore, soit requièrent des infrastructures industrielles zéro carbone qu’il sera impossible d’implémenter à la bonne échelle dans le temps qu’il nous reste
Fabrice Bonnifet
Puisse cette synthèse déclencher un brin de lucidité parmi ceux qui ne veulent plus faire semblant d’agir ! Non, les décideurs rêvent, ou alors ils sont incompétents lorsqu’ils affirment que nous pouvons simultanément maintenir les mêmes trajectoires économiques, tout en décarbonant toutes les activités humaines à la vitesse exigée par la science. Notons que ces trajectoires déconnectées du respect du bien commun ne permettent plus, depuis longtemps, de réduire ni la pauvreté, ni la misère sociale. Non, nous ne pourrons pas déployer des innovations technologiques qui soit n’existent pas encore, soit requièrent des infrastructures industrielles zéro carbone qu’il sera impossible d’implémenter à la bonne échelle dans le temps qu’il nous reste, de surcroit dans un contexte géopolitique encore très favorable aux énergies fossiles (80% du mix énergétique mondial). Non, il est faux d’affirmer que les solutions d’adaptation au changement climatique nous permettront de "supporter" les dérèglements climatiques, car lorsque les canicules et les sécheresses vont s’enchainer, il n’y aura tout simplement plus de vie.
La seule solution pour maintenir une once d’espoir est que les pays riches acceptent de ralentir la production du non essentiel, de changer notre façon de mesurer le progrès et nos modèles économiques, pour enfin les aligner avec les limites planétaires. Les solutions pour prospérer sans carbone existent, elles combinent les hautes technologies avec les lowtech, l’impératif de rendre la sobriété désirable avec l’émergence de nouveaux imaginaires du vivre ensemble, les interdictions du superflu avec de la pédagogie, de la démocratie locale avec de la planification continentale (EU) et surtout de la solidarité avec de la réduction des inégalités. Nous n’y arriverons sans doute pas, mais la dignité, c’est d’essayer.
*équilibre entre les émissions anthropiques et la capacité d’absorption des puits de carbone naturels, soit une vingtaine de GtCO2
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