INTERVIEW - Elle permet de produire de l'énergie et de remplacer des engrais tout en traitant des déchets organiques. Mais la méthanisation, qui se développe en France, n'est pas sans risque. Explications d'Olivier Theobald, spécialiste de cette technique au sein de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).
Ces dernières années, ils poussent dans nos campagnes comme des champignons. Ces grandes cuves rondes surmontées d'un dôme sont des méthaniseurs. On y fait entrer divers types de déchets organiques, qui mijotent, en produisant d'un côté du biogaz, qui sert lui-même à produire des biocarburants, de l'électricité, de la chaleur ou du gaz de ville, et de l'autre côté du digestat, le résidu de la méthanisation qui sert de fertilisant pour les cultures.
Sur le papier, la méthanisation ne semble avoir que des avantages, elle reste une technique complexe et peut occasionner des dégâts sur l'environnement si elle n'est pas maîtrisée. Pour le comprendre, Olivier Theobald, du service Mobilisation et valorisation des déchets de l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie), a répondu aux questions de LCI.
LCI : Quel est l'intérêt de la méthanisation ?
Olivier Theobald : L'intérêt de la méthanisation, c'est de traiter des matières (déchets, effluents, boues d'épuration) qui contiennent de la matière organique. En se dégradant, ces matières vont produire du biogaz, qui a une valeur énergétique, et qu'on peut valoriser soit en produisant de l'électricité, soit en produisant de la chaleur, soit en l'injectant dans le réseau de gaz naturel, après un processus d'épuration. La méthanisation, comme le compostage, permet de stabiliser ces déchets organiques et de les rendre moins odorants, mais contrairement au compostage, la méthanisation permet en plus de produire de l'énergie qui peut se substituer aux énergies fossiles.
Ce biogaz est considéré comme une énergie renouvelable, mais son utilisation génère des gaz à effet de serre, qui contribuent au réchauffement climatique. Comment expliquer cette particularité ?
Le biogaz est une énergie renouvelable, car il est produit à l'aide de matières organiques produites en "circuit court". Mais la combustion du méthane (CH4) qu'il contient, conduit à produire du dioxyde de carbone (CO2), un gaz à effet de serre moins puissant que le méthane. En raison de son contenu carbone moins élevé que celui du gaz, la valorisation du biogaz en substitution à une énergie fossile peut donc contribuer à diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Des études sont actuellement engagées pour définir précisément le contenu en carbone d'un biogaz épuré à la qualité de gaz naturel.
En plus de cet intérêt énergétique, le résidu de la méthanisation, qu'on appelle digestat, permet de fertiliser les cultures. Comment ça marche ?
Oui. Ces digestats sont généralement stockés et séparés en deux phases : une phase liquide et une phase solide. Les digestats peuvent aussi être compostés, mais c'est moins fréquent. Ils ont une valeur fertilisante car ils contiennent de l'azote, du phosphore et de la potasse. Ils peuvent fertiliser ainsi les cultures et se substituent à des engrais minéraux, produits avec des énergies fossiles, donc non renouvelables. Le digestat solide contient surtout du phosphore et il est utilisé plutôt en apport d'automne, tandis que le digestat liquide contient surtout de l'azote et il est épandu plutôt au printemps et en été.
En cas de surdosage, ou de mauvaise absorption par les plantes, les éléments fertilisants peuvent migrer dans le sol et atteindre les nappes phréatiques.
Olivier Theoblad
L'épandage de digestat issu d'un méthaniseur situé dans le Lot a suscité de nombreuses critiques depuis son installation il y a un an. Que savez-vous sur ce site ?
Ce méthaniseur n'a pas été subventionné par l'Ademe car il ne répondait pas aux critères d'aides en raison de la puissance électrique installée. Sur ce type d'installation, il y a toujours une enquête et la délivrance d'un permis de construire, d'une autorisation d'exploiter, et un plan d'épandage visé par la Dreal (Direction régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement, un service déconcentré de l'État comme la Direction départementale des territoire, ndlr).
Les critiques pointent notamment des épandages de digestat brut liquide sur des sols calcaires très fissurés et de très faible épaisseur, ce qui entraînerait la descente des excès d'azote dans les réserves d'eau souterraine.
Comme pour les autres sites, l'épandage du digestat doit respecter un plan d'épandage qui prend en compte les caractéristiques du sol et des cultures qui y sont faites. Les plans d'épandage doivent donc respecter des doses maximales à l'hectare. En cas de surdosage, ou de mauvaise absorption par les plantes, les éléments fertilisants peuvent migrer dans le sol et atteindre les nappes phréatiques. C'est un risque qui existe aussi avec les épandages de lisiers, de fumiers, de composts ou d'engrais minéraux. Par ailleurs, un cas de mortalité de vers de terre a été rapporté suite à un épandage de digestat. Un excès de nutriments (azote phosphore ou potasse) contenus dans le digestat, ou la nature même du digestat, pourraient être à l’origine de cette mortalité subite. Des investigations complémentaires seraient nécessaires pour en déterminer exactement la cause.
La méthanisation ne filtre pas les éléments polluants
Olivier Theoblad
D'autres pistes sont évoquées, comme la présence de métaux lourds ou de résidus d'antibiotiques dans le digestat...
Là encore, il faudrait que le lien soit établi localement, donc il est difficile de se prononcer sur ce cas précis. Mais ce qu'on peut dire plus globalement, c'est que la méthanisation ne filtre pas les éléments polluants, or les déchets que l'on méthanise peuvent effectivement contenir des traces métalliques ou organiques, des résidus de médicaments, et d'autres molécules polluantes qui proviennent des activités humaines ou industrielles en amont. Si ces éléments entrent dans un méthaniseur, on les retrouvera à la sortie dans les digestats. Là encore, les plans d'épandage et l'analyse régulière des digestats sont des garde-fous pour éviter une contamination du milieu naturel.
Malgré ces risques, la méthanisation semble avoir de nombreux avantages. Pourquoi la France s'y est-t-elle mise si tard par rapport à ses voisins européens ?
La méthanisation s'est vraiment développée en France à partir de 2006 dans le secteur agricole, lorsque les tarifs d'achat de l'électricité produite à partir de biogaz ont été réévalués. Auparavant, cette technique était surtout utilisée dans le traitement des boues d'épuration urbaines ou industrielles. La méthanisation s'est développée en France surtout pour traiter des déchets, contrairement à d'autres pays européens qui ont fait le choix d'incorporer des cultures énergétiques dans leurs méthaniseurs. Le développement de la méthanisation en France s'est donc fait avec un rythme plus lent que dans d'autres pays, mais sans concurrence avec les surfaces cultivées destinées à l'alimentation humaine ou animale. L'Ademe subventionne chaque année plus d'une centaine de projets, à hauteur d'environ 15% des investissements et participe ainsi à répondre aux objectifs de production d'énergie renouvelable qui viennent d'être définis dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Les aides de l'Ademe sont la plupart du temps complétées soit par des aides régionales, soit par des fonds européens. Ces aides viennent en complément des tarifs d'achat de l'électricité ou du biométhane injecté dans le réseau de gaz et contribuent à rentabiliser les investissements.
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