TotalEnergies au tribunal : à quoi correspond clairement le délit d'"inaction climatique" ?

par Sebastie MASTRANDREAS (avec AFP)
Publié le 31 mai 2023 à 19h44

Source : LCI MIDI

Une coalition d'ONG et de collectivités a porté plainte contre TotalEnergies en l'accusant "d'inaction climatique".
Un délit en lien avec la justice climatique, notion récente en droit, dont l'État français avait été reconnu coupable en 2021 dans l'"Affaire du siècle".
Explications.

Nouvelle étape très attendue dans une bataille judiciaire contre un poids lourd de l'industrie. TotalEnergies a retrouvé, ce mercredi 31 mai, les militants du climat au tribunal de Paris. Une coalition de six ONG (Sherpa, France Nature Environnement...) et de 16 collectivités, dont les villes de Paris et de New York, a porté plainte contre la multinationale en 2020, l'accusant "d'inaction climatique". Elle demande à la justice de contraindre le groupe à aligner sa stratégie climatique sur l'Accord de Paris

Les plaignants estiment en effet que TotalEnergies, l'un des 20 plus gros émetteurs de CO2 au monde, manque à son "devoir de vigilance" sur l'impact environnemental de ses activités. Un devoir imposé depuis 2017 par une loi française pionnière sur la responsabilité des entreprises. Une nouvelle action judiciaire, dont la recevabilité est contestée par les avocats de TotalEnergies, qui s'ajoute à celles initiées depuis les années 2000 au nom de la justice climatique. On vous explique.

L'inaction climatique considérée comme illégale

C'est cette revendication de justice climatique, apparue au début du siècle en droit, qui a permis de sanctionner, pour la toute première fois de son histoire, l'État français. En février 2021, le gouvernement a été condamné dans l'"Affaire du siècle", pour son inaction climatique, à savoir ses manquements envers les objectifs climatiques qu'il s'était lui-même fixés. Cette notion est portée par la société civile et les ONG, devenant un instrument de pouvoir populaire. 

S'inspirant de la justice sociale, elles partent de l'idée que "les pays et les populations qui ont le moins contribué historiquement au changement climatique en subissent le plus les impacts et ont moins la possibilité de s’en protéger ou de s’y adapter", explique le cabinet de Conseil Orygeen. Dès lors, l'objectif de cette justice climatique tient à ce que "les gouvernements et les entreprises prennent leurs responsabilités face à la crise climatique", résume le spécialiste de la lutte contre le changement climatique. Devant les tribunaux, "le climat devient un sujet de droit", poursuit-il. Et l'inaction climatique "devient illégale". 

Plus de 1300 plaintes dans une trentaine de pays

Les premiers procès intentés contre les États et entreprises pour "inaction climatique" se multiplient ainsi depuis plusieurs années. Dans un rapport, le Grantham Research Institute de la London School of Economics a estimé que plus de 1.300 actions en justice pour le climat ont été lancées entre 2006 et 2019. La grande majorité d'entre elles ont été recensées aux États-Unis (1.023 cas). Avant qu'une "expansion géographique" de ce phénomène n'ait lieu dans le reste du monde, de la Colombie, au Pakistan en passant par les Pays-Bas. Chez nos voisins néerlandais, la justice a définitivement condamné, en 2019, le gouvernement de revoir ses engagements sur les émissions de gaz à effet de serre. Un cas qui a inspiré d'autres actions climatiques en Irlande, en Belgique, en Norvège et en France, pour la fameuse "Affaire du siècle". 

TotalEnergies n'est pas la seule entreprise à être concernée par ces actions. Outre-Atlantique, le pétrolier américain Exxon Mobil a ainsi été accusé de "fraude" pour avoir caché à ses investisseurs les effets réels de ses activités sur le climat. Le premier volet de l’affaire, portée devant la Cour Suprême de l’État de New York, s’est conclu fin 2019 en faveur d’Exxon Mobil qui a été relaxé. Ce qui n'a pas empêché d’autres États américains d'assigner le groupe en justice.

Vers une suspension des nouveaux projets de TotalEnergies ?

La décision des juges sur le dossier de TotalEnergies n'est pas attendue avant 2024 ou même 2025. Mais la coalition a demandé au juge lors de l'audience ce mercredi de prendre une mesure provisoire exceptionnelle : ordonner à TotalEnergies de "suspendre les projets d'exploration et d'exploitation de nouveaux gisements d'hydrocarbures n'ayant pas fait l'objet d'une décision finale d'investissement", et ce jusqu'au jugement de l'affaire sur le fond. 

À terme, ONG et collectivités espèrent obtenir un équivalent français de l'affaire Shell : en 2021, un tribunal des Pays-Bas, saisi par des ONG, avait condamné le géant pétrolier à accélérer son plan de réduction de gaz à effet de serre. Shell a fait appel. Dans une autre procédure menée en France au nom du "devoir de vigilance", les ONG qui attaquaient TotalEnergies pour son mégaprojet pétrolier Tilenga-Eacop en Ouganda et en Tanzanie, ont été déboutées en février par le tribunal de Paris. 

Face aux pressions - de l'opinion, du gouvernement ou même de certains actionnaires - le PDG de TotalEnergies Patrick Pouyanné a défendu pied-à-pied vendredi sa stratégie climatique, pendant l'assemblée générale du groupe. Le groupe prévoit de consacrer un tiers de ses investissements aux énergies bas-carbone dans la décennie, mais reste associé au pétrole et bientôt encore plus au gaz, sa priorité.


Sebastie MASTRANDREAS (avec AFP)

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