ÉDITO - La Bourse a connu une année particulièrement faste en 2021, mais elle reste très loin des bonnes résolutions environnementales. Fabrice Bonnifet, président du C3D, le Collège des directeurs du développement durable, nous livre son analyse.
2021 a été une année record pour les principales places boursières mondiales, mais au service de quel système économique ? N’y a-t-il pas comme un paradoxe d’observer que plus Wall Street passe au "vert", plus la planète vire au "rouge" ? L’analogie est la même concernant le PIB. Les explications sont pourtant simples. La plupart des pays, démocratiques ou pas, ont échoué à concilier l’économie avec la préservation du vivant. Au fur et à mesure de l’augmentation en fréquence et en gravité des catastrophes environnementales dues aux activités humaines, les décideurs de toute nature n’ont eu de cesse de promettre des améliorations sans résultat probant. Progressivement, ils y ont perdu non seulement leur crédibilité, mais également toute confiance dans leur capacité à agir vraiment, de la part de la frange grandissante des populations les plus exposées aux dérèglements climatiques et qui vont progressivement devenir les plus conscientes des drames qui s’annoncent.
Les principales raisons de cet aveuglement à ne pas voir la réalité en face sont connues, les ressources naturelles, ainsi que les services rendus gratuitement par les écosystèmes (cycle de l’eau, pollinisation, stabilité du climat…) comptent pour zéro dans le business, en dehors des coûts d’exploitation. En conséquence, ces services écosystémiques, pourtant indispensables à l’économie, n’apparaissent nulle part au passif du bilan ni des pays, ni des entreprises privées ou publiques. Dans ces conditions pourquoi se préoccuper d’un sujet seulement régulé à la marge par un droit complaisant et surtout qui ne coûte rien ?
Jusqu’au jour - et nous y sommes - où les dégradations environnementales et la surexploitation des ressources sont telles qu’elles commencent à mettre en péril l’activité économique elle-même. Les sécheresses et les canicules qui font baisser les rendements agricoles, les inondations extrêmes, les méga incendies et les tornades qui répandent la désolation… ces phénomènes n’étant que des exemples de bouleversements désormais incontrôlables qui coûtent des milliards aux compagnies d’assurance et aux États, dont certains ne peuvent déjà plus suivre le rythme des sinistres. Sans même compter l’épidémie de Covid, première pandémie mondiale sans doute due à une zoonose, et dont les effets se feront ressentir longtemps non seulement sur notre économie, mais aussi sur notre santé physique et mentale.
La posture qui consiste à soutenir financièrement les filières "vertes" tout en continuant d’aider les activités écocides n’est plus tenable.
Fabrice Bonnifet
Une solution efficace serait de changer le système comptable mondial, afin de nous obliger à intégrer dans les coûts de tout ce qui se vend, les investissements et les provisions à consentir pour concrètement maintenir la planète en bon état. Pour tendre vers ce modèle, plusieurs initiatives (ISSB, EFRAG) sont actuellement en cours pour tenter d’adapter les règles du reporting non-financier, mais la route va être longue pour changer notre manière de compter la (vraie) valeur et donc d’apprécier la performance réelle des organisations. En attendant, nous pourrions prendre d’autres types de mesures pour stopper l'inexorable augmentation de la concentration des gaz à effet de serre dans l'atmosphère. La posture qui consiste à soutenir financièrement les filières "vertes" tout en continuant d’aider les activités écocides n’est plus tenable. Bien entendu, il est indispensable d’accompagner massivement les nombreux secteurs qui vont devoir se réinventer le plus, à commencer par les banques dont la survie dépend quasiment exclusivement de la "bonne santé" du secteur oil & gaz mondial. Arrêtons également de faire croire qu’on nous allons pouvoir tout rendre "durable" sans avoir à changer de modèle de société. C’est le comble d’une forme aiguë d’irresponsabilité hélas très répandue.
Arrêtons enfin de nous mentir les uns les autres. La pratique à la mode est de prendre des engagements dont tout le monde sait que sans changement majeur de paradigme "socio-écolo-nomique", il n’y a aucune chance qu’ils puissent être tenus. Les États sont endettés à des niveaux jamais atteints, les entreprises n’ont globalement jamais émis autant de CO2 pour soutenir leurs objectifs de rentabilité à court terme, et plus les seuils d’irréversibilité indiqués par les scientifiques se rapprochent, plus les promesses de neutralité pour inverser la courbe des émissions de CO2 sont ambitieuses et bien souvent irréalistes compte tenu de la faiblesse des moyens consentis. Quelle comédie dramatique (voir d’urgence le film Don’t look up !) ! Parmi ceux qui ont pris le temps d’étudier sérieusement le problème, plus personne ne croit au pseudo découplage PIB/C02 insoutenable dans la durée, ni les analystes financiers qui ne sont dupes de rien sur le long terme, mais qui continuent de faire semblant de croire les fables qu’on leur sert, ni les jeunes du monde entier qui expriment leur exaspération face à une génération de boomers incapable de remettre en question leurs certitudes, ni les consommateurs citoyens désabusés par le greenwashing généralisé et qui expriment leur résignation par l’abstention lors des élections.
Quand comprendrons-nous que le seul et véritable ennemi de notre temps est notre totale dépendance et addiction aux énergies fossiles ? Et comme tous les "drogués", il nous faut suivre un traitement de choc pour nous en sortir. L’alchimie du remède est très subtile, il convient de faire émerger des leaders courageux, lucides et sans égo démesuré, puis de dénoncer la farce des théories économiques qui font fi de l’implacabilité des faits scientifiques et des effets rebonds, puis de concevoir avec des citoyens formés, dans le cadre de conventions citoyennes thématiques, un nouveau modèle de société basé sur la sobriété, dans laquelle la technologie sera mise au service du bien commun et rien d’autre !
Rêvons d’une époque dans laquelle lorsque les bourses du monde entier afficheront des résultats positifs, ces derniers seront corrélés au respect des 9 limites planétaires, car il n’y aura pas d’économie florissante dans la durée sur une planète devenue étuve. Face à ces propositions, on va nous expliquer qu’il nous faut être "raisonnable" dans les changements à opérer, que la transition est en cours, qu’il faut laisser du temps au marché de s’adapter, le laisser s’auto-réguler, blablabla…. La seule réalité est qu’au rythme infernal actuel de l’augmentation des émissions de CO2 et des autres dégradations qui y sont généralement corrélées, plus de 1/5ème des terres émergées de la planète seront inhabitables bien avant 2100 et pour les autres territoires, le chaos économique et social sera leur quotidien.
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