La sixième limite planétaire, sur l'eau douce, est désormais franchie selon une récente étude."Ce nouveau dépassement démontre une fois de plus notre incapacité à admettre l’évidence du monde fini", estime Fabrice Bonnifet.Le président du C3D, le collège des directeurs du développement durable, nous livre son nouvel édito.
L’humanité a depuis longtemps dépassé les bornes du bon sens, et cela explique que nous fassions peu de cas des limites planétaires. Ainsi, dans l’indifférence générale, entre un match de rugby et la visite d’un roi "écologiste" qui se déplace en avion pour venir de Londres, une sixième limite planétaire sur les neuf identifiées par un groupe de scientifiques internationaux vient d’être franchie. Elle concerne les atteintes au cycle de l’eau douce associées à la surexploitation de cette ressource indispensable à la vie et la disparition organisée des zones humides. En outre, la perturbation du rythme des précipitations, imputable au réchauffement climatique, est scientifiquement avérée.
Concrètement, cela signifie que l’alimentation en "eau bleue" des nappes phréatiques, des lacs et les rivières va être de plus en plus erratique. Autrement dit, nous allons subir des épisodes de stress hydrique à répétition qui vont sérieusement poser problème, tant pour l’agriculture que pour l’industrie ou la consommation humaine et animale.
Devrons-nous attendre d’avoir franchi la neuvième limite planétaire et acté le dépôt de bilan planétaire pour s’apercevoir que l’argent n’est pas comestible ?
Fabrice Bonnifet
Ce nouveau dépassement démontre une fois de plus notre incapacité à admettre l’évidence du monde fini. Comme l’a souligné Yuval Noah Harari dans Sapiens, l’Homme depuis des millénaires n’a jamais véritablement considéré la nature autrement que comme un puits sans fond. Tant que l’énergie pour transformer le monde était peu abondante, les limites planétaires ont été peu altérées. Avec l’avènement de civilisation thermo-industrielle, le rapport de force s’est inversé, en entrant dans l’anthropocène les humains ont surpassé les forces géophysiques.
À partir de là, la belle mécanique des services écosystémiques qui avait mis des millions d’années à se stabiliser a commencé à s’enrayer. Dès le début du 19ᵉ siècle, des lanceurs d’alerte se sont manifestés pour mettre en garde la folie humaine dans sa quête du toujours plus. En vain, la machine économique écocidaire à produire autant l’essentiel que l’accessoire s’était mise en marche avec une efficacité diabolique.
Pour se justifier, les promoteurs de la cupidité à vil coût pour le vivant, qui considèrent l’environnement et le dumping social comme une simple variable d’ajustement, ont d’abord cherché à cacher la réalité des effets délétères de la production de masse. Puis lorsque les preuves tangibles de la destruction du capital naturel ne pouvaient plus être dissimulées, nous sommes entrés dans l’ère de la fabrique du mensonge et de la manipulation organisée, le greenwashing était né.
Maintenant, nous entrons dans une nouvelle ère : celle du syndrome de la post-vérité, selon laquelle les croyances naïves et les opinions de la "vie réelle" l’emportent sur la réalité des faits, l’idéologie consumériste sur la science et l’émotion sur le rationnel. Devrons-nous attendre d’avoir franchi la neuvième limite planétaire et acté le dépôt de bilan planétaire pour s’apercevoir que l’argent n’est pas comestible ? Alexandre Dumas avait tellement raison de dire que si le génie humain, comme la planète, a bien des limites, en revanche la bêtise humaine n'en a pas.