Impact positif

La biodiversité oubliée par la finance verte

Publié le 11 mars 2021 à 8h30, mis à jour le 12 mars 2021 à 15h11
La biodiversité oubliée par la finance verte

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ÉCOSYSTÈME EN DANGER - Partenaire du Prix Jeunes pour l’Environnement avec EpE, LCI vous éclaire pendant un mois autour de la thématique "La finance, accélérateur de la transition écologique" - Le changement climatique et la transition énergétique perçoivent de plus en plus de fonds des grands argentiers de la planète. Mais quid de la biodiversité, pourtant en grand danger d’extinction ?

La moitié des vertébrés a disparu en 40 ans, environ un million d’espèces animales et végétales sont en danger d’extinction, les milieux vierges ont reculé de 3 millions de kilomètres carrés (environ 10 % de leur superficie) en 20 ans, les activités humaines ont englouti 1,2 milliard de kilomètres carré de forêt, la superficie des "zones mortes" (espaces marins étouffés par les effluents agricoles charriés par les fleuves où l'oxygène a presque disparu) a crû de 75 %, etc. Nous pourrions décliner cette litanie de chiffres sur des pages et des pages tant les chercheurs nous la déploient tous les jours avec de nouvelles données alarmantes.

Ces évolutions désastreuses découlent des changements d'affectation des terres, de la surexploitation des ressources naturelles, de la pollution, des espèces exotiques envahissantes ou encore des dérèglements climatiques. En d’autres termes, notre écosystème se rapproche dangereusement du point de non-retour.

Malgré l’évidence, des climatosceptiques continuent à contester le changement climatique. Sur le plan du recul de la biodiversité, aucun chercheur ne s’exerce à discuter la vertigineuse perte que notre planète subit depuis des décennies. Dans un rapport, l’OCDE s’inquiète : "Le recul mondial de la biodiversité est l'un des plus grands risques pour l’humanité. Il nuit à la santé et au bien-être des personnes, à la résilience de la société et aux avancées dans la réalisation des Objectifs de développements durables (ODD) des Nations unies. Il soumet nos économies à un lourd tribut et rend plus difficile la résolution d'autres problèmes mondiaux comme le changement climatique."

La biodiversité, parent pauvre des financeurs

Dans son Petit livre de l’investissement pour la Nature, l’ONG Global Canopy estime les apports financiers mondiaux en faveur de la préservation de la biodiversité à 124 milliards de dollars par an. Il en faudrait six fois plus. Pire, l’OCDE prévient : "Ces estimations sont partielles et incomplètes du fait de divers chevauchements de données. D'importantes lacunes et incohérences subsistent dans la notification et le suivi des financements de la biodiversité. Les données concernant plusieurs types d'apports financiers ne sont pas notifiées de façon cohérente et comparable d'un pays à l'autre." L’OCDE rappelle que chaque année, les investisseurs attribuent 500 milliards de dollars aux projets détruisant la biodiversité.

Si le recul de la biodiversité semble un sujet immédiat, le monde de la finance reste en retrait. Les dangers de l’augmentation brutale des températures ou des énergies sales touchent davantage les investisseurs. Anne-Claire Roux, directrice de la plateforme Finance for tomorrow, le regrette amèrement : "Nous n’en sommes qu’aux prémices. Seuls des acteurs spécialisés ou militants concentrent les aides à la biodiversité, les autres ne voient pas comment commencer." Anne-Catherine Husson-Traore, directrice générale de Novethic, renchérit : "On n’arrive pas à élaborer une pensée globale sur l’environnement. On parvient à mesurer les dégâts économiques du dioxyde de carbone, on a été capable de fixer un prix du COշ, faire des business plans et faire des choix pour en réduire l’impact négatif. Si on parvient à mesurer la perte de la biodiversité, on ne comprend toujours pas ses impacts économiques et financiers."

Notons néanmoins quelques élans notables. L'initiative française Act4Nature, lancée en 2018 par Entreprises pour l’Environnement (EpE), propose une plateforme pour aider les sociétés à créer divers mouvements en faveur de la biodiversité. La société Ecotree vous propose d’acheter des arbres, exploités de manière durable pour préserver la faune et la flore des forêts. Le principe : "Lorsque l'absorption carbone de l’arbre diminue, celui-ci est exploité pour produire du bois d'œuvre et maintenir la séquestration. Tous les bénéfices reviennent aux investisseurs." Ecotree promet une rentabilité de 2 % par an, en fonction de l’absorption de carbone permis par l’arbre acheté. Évoquons encore le principe du "Do not harm" (réduire les potentiels effets négatifs des actions menés par des financements) qui trace progressivement son chemin.

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Des blocages persistants

L'inaction face au recul de la biodiversité coûte cher. À l'échelle mondiale, entre 1997 et 2011, la valeur des services rendus par l’écosystème perdu a été estimée entre 4 000 et 20 000 milliards de dollars par an. Dans son rapport, l’OCDE n’y va pas par quatre chemins : "Il est d'urgent d'accroître fortement les efforts visant à stopper puis inverser le recul de la biodiversité. Sa protection est indispensable à la sécurité alimentaire, à la réduction de la pauvreté et à un développement plus équitable et plus inclusif."

Comment expliquer un tel retard ? Anne-Claire Roux affirme que les financeurs manquent d’indicateurs et de méthodologie : "Les sujets restent techniques. Les financeurs ont besoin d’outils pour saisir les enjeux. Nous devons garder à l’esprit que construire un barrage hydroélectrique sans envisager l’impact pour la faune dans la rivière en question, ça n’est plus possible." Anne-Catherine Husson-Traore souligne que l’on ne sait pas responsabiliser les acteurs ou identifier les produits chimiques néfastes pour la biodiversité : "On évoque des éléments souvent immatériels (qualité de l’eau ou de l’air) et ce qui dégrade la biodiversité n’est pas suffisamment renseigné ni quantifié. Est-ce le créateur de l’agent chimique qui dégrade le sol, l’entreprise qui le commercialise, le producteur qui l’utilise que l’on doit sanctionner et arrêter de financer ?"

Les acteurs s’accordent tous sur la nécessité urgente d’accélérer la préservation de la biodiversité. "La faune, la flore, les insectes, les invertébrés enregistrent des pertes gravissimes et le mouvement va continuer si nous ne nous en préoccupons pas. Notre économie et notre santé dépendent de la biodiversité, nous nous en rendons bien compte avec la crise du coronavirus. Elle nous nourrit, nous permet de produire des médicaments. Nous allons dans le mur. Nous ne pouvons pas s’appuyer sur un modèle sans tenir compte de l’épuisement de ces ressources", avertit Anne-Catherine Husson-Traore. Anne-Claire Roux attend beaucoup des acteurs importants de la finance : "Les grosses entreprises, banques d’envergure, grands pays à l’instar de la Chine doivent mettre tout leur poids dans la bataille pour augmenter la pression et améliorer la visibilité de ce sujet." L’OCDE ajoute : "Outre les financements publics, il faudra mobiliser des financements privés et des obligations, rapidement et à grande échelle, pour réussir à faire évoluer l'action en faveur de la biodiversité."

L’ensemble des acteurs attendent beaucoup de la 15e réunion de la Conférence des Parties pour la Convention sur la diversité biologique. Prévue pour se tenir au mois de mai, elle devrait se dérouler cet automne à Kunming en Chine. Elle représente une occasion fondamentale de faire reculer la diminution de la biodiversité. Le défi : amplifier la préservation, l'utilisation durable et la restauration des écosystèmes.

Comme chaque année depuis 16 ans, Entreprises pour l’Environnement (EpE), LCI (anciennement Metronews) et les sponsors du Prix lancent leur appel à projets pour le Prix Jeunes pour l’Environnement doté de plus de 15 000 €. Cette année, les moins de 30 ans sont invités à formuler des idées concrètes et inédites en répondant à la problématique suivante : "La finance, accélérateur de la transition écologique" ou comment les acteurs financiers peuvent-ils influencer leurs parties prenantes pour accélérer la transition écologique ? Les propositions (innovations dans les produits, services, épargne, sensibilisation des clients particuliers, dialogue actionnarial pour les entreprises…) pourraient stimuler la transition conjointe des acteurs financiers et de leurs parties prenantes. Dépôt des dossiers jusqu’au 15 mars 2021.

Pour plus de précisions, rendez-vous sur le site dédié ou la page Facebook.


Geoffrey LOPES

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