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Énergie : "l'échec abyssal" du 100% renouvelable prouvé par l'exemple ? Gare à cette démonstration trompeuse

Publié le 21 décembre 2022 à 18h10

Source : Sujet TF1 Info

À travers un imposant fil de messages, un internaute déplore "l'échec" d'une stratégie 100% renouvelable menée en Espagne.
L'exemple de l'île d'El Hierro, dans l'archipel des Canaries, incarnerait toutes les limites des "énergies vertes".
Si une partie des éléments avancés sont justes, les conclusions formulées se révèlent pour certaines trompeuses.

Forte d'un très riche patrimoine géologique et naturel, l'île espagnole d'El Hierro, la plus petite des Canaries, est aussi connue pour avoir opéré voilà une petite dizaine d'années un virage vers les énergies renouvelables. À travers un très long fil de 60 messages rassemblés sur Twitter, un internaute est revenu sur cette initiative, visant à aboutir à "une production électrique 100% renouvelable". Si "la presse mondiale a célébré cette tentative au démarrage du projet", glisse-t-il, c'est selon lui "un échec abyssal" aujourd'hui

Une centrale conventionnelle, fonctionnant au diesel, reste toujours en activité, tandis que le coût global du projet est vilipendé. Au bout du compte, "les résultats ont été [...] très loin des attentes", résume l'intéressé, agrémenté d'une série de rapports et de liens divers. Un argumentaire en apparence très convaincant, qui a été relayé plusieurs milliers de fois, mais fait bondir des spécialistes du renouvelable, en raison d'une série de conclusions trompeuses.

Un lieu d'expérimentation idéal... en apparence

Ingénieur spécialisé en photovoltaïque et réseaux, Damien Salel travaille au sein d'une association nommée Hespul, en pointe sur les questions liées aux énergies renouvelables (EnR) et au photovoltaïque en particulier. Il a lu la démonstration postée au sujet du cas El Hierro et a réagi en mettant en lumière une série d'éléments problématiques dans le raisonnement avancé. Il y voit une forme de "désinformation" subtile, quoique sans expertise professionnelle apparente, d'un usager de Twitter dont plusieurs anciens messages sont marqués d'accents climatosceptiques. Ainsi, des éléments "vrais et étayés se retrouvent décontextualisés" au service d'un message orienté et déformant la réalité. 

Plusieurs éléments sont attestés et ne souffrent pas de contestation : le fait par exemple qu'El Hierro ait été présenté entre 2013 et 2014, tant dans les médias que par les autorités locales, comme un territoire allant devenir "la première île au monde alimentée à 100% par des énergies renouvelables". Une décennie ou presque plus tard, il est exact que le résultat escompté n'est pas observé. Les éoliennes installées produisent de l'énergie, c'est exact, mais leur intermittence n'est pas compensée assez efficacement par la station d'énergie par pompage (STEP) qui a été développée en parallèle. Si bien que l'ancienne centrale diesel continue d'assurer une part non négligeable de la production d'électricité.

En revanche, estime Damien Salel, "présenter El Hierro comme un projet symbolique du 100% renouvelable est trompeur", notamment parce que l'île n'a rien d'un prototype idéal. Certes, elle "est très adaptée au photovoltaïque et à l'éolien, et se prête à la mise en place d'une STEP grâce à son relief, mais elle pâtit énormément de son isolement". Le spécialiste souligne qu'en raison de son caractère insulaire, El Hierro n'est pas raccordée à des réseaux d'électricité extérieurs. Or, ce sont justement ces interconnexions qui se révèlent cruciales dans le développement des énergies renouvelables aujourd'hui en Europe. Le raisonnement est assez simple : si les éoliennes portugaises ou allemandes ne tournent pas faute de vent, il est possible de profiter d'un excès de production au même moment ailleurs sur le Vieux Continent. Une circulation de l'énergie réalisée en dépassant le cadre des frontières et qui permet une compensation de "l'intermittence" tant reprochée aux EnR.

Si médias et autorités ont rapidement vanté une île 100% renouvelable, de manière sans doute précipitée ou trop ambitieuse, l'ingénieur souligne que le simple fait de réduire de façon très nette l'usage d'une centrale diesel est déjà un progrès notable. Sans doute "la stratégie adoptée à El Hierro aurait-elle été perfectible", relève Damien Salel, mais se passer au moins en partie d'un système aussi polluant semble difficile à déplorer. A fortiori, ajoute-t-il, en avançant des arguments économiques en partie obsolètes. Une réduction des coûts à considérer de nos jours, d'autant plus lorsque l'on parle d'installations situées sur le continent. Le fait d'installer éoliennes et technologies renouvelables sur une île conduit de façon systématique et logique à un surcoût. 

D'anciens messages aux accents climato-sceptiques

Damien Salel ne dispose d'aucune boule de cristal, mais il incite à la prudence lorsque certains assurent que le 100% renouvelable constitue un horizon irréaliste. Et prend l'exemple de l’Australie méridionale, "où l'on constate bien souvent que l'intégralité de la consommation en électricité est couverte par la production en EnR". Une performance rendue "notamment possible par le très large recours au photovoltaïque chez les particuliers", avec des taux d'équipement record. Pointer du doigt les failles – incontestables – du projet développé sur l'île espagnole ne doit pas à ses yeux décrédibiliser un secteur tout entier, d'autant plus à l'heure où le stockage des EnR se développe. 

En résumé, il est donc trompeur d'affirmer à partir de l'exemple d'El Hierro qu'une stratégie 100% renouvelable sera nécessairement vouée à l'échec. En revanche, on constate bel et bien que dans un tel territoire, qui présente de multiples particularismes, l'objectif affiché des autorités de se passer des énergies fossiles n'a pour l'heure pas été atteint. Ce qui n'a pas empêché d'observer un recul de l'usage de la centrale au fioul préexistante, installée sur l'île.

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Thomas DESZPOT

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