Le mois d'avril est considéré comme étant, pour la première fois depuis près de 15 mois, comme proche des "normales de saison".Pourtant, si on le compare à la moyenne préindustrielle, il a été plutôt chaud.La faute au changement climatique qui bouscule nos repères.
Le débat autour de ce mois d'avril a été tranché par Météo-France : non, la météo n'a pas été maussade et les précipitations pas vraiment plus importantes que la normale. Il a, en réalité, été le premier mois depuis plus d'un an à en être très proche (+0,1°C). Si avril n'aura pas laissé une belle impression, c'est parce que nos repères bougent dans le contexte du changement climatique dû aux activités humaines et que nos "normales de saison" utilisées pour déterminer ce qui est "normal" ou non dans notre environnement actuel sont remises en question. Explications.
Qu'est-ce qu'une "normale de saison" ?
"Une normale de saison, c'est une convention mathématique, une création", explique Christophe Cassou, climatologue et co-auteur du 6ᵉ rapport du Giec à TF1Info. "Elle est définie comme la moyenne des températures sur une période de 30 ans". Introduite durant la seconde moitié du XIXe siècle par l'Organisation météorologique mondiale (OMM), c'est elle qui, à l'échelle de la planète, pose le cadre et les normes qui sont utilisées pour les températures. En 2023, l'organisation se réfère donc à la période 1991/2020 pour déterminer la température moyenne normale.
Celle-ci est révisée tous les 10 ans. La dernière révision ayant été effectuée en 2020, la prochaine aura lieu en 2030 et la normale de saison sera calculée sur la moyenne des températures de la période 2000/2030. Un système également appliqué en France par Météo-France qui établit, elle aussi, des références climatiques, calculées sur 30 ans et mises à jour toutes les décennies pour le pays. Des normales qui "permettent de caractériser le climat sur un lieu donné, pour une période donnée" et qui concernent "toutes les données du climat (température, précipitation, vent, ensoleillement...), mais aussi de nombreux indicateurs illustrant la distribution statistique de ces paramètres : moyenne, quintile, records, nombre de jours au-dessus du seuil...", précise Météo-France.
Pourquoi sont-elles dépassées aujourd'hui ?
Si elles sont une indication, ces "normales" ou "références climatiques" sont toutefois aujourd'hui remises en cause. "Le mot 'normale' est trompeur. Il n'y a pas de normalité, qu'est-ce qu'un climat normal au sens 'habituel' ? Ça n'existe pas, le climat est toujours évolutif", explique Christophe Cassou. "C’est pour ça que nous sommes en train de questionner ce concept de 'normales' qui est pertinent dans un climat qui est stationnaire, mais qui ne l'est pas dans un climat qui change et qui change rapidement", comme c'est le cas aujourd'hui.
Et le climatologue de prendre l'exemple de la France : "Chaque décennie, on prend 0,4°C, ce qui est extrêmement rapide. Sur les 30 dernières années de 'normales' - entre 1990 et 2010 - on a pris 0,8°C". Entre 2011 et 2020, les températures ont même augmenté de +0,6°C, soit la plus forte progression observée depuis 1900. Le cadre n'est donc plus adapté à la réalité des habitants de l'Hexagone dans un climat qui se réchauffe trop rapidement en raison de nos émissions de gaz à effet de serre. "Tout ce qui était adapté à un climat stationnaire, qui date du début du XXe siècle, est aujourd'hui remis en cause par une dérive climatique très forte", indique Christophe Cassou.
Des études sont d'ailleurs en train d'être menées pour mieux adapter le concept de "normales" au bouleversement climatique en cours. Elles se basent sur la mise en place de moyennes climatiques non stationnaires, dans le but de "disposer des références non biaisées pour le climat présent", précise Météo-France. "Nous sommes en train d'étudier un concept que l'on changerait chaque année au lieu d'attendre 10 ans, mais ce sont des problèmes mathématiques complexes à relever", détaille de son côté Christophe Cassou.
Rien de "normal" pour les écosystèmes
Le terme de "normales" pose d'autant plus question qu'il peut également biaiser notre vision du réchauffement des températures. "Avec ce concept de normales, on a l'impression que tout est établi", or ce n'est pas le cas, prévient le climatologue. Ainsi, le mois d'avril 2023 est normal dans un climat qui a intégré le réchauffement des températures, mais qui est trop chaud par rapport à d'autres périodes de référence, comme celle de 1971/2000, avec des températures moyennes supérieures de 1,5°C. "Je suis né dans les années 70. Si je regarde le mois d'avril 2023 que l'on vient de vivre, s'il était survenu durant mon enfance, on aurait parlé d'un mois exceptionnellement chaud. Mais pour quelqu'un qui est né en 2010, le mois d'avril qu'il a vécu est normal", pointe Christophe Cassou.
"Cette différence montre qu'on a une très faible mémoire des climats, évaluée à deux ou trois ans, et c'est pour cela que ces normales qui évoluent sont trompeuses" et peuvent brouiller notre capacité à évaluer l'effet de notre activité sur les écosystèmes qui nous entourent. "C'est important de replacer le concept de 'normales' dans ce contexte, dans le fait que nous, humains, nous avons nos propres perceptions avec l'impression que tout est normal. Par contre, la végétation, les animaux n'ont pas cette perception-là", alerte le co-auteur du 6ᵉ rapport du GIEC.
"Les écosystèmes marins ou terrestres se fichent de savoir si un mois était dans la normale ou non, s'il a été deux ou trois degrés plus chaud ou moins chaud. Ce qui est important pour eux, c'est la valeur de la température brute réelle à laquelle ils peuvent s'adapter", et clairement, aujourd'hui, elles sont trop élevées pour de nombreux organismes. Et Christophe Cassou de prévenir : "Il faut bien se rendre compte qu'aujourd'hui, si pour nous le mois d'avril a été 'normal', il ne l'a pas été du tout pour le vivant et nos écosystèmes".
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