Gaz à effet de serre : de COP en COP... jusqu’au chaos

par Fabrice BONNIFET Fabrice Bonnifet
Publié le 26 octobre 2021 à 17h20, mis à jour le 29 octobre 2021 à 12h01
Gaz à effet de serre : de COP en COP... jusqu’au chaos

Source : istock

ÉDITO - Les dirigeants du monde ont rendez-vous à Glasgow à partir de ce dimanche 31 octobre pour la COP 26 sur le climat. "Sans changement radical de méthode, il y a plus de chance de gagner au loto que de parvenir à enclencher le début du commencement d’une diminution effective de la consommation des énergies fossiles", prévient Fabrice Bonnifet, président du C3D, le Collège des directeurs du développement durable.

Dans une semaine, les États du monde entier se retrouveront à Glasgow pour la COP26, afin de négocier et s'engager plus concrètement pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Et comme depuis la première COP il y a 26 ans, ils échoueront à se mettre d’accord, tout comme ils échoueront l’année prochaine et au-delà. Pour en comprendre les raisons, il suffit d’imaginer une réunion de "co-propriétaires" de près de 200 pays aux intérêts divergents, à qui on demande de voter à l’unanimité des résolutions qui doivent conduire à diminuer de 5 à 6% par an les émissions de gaz à effet de serre planétaires pendant les 60 prochaines années. Sans changement radical de méthode, il y a plus de chance de gagner au loto que de parvenir à enclencher le début du commencement d’une diminution effective de la consommation des énergies fossiles. Les principales raisons de cet échec annoncé méritent d’être précisées. 

Premièrement, nous savons que le système financier qui sous-tend le modèle économique de notre époque requiert un volume de transactions en perpétuelle augmentation pour ne pas s’effondrer. Le fameux PIB. Et nous savons que les émissions de CO2 sont directement corrélées à sa trajectoire haussière, de l’ordre de 3% par an depuis le début de l’ère industrielle. Découpler les émissions de CO2 du PIB est un mythe qui voudrait faire croire que nous pourrions faire croître à l’infini l’économie, tout en faisant décroître for ever le CO2 ! Tous les économistes néoclassiques et les politiques croient dans cette fable dur comme fer ou font semblant pour certains, et ils ont inventé pour tenter de la crédibiliser le concept de croissance verte et de soutenabilité faible qui s’appuie sur le techno-solutionnisme et l’innovation à tous les étages, comme le gaz dans les immeubles Haussmanniens du Paris de la belle époque. Mais malheureusement pour eux les limites planétaires, les lois de la thermodynamique et la biophysique ne sont pas tout à fait de cet avis. 

Prenons par exemple l’acier, extrait du minerai de fer justement, qui est indispensable à la majorité des industries. Continuer à faire croître sa production au rythme actuel conduirait à la multiplier par 100 tous les 135 ans ! Maudite exponentielle. Il y aura-t-il assez de minerai de fer et surtout d’énergie pour l’extraire ? Non. Tous les métaux ou presque ont passé leur pic de production et, avec une demande croissante, la temporalité des stocks restant ne correspond évidemment pas aux volumes prélevés aujourd’hui, mais à ceux actualisés de leur croissance d’extraction, ce qui revient à environ diviser par trois le temps qui reste d’ici leur épuisement. Et pour la plupart d’entre eux, c’est bien dans le siècle en cours que la pénurie s’observera avec des effets collatéraux sur l’économie multipliés d’un facteur X par rapport aux pénuries actuelles de matériaux. Dans ces conditions, continuer à croire à la "voiture volante autonome et connectée" pour tous, ainsi qu’à tant d’autres aberrations irréalistes, relève soit de la folie, soit de l’incompétence.

Tous les États sont globalement d’accord sur le fait qu’il y a un réchauffement climatique, mais unanimement pas d’accord sur le fait de réduire leurs émissions, car cela conduirait tout simplement à les appauvrir avec le raisonnement économique qui domine encore.
Fabrice Bonnifet

La seconde raison de l’échec répété des COP tient dans la géopolitique de l’énergie. L’essentiel des pays producteurs tirent leurs revenus et leur stabilité sociale de la vente de leurs hydrocarbures, et les pays clients ont besoin de ces énergies concentrées pour soutenir leur système de production, c’est-à-dire l’énergie de leurs milliards de machines. Il est amusant de constater que l’Arabie Saoudite, qui vient d’annoncer sans rire sa neutralité carbone pour 2060 en plantant des "milliards d’arbres" (dans le désert ?), reconnait implicitement par cette annonce fantaisiste qu’elle ne peut pas renoncer à l’exploitation de ses réserves fossiles. Elle a donc décidé de les compenser. Au festival du greenwashing d’État, ce pays a toutes ses chances.

Bref, tous les États sont globalement d’accord sur le fait qu’il y a un réchauffement climatique, mais unanimement pas d’accord sur le fait de réduire leurs émissions, car cela conduirait tout simplement à les appauvrir avec le raisonnement économique qui domine encore. Et pour ceux qui rêvent encore à l’utopie du grand remplacement (un terme à la mode) des énergies fossiles par des énergies propres qui représentent à peine 20% du mix mondial, rappelons que sur 18 mois l’augmentation de la production d’énergie fossile dépasse la production annuelle globale d’énergie renouvelable ! A ce jour aucune fraction d’énergie renouvelable ne remplace une fraction d’énergie fossile, les deux continuent de s’empiler joyeusement l’une sur l’autre comme des tranches de cheddar dans un hamburger. Et dire que nous devrions avoir divisé par deux les émissions de CO2 d’ici 2030 pour maintenir l’espoir de rester sous les 1,5°...

La troisième raison de ce futur échec tient dans l’ignorance réelle ou simulée des conséquences des dérèglements climatiques en cours de la part des décideurs politiques et économiques qui sont censés prendre des décisions fortes aujourd’hui, pour protéger le vivant et la jeune génération qui ne leur sera en rien redevable demain. Comme le disait Upton Sinclair : "Il est difficile de faire comprendre quelque chose à quelqu’un lorsque son salaire ou la préservation de son statut social dépend précisément du fait qu'il ne la comprenne pas." C’est finalement le manque de courage des décideurs qui va nous conduire au chaos et rien d’autre, car en réalité les solutions existent pour produire le monde différemment. Mais pour les mettre en œuvre, il faudrait un débat politique à la hauteur des enjeux, des médias plus responsables et surtout plus conscients des drames qui s’annoncent, et enfin des individus aspirants au pouvoir moins amoureux de leur égo que de l’intérêt général et du bien commun.


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