En marge des incendies qui frappe la Gironde, une polémique a émergé mettant en cause les élus écologistes locaux.Ils auraient, lit-on, empêché la mise en place d'aménagements voulus par les pompiers afin de lutter contre les flammes.Des accusations largement trompeuses.
Des décisions politiques ont-elles favorisé le développement des incendies observés actuellement en Gironde ? Sur les réseaux sociaux, des élus écologistes sont pointés du doigt depuis quelques jours. "Des 'écologistes' se félicitaient il y a un an d’avoir empêché les aménagements souhaités par les pompiers pour protéger la forêt de la Teste-de-Buch du feu", a ainsi réagi l'animateur Mac Lesggy, mettant en avant des publications d'élus locaux datant de 2021. Une analyse biaisée de la situation.
Des «écologistes» se félicitaient il y a un an d’avoir empêché les aménagements souhaités par les pompiers 🚒 pour protéger la forêt de la Teste de Buch du 🔥. Aujourd’hui il n’y a plus de 🌳🔥🔥🔥😢 #écologisme https://t.co/9r45kV9vNq — Mac Lesggy (@MacLesggy) July 15, 2022
Quelles sont les particularités de cette "forêt usagère" ?
À la Teste-de Buch, en Gironde, les milliers d'hectares partis en fumée font partie de ce que l'on nomme la "forêt usagère". Des parcelles privées, qui présentent plusieurs particularités : elles sont gérées par des propriétaires (une centaine environ), mais les habitants du secteur disposent de droits sur la forêt, afin notamment d'utiliser à des fins personnelles une partie du bois. Cela fait d'eux des "usagers", d'où le nom de "forêt usagère". Des textes datant du Moyen-Âge encadrent le fonctionnement de l'ensemble. "Cette forêt est régie depuis le XVe siècle par un mode de gestion particulier défini par les 'baillettes et transactions' dont la prééminence sur le droit forestier a été rappelée en 1983 par la Cour de cassation", rappelait l'an passé une sénatrice.
Un plan de gestion à l'origine des tensions ?
Ces dernières années, un propriétaire a souhaité développer une activité d'exploitation forestière sur ses parcelles, similaire à celle des forêts alentours. Pour cela, il a déposé ce que l'on nomme un "plan de gestion" aux autorités. L'intéressé a notamment expliqué que la forêt n'était "plus entretenue depuis les années 1980", suite à la fin de l'exploitation de la résine. Les partisans du projet mettent par exemple en avant une meilleure tenue des parcelles (débroussaillages, etc.), susceptible d'aider à lutter contre la prolifération des flammes en cas d'incendie.
Il s'agit néanmoins d'une remise en cause d'un modèle de gestion séculaire de la forêt, répondent les usagers, opposés à cette évolution, craignant de voir se généraliser une exploitation commerciale de parcelles jusqu'alors préservées.
Que viennent faire les élus écologistes dans ce dossier ?
Une association d'usagers a reçu le soutien d'élus locaux lorsqu'elle s'est élevée contre le plan de gestion déposé. La sénatrice écologiste Monique de Marco s'est par exemple impliquée dans le dossier, souhaitant défendre la forêt et son mode de gestion. Elle a demandé au gouvernement de garantir la protection de la forêt usagère puisqu'il revient en effet aux autorités d'accepter ou non un plan de gestion. Son intervention a été entendue puisqu'il a été suspendu. Une étude a par ailleurs été sollicitée afin de parvenir à "objectiver le cadre juridique opposable aux propriétaires forestiers et aux bénéficiaires du droit d'usage". Une victoire aux yeux des écologistes aquitains.
Victoire ! Grâce à l'intervention de @moniquedemarco au sénat, le gouvernement suspend le plan simple de gestion de la forêt usagère de la Teste de Buch #addufu ! Il s’engage également à mener une mission d’inspection pour protéger le patrimoine forestier et culturel. — Vital Baude (@VitalBaude) July 13, 2021
Les élus écologistes, seuls au front ?
Contrairement à ce que suggèrent les accusations portées en ligne, les élus écologistes n'étaient pas les seuls à défendre le mode de gestion traditionnel de la forêt de la Teste. La députée LaREM du bassin d'Arcachon Sophie Panonacle a également demandé à la ministre de s'opposer au plan de gestion. Le maire de La Teste-de-Buch Patrick Davet, étiqueté à droite, faisait lui aussi partie des élus mobilisés.
Quel rapport avec la lutte contre les feux de forêt ?
L'entretien des parcelles de la forêt usagère n'est logiquement le même que celui réalisés dans les exploitations alentours, à visée commerciales. Ce qui permet, selon le rapport commandé par les autorités, d'observer un "végétation luxuriante", contrairement au "reste du massif landais ou la gestion en futaie régulière de pin maritime n’a pas favorisé le développement" d'une telle diversité.
Si elle présente des richesses, "elle est mal entretenue cette forêt, et c’est l’une des raisons pour lesquelles le feu s’est propagé", a réagi ces derniers jours le maire de La Teste-de-Buch, pourtant défenseur de la forêt usagère. De quoi relancer des débats déjà animés puisqu'en parallèle, les associations d'usagers soulignent qu'à Landiras, où sévit un autre feu, c'est une forêt "cultivée, nettoyée et entretenue" qui s'embrase.
Que préconisent les pompiers ?
Bruno Lafon préside l’Association régionale de défense des forêts contre l’incendie (DFCI Aquitaine), un acteur incontournable dans la prévention des risques liés aux feux. Sollicité par TF1info, il explique que la forêt usagère (qu'il ne remet pas en cause) n'était pas aménagée pour le passage des pompiers. "Il fallait transformer des pistes étroites, afin que les camions puissent s'y croiser", indique-t-il. "En Aquitaine, on préconise six mètres de large", environ le double de ce que l'on observe en moyenne à La Teste.
Ces élargissements des voies, il assure les avoir à de multiples reprises demandés. Sans succès. Face à une situation "totalement bloquée" depuis deux ans faute d'accord avec les syndics d'usagers et de propriétaires, il a fallu un accord de la préfecture pour que soient engagés des aménagements. "Ils ont commencé le 11 juillet", note Bruno Lafon, "mais le 12, le feu se déclenchait". Le président de la DFCI peste contre les longs débats entre acteurs de la forêt usagère. Sur le financement des opérations notamment, anecdotique selon lui, mais qui a engendré des blocages. "On parle seulement de quelques milliers d'euros ! Nous sommes en dessous des 30.000 euros, je vous assure. Et là, avec tous ces hectares partis en fumée, ce sont des millions d’euros de perte", glisse-t-il, dépité.
Que dit le rapport remis aux autorités ?
La sénatrice de Gironde Monique de Marco assure auprès de TF1info n'avoir jamais manifesté d'opposition aux aménagements demandés par les pompiers. Son engagement était avant tout dirigé contre les "forestiers qui souhaitaient profiter de cette forêt", assure-t-elle, faisait référence au plan de gestion rejeté. Ce qui n'empêche pas "des adaptations", reconnaît l'élue, "qui sont d'ailleurs formulées dans le rapport".
Dans les 60 pages du document, on lit effectivement que si "les installations de DFCI (pistes, citernes, puits) paraissent adaptées", les travaux prévus en 2021 pour élargir des pistes et "faciliter le passage des engins du SDIS n’ont pas pu avoir lieu". Et ce, bien qu'ils soient décrits comme "urgents". En cause, des recours formulés par les associations d'usagers, pour que les coupes d'arbres nécessaires soient effectuées "dans le respect des dispositions des baillettes et transactions". Le rapport souligne un "vide juridique" dans ce dossier et appelle de ses vœux les "syndics des usagers et des propriétaires" à "donner un accord pour la réalisation des coupes nécessaires au titre de la DFCI". La forêt usagère, décrite comme un "patrimoine unique sur les plans biologique, sylvicole, juridique et culturel", n'est toutefois pas remise en cause par les auteurs.
Et maintenant ?
Pour éviter de futurs feux de forêts, il apparaît indispensable que la forêt usagère s'adapte. Aménagements pour les camions de pompiers, dispositifs de surveillance et d'action accrus via les Canadair... Mais aussi sans doute en matière de gestion, pour que propriétaires et usagers parviennent à faire avancer les dossiers prioritaires. Le respect des traditions et des très anciennes "baillettes et transactions", ce "n’est pas ce qui doit empêcher d’entretenir la forêt", plaide Bruno Lafon. Mobilisé dans la prévention des incendies, il assure que le feu de Landiras, sur des parcelles très entretenues, n'est pas comparable : "Tous les moyens étaient envoyés à La Teste", lance-t-il, estimant qu'en temps normal, jamais Landiras n'aurait brûlé de la sorte. Lorsque le feu s'est étendu, en revanche, "entretien ou pas, c'est pareil..."
À l'avenir, face à la recrudescence des vagues de chaleur, "il faudra s’adapter", relève-t-il, d'autant que "les feux prennent beaucoup plus vite". Un défi pour les secours autant que pour les habitants, contraints de revoir la gestion d'une forêt qui n'avait que très peu évolué au cours des derniers siècles.
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