Intervention policière et lacrymo : enquête ouverte après la violente dispersion des militants d'Extinction Rebellion à Paris

Publié le 2 juillet 2019 à 6h54
Intervention policière et lacrymo : enquête ouverte après la violente dispersion des militants d'Extinction Rebellion à Paris

BLOCAGE - Quelques centaines de militants écologistes avaient répondu à l'appel du groupe Extinction Rebellion en bloquant un pont dans la capitale ce vendredi 28 juin pour alerter sur l'urgence climatique. Après avoir investi les lieux pendant plus d'une heure, les manifestants ont été évacués par les forces de l'ordre qui ont procédé à deux interpellations. Une enquête préliminaire a été ouverte lundi du chef de "violences volontaires par personne dépositaire de l'autorité publique".

La dispersion violente d'un groupe de militants du mouvement Extinction Rebellion, vendredi 28 juin sur le pont de Sully à Paris, a suscité un vif émoi. Sous une chaleur caniculaire, alors que le mercure atteignait un record historique, des activistes qui comptaient alerter sur "la destruction du monde vivant" organisaient un sit-in avant d’être dispersés à grands renforts de gaz lacrymogènes par les forces de l’ordre. 

"Extinction ! Rébellion!"

L'action se voulait "festive", selon l’événement créé sur Facebook. Initialement prévue sur le pont au Change pour sa connotation "symbolique forte", ce rassemblement s’est finalement déroulé sur  le pont de Sully. Les activistes, 700 inscrits selon les organisateurs, ont d’abord bloqué la circulation sur les trois voies au sud. Grâce à des chaînes humaines, et au cri d’"Extinction ! Rébellion !" ils ont empêché les véhicules de passer, allant à la rencontre des automobilistes parfois énervés, sur le boulevard Saint-Germain, le quai Saint-Bernard et la rue des Fossés-Saint-Bernard. 

Ils ont ensuite empêché le passage sur le pont, grâce à des plots routiers, puis avec un sit-in. Pendant plus de 45 minutes d'après un journaliste de L’Obs présent sur place,  les activistes ont donné au lieu des airs de fêtes.  Dans le ciel bleu flottaient une banderole verte exhortant à ce qu’on "agisse maintenant" et des drapeaux multicolores avec le logo du groupe : un "X" représentant un sablier pour symboliser le temps qui passe inscrit dans un cercle, aussi rond que notre planète. 

Assis à l’ombre, sous un arbre ou sous une tente de fortune pour contrer la chaleur qui atteignait des records, les militants ont tenu bon pendant près d’une heure avant l’arrivée des forces de l’ordre. A chaque extrémité de ce lieu du  5ème arrondissement de Paris, des chaînes humaines, assises sous des parapluies ou cachées par des chapeaux, ont résisté au soleil de plomb et à la police. Cette tactique fait partie des techniques de "désobéissance civile" défendue par Extinction Rebellion.  Ainsi, en se liant les mains et les pieds ou en faisant "le mort", les "rebelles" ont appris à rendre l’action des policiers plus compliquée.

Deux personnes interpellées

Arrivée sur place vers 12h30, les forces de l'ordre ont demandé plusieurs fois aux manifestants de quitter les lieux. Ces "sommations de se disperser étant restées sans effets", selon la préfecture de police, les forces de l'ordre ont décidé de dissiper les militants par la force. Et ce à grands coups de gazeuses lacrymogènes tirées à bout portant sur une foule qui criait "non violent, non violent". Sur les images de plusieurs journalistes sur place, on peut entendre des militants scander : "Policiers, doucement, on fait ça pour nos enfants." 

Enquête confiée à l'IGPN

Un usage de la force décrit par le groupe comme "disproportionné" et qui parait loin des standards d'utilisation préconisés par une note d'instruction de la DGPN de 2004 et qui recommande - notamment - des "jets brefs d'environ une seconde et la limitation du nombre de jets".    

Des éléments de la note d'instruction de l'IGPN sur le site du défenseur des droits
Des éléments de la note d'instruction de l'IGPN sur le site du défenseur des droits

Une journaliste de l’AFP présente lors d’une action similaire du groupe au Royaume-Uni, en avril dernier, a comparé les deux événements. Selon elle, la police londonienne n’avait pas fait usage de gaz lacrymogènes et n’avait pas "traîné au sol" des protestants. Par contre, il y avait eu 290 personnes arrêtées

À Paris, la préfecture de Police nous indique que seules deux personnes ont été interpellées pour "délit d’entrave à la circulation".

Vers 16h, il n’y avait plus que des camions de CRS présents sur le pont, le reste des militants ayant été sortis un par un vers le quai de Béthune. Heure à laquelle de jeunes militants écologistes du mouvement Youth for climate se sont installés devant le palais de l’Elysée. Selon les images du journaliste Remy Buisine, ils étaient une centaine à scander : "Et un, et deux, et trois degrés : c’est un crime contre l‘humanité".  Selon Le Monde, qui cite l'ONG, l’Elysée a proposé une entrevue à huis clos à quelques responsables, "sans possibilité de filmer l’entretien", une proposition refusée par les militants qui finiront par quitter le palais de l'Elysée vers 22h10. 

Des réactions en chaîne

La dispersion violente des militants assis sur le Pont de Sully a suscité une vague d'indignation. Greta Thunberg, la jeune activiste suédoise de 16 qui a lancé le mouvement "Fridays for the future", a interpellé sa communauté via son compte Instagram, en partageant la séquence, en rappelant au passage que la France venait de connaitre un record de température, avec 45.9° : "Ce n'est pas le "nouveau" normal".  C'est juste le début de la démolition et de l'urgence climatiques. Regardez cette vidéo et demandez-vous : qui défend qui ?" La chanteuse britannique Ellie Goulding y répond en écrivant : C'est dégueulasse". L'artiste américain Jason Derulo n'en revient pas : "Surréaliste".

La vidéo tournée par le journaliste indépendant Clément Lanot, qui enregistre plus d'un million de vues sur Twitter, est reprise également par Marion Cotillard. "Sans voix et profondément attristée", l'actrice oscarisée commente le post de Greta Thunberg et le diffuse à son tour et en appelle directement aux autorités françaises. "Cher gouvernement français, pouvez-vous m'expliquer ces images ?", lance-t-elle, utilisant le hashtag "insoutenables". 

La comédienne française redonne encore un peu plus d'écho à cette action de police, puisque le réalisateur québecois Xavier Dolan ou encore l'acteur belge Matthias Schoenaerts commentent la publication. Suite à ce qu'il qualifie de "violences policières", le réalisateur engagé dans la cause gouvernementale Cyril Dion explique avoir refusé d'être nommé chevalier de l'Ordre du mérite. A gauche, le premier secrétaire du PS Olivier Faure a pointé la responsabilité du gouvernement : "Ça ne se passe pas dans une dictature. Ça se passe en France." Et souligné le paradoxe qu'il y a à se présenter en défenseur de l'environnement et d'asperger ainsi ses militants : "Avec un gouvernement qui jure qu'il est un rempart progressiste et qui veut une planète great again".

Du côté du gouvernement, Christophe Castaner a demandé un rapport au préfet de police de Paris. "A la demande du ministre, une inspection technique CRS a été déclenchée et un rapport a été demandé au préfet de police sur les modalités de gestion de cette opération de maintien de l’ordre rendue nécessaire pour rétablir la circulation au coeur de Paris", a déclaré la place Beauvau. Le ministre de l'environnement a reconnu que les images l'avaient surpris : "Quand j’ai vu ça , je me suis posé des questions", a indiqué sur BFM François de Rugy. Pour autant, il dédouane l'action des CRS face à ce qu'il décrit comme "des manifestants très radicaux". 

Lundi 1er juillet, la Garde des sceaux Nicole Belloubet a également jugé les "images très choquantes". Ce même jour, le parquet de Paris a annoncé à LCI l'ouverture d'une enquête préliminaire du chef de "violences volontaires par personne dépositaire de l'autorité publique". Elle a été confiée à l'IGPN.


Felicia SIDERIS

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