ÉDITO - Pourquoi les pays les plus émetteurs de gaz à effet de serre sont-ils aussi ceux qui récoltent le plus de médailles aux JO ? Avec leur débauche de moyens et de pollutions, quelle est encore la raison d'être des Jeux ? Fabrice Bonnifet, président du C3D, le Collège des directeurs du développement durable, nous livre ses réflexions.
C’est parti pour les JO 2021 à Tokyo ! La planète sport va bientôt vivre au rythme des performances de champions survitaminés, dans des stades japonais vides de spectateurs du fait des mesures sanitaires. L’émotion sera-t-elle au rendez-vous ? C’est là toute la question et l’intérêt premier de cette grand-messe sportive.
Sur ce plan justement, les JO se veulent équitables, en permettant à toutes les nations de participer avec chacune leur délégation, et bien sûr leur porte-drapeau. En pratique, si chaque nation peut de facto concourir, la plupart des médailles seront, comme toujours, moissonnées par très peu d’entre elles. Autrement dit, si pour 90% des nations, le but est d’abord de participer, pour les 10% restants c’est surtout de gagner un maximum de médailles, en or si possible, pour affirmer leur "puissance" économique et politique. À noter que pour arriver à cette fin, les moyens utilisés n’ont pas toujours été très conformes à l’éthique, ni très favorables à la santé des athlètes. Certes, la tricherie, depuis la nuit des temps, n’est pas un monopole des JO. Pour réussir dans le sport de haut niveau, comme dans nombre autres domaines, il faut surtout… du pétrole, du gaz et du charbon ! Le talent et le travail arrivent loin derrière.
En effet, lorsqu’on compare le tableau des médailles de la dernière olympiade et la liste des pays les plus émetteurs de gaz à effet de serre, dans les 15 premières places on retrouve, presque dans le même ordre, 13 de ces mêmes pays ! Étonnant ? Pas tant que cela. Pour faire du sport, professionnel ou amateur, il faut pouvoir disposer d’infrastructures, de matériel et d’équipements, d'un suivi médical, de temps pour s’entraîner… et tout cela requiert de l’argent, donc du PIB, donc des énergies fossiles. CQFD.
Alors quoi : les champions olympiques et paralympiques ne sont pas forcément les meilleurs athlètes ? Si, bien sûr ! Les meilleurs parmi ceux qui polluent le plus, mais certainement pas les meilleurs du monde, la pratique du sport en compétition n’échappant pas aux autres inégalités gigantesques de notre époque. Un exemple parmi 1000 : en Afrique, sur l’ensemble du continent, il y a moins de piscines publiques que dans seul un département français ! Compliqué pour s’entrainer, non ?
Ne nous voilons pas la face. La seule raison qui fait perdurer ces grand-messes sportives, ainsi que la multiplication des disciplines, tendent vers un seul objectif : la compétition commerciale, dont vont bénéficier quelques marques.
Fabrice Bonnifet
À l’heure où la planète commence à partir en fumée au sens propre du terme, avec des incendies et des sécheresses, des canicules et des événements météorologiques toujours plus catastrophiques, les seuls vrais records qui vont tomber dans les années à venir ne seront plus sportifs mais climatiques ! Ainsi, vendredi 9 juillet à Furnace Creek (USA), le nouveau record mondial de chaleur a été battu avec 54,4° C… le précédent datait du 16 août 2020. Un podium dont aucun pays ne tirera de fierté.
Dans ce contexte de pré-fin du monde, les JO sont-ils encore un "commerce émotionnel essentiel" ? On peut se poser légitimement la question, tant la débauche de moyens et de pollutions (plastiques, déplacements en avion, infrastructures au poids environnemental disproportionné par rapport à l’usage…) pour un événement si fugace apparaît de plus en plus comme incohérent au regard des priorités socio-environnementales planétaires. Ce "pognon de dingue" ne mériterait-il pas un meilleur usage qu’un héritage patrimonial post-JO, aussi souvent inutile que douloureux pour les finances publiques des pays hôtes ? On va nous rétorquer que l’esprit du sport prime, ainsi que le spectacle, la distraction des spectateurs, la beauté de la performance. Que parler de"limiter" ces spectacles-gabegie revient à brider le bonheur des gens, la liberté d’entreprendre et l’exploit humain. Ne nous voilons pas la face. La seule raison qui fait perdurer ces grand-messes sportives, ainsi que la multiplication des disciplines, tendent vers un seul objectif : la compétition commerciale, dont vont bénéficier quelques marques.
Tous ces constats accablants et implacables ne devraient-ils pas interroger les instances dirigeantes de cette noble institution qu’est le CIO (Comité International Olympique), sur la raison d’être des JO ? À quoi peut bien encore rimer ce nationalisme exacerbé symbolisé par des athlètes instrumentalisés et obligés d’arborer haut leur drapeau après leurs exploits, alors que nous sommes tous sur la même planète des 5 anneaux de l’olympisme ? Les valeurs du sport ne pourraient-elles pas cesser d’être associées à des pratiques et des comportements de consommation souvent délétères pour la santé humaine et/ou la planète, que les vrais sportifs eux-mêmes cautionnent de moins en moins ? L’attitude de l’emblématique CR7 (Ronaldo) pendant la conférence de presse du Portugal lors de l’Euro est à elle seule un cas d’école !
Rêvons un peu. Pourquoi les JO ne deviendraient-ils pas en effet un grand événement inclusif réservé à des disciplines sportives véritablement universelles ? Une grande fête de la jeunesse et de la santé par le sport dans laquelle l’esprit de compétition cohabiterait avec plus de collaboration entre les nations ? Ainsi pourquoi ne pas créer des centres d’entraînement internationaux dans lesquels les athlètes du monde entier s’entraineraient ensemble ? Se pourrait-il que la raison d’être des JO puisse être reconfigurée au service du bien commun ? L’olympisme ne pourrait-il pas promouvoir en même temps que la coopération entre pays, le sujet, universel s’il en est, des limites planétaires, pour expliquer que ces dernières, contrairement au dépassement de soi, ne doivent pas être dépassées ? Ainsi, peut être le CIO pourrait-il réinsuffler du sens à "citius, altius, fortius" : "plus vite, plus haut, plus fort" ? Oui, si on peut lire cette devise comme : "accélérer une transition écologique plus juste, avec des ambitions plus hautes, parce que nous serons plus forts ensemble".
En attendant, regardons avec enthousiasme et espoir les courses de 5000 m et 10 000 m, ainsi que le marathon olympique de Tokyo 2021. Ce sont, de loin, les disciplines sportives les plus low tech et accessibles à tous, où les vainqueurs, femmes et hommes, peuvent revendiquer un leadership véritablement planétaire. Et là, bizarrement, celles et ceux qui gagnent n’appartiennent pas aux pays en tête quant à la moisson escomptée des médailles…
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