Le développement durable est souvent présenté comme un juste équilibre entre trois piliers : l’économique, le social et l’environnement.Le constat de Fabrice Bonifet, président du C3D, le Collège des directeurs du développement durable, est tout autre.Il nous livre son édito.
La Journée internationale de la diversité biologique a eu lieu ce dimanche 22 mai. Saisissons l’occasion de cette noble cause pour rappeler que 6 des 9 limites planétaires* ont d’ores et déjà été dépassées, et que nous nous approchons à grands pas du point de non-retour, ce moment tragique durant lequel notre merveilleuse planète Terre qui nous sert de carrosse vivant se transformera d’une manière irréversible en invivable "citrouille martienne". Explication : 1 million d’espèces végétales et animales sont gravement menacées d’extinction, et les trois quarts de l'environnement terrestre et environ 66 % du milieu marin ont été significativement modifiés par l’action humaine. Les tendances négatives actuelles en ce qui concerne la biodiversité et les écosystèmes devraient compromettre la réalisation de 80% des cibles des 17 objectifs de développement durable des Nations Unies. Quelle naïveté de croire que nous pourrons maintenir la paix sociale en omettant de la relier aux conditions environnementales de la vie.
Et si nous arrêtions de faire semblant de ne pas comprendre ? Longtemps, le développement durable a été gentiment présenté comme un juste équilibre entre 3 piliers : l’économique, le social et l’environnement. Foutaise et imposture totale, cet équilibre n’a jamais fonctionné. Tout le monde est pour le "durable", mais personne n’accepte de payer plus cher, ni de revoir son mode de vie en consentant à tout ralentir pour mieux vivre. Dès que la situation économique se dégrade, le "back to basic" revient au galop et l’environnement et le social continuent d’être la variable d’ajustement de notre cupidité. Un exemple parmi mille : récemment, la puissante société d’investissements BlackRock a averti qu’elle ne soutiendrait pas la plupart des résolutions des actionnaires en faveur du climat, parce qu’elles sont devenues trop extrêmes ou trop prescriptives et ne permettent plus de garantir les intérêts économiques à long terme de ses clients. Venant du plus grand investisseur du monde, jadis bien connu pour encourager vers le "durable" les milliardaires du monde à Davos, cela a le mérite d’être clair dans le cynisme.
Même les achats publics émanant de l’État ou d’institutions publiques, censés montrer l’exemple, privilégient toujours le moins disant au mieux disant environnemental
Fabrice Bonnifet
Reconnaissons que dans 99% des cas, tous les décideurs économiques arbitrent exactement dans le même sens. Même les achats publics émanant de l’État ou d’institutions publiques, censés montrer l’exemple, privilégient toujours le moins disant au mieux disant environnemental, c’est dire l’hypocrisie générale qui domine.
Et nous savons parfaitement pourquoi il en est ainsi : nous tirons de la nature 100% des ressources nécessaires au bon fonctionnement de l’économie et, accessoirement, des produits qui nous nourrissent, tous, sans exception, issus du vivant. Mais, comme dans notre comptabilité nous n’intégrons pas les coûts requis pour la préservation des stocks et la bonne santé des écosystèmes naturels, nous considérons à tort que nous pouvons impunément piller la planète, sans en avoir à supporter les conséquences délétères des externalités négatives. Longtemps, le stratagème qui consiste à préférer le maintien du capital financier au capital naturel a très bien fonctionné, car la résilience et les réserves planétaires étaient importantes. Mais l’anthropocène a réussi "l’exploit" de casser les fragiles équilibres nécessaires aux conditions de vie sur Terre. La planète va donc devoir retrouver un nouveau centre de gravité, qui, pour sûr, va être moins hospitalier pour la plupart des espèces, y compris la nôtre.
En ce moment en Inde, une canicule persistante couvre la quasi-totalité du pays avec des températures enregistrées bien au-delà des 45°C, rendant les conditions de vie de centaines millions de personnes et d’animaux à la limite du supportable. Les observateurs maîtres du déni ont comme toujours rappelé que ce dôme de chaleur était exceptionnel et que la situation normale finira par revenir. En réalité, on ferait mieux de dire que désormais, c’est l’exceptionnel qui est la nouvelle normalité ! L’Inde, c’est loin, attendons les premiers jours de canicule en France pour commencer à nous demander comment ces jours insupportables seront accueillis quand ils deviendront la norme de nos étés.
Trêve de pessimisme : la France va probablement montrer l’exemple avec son nouveau tandem de choc au ministère de la Transition écologique et à celui de la Transition énergétique. Mais pourquoi donc les avoir dissociés, alors que ce sont les résultats du second qui conditionnent pour une grande part les résultats du premier ? En outre, il est plus que probable que ces deux ministères demeurent ceux de l’impossible, tant qu’ils ne piloteront pas celui de l’économie. Rappelons que 100% des arbitrages budgétaires significatifs ont été perdus par les représentants de l’écologie depuis qu’ils participent à des gouvernements. Dès lors, préparons-nous une fois de plus à déplorer que l’économie du court terme l’emporte face à l’urgence climatique et à la protection du vivant, jusqu’à ce que l’on s’aperçoive que l’argent n’est pas comestible. Vivement l’époque où l’objectif économique sera de bâtir un avenir commun à toutes les formes de vie, dans lequel le pouvoir d’achat rimera avec le pouvoir de vivre en harmonie avec la nature.
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