L'éruption limnique, qu'est-ce que cette "bombe à retardement" qui menace la ville de Goma ?

Thibault Nadal
Publié le 27 mai 2021 à 17h07, mis à jour le 28 mai 2021 à 10h32

Source : Sujet TF1 Info

INTERVIEW - Le réveil du volcan Nyiragongo en RDC fait craindre une catastrophe majeure pour les habitants de Goma. C'est autant le magma qui inquiète les experts que les conséquences mortelles suite à la libération de gaz toxiques appelés éruption limnique. Explications avec le volcanologue Ludovic Leduc.

Le réveil du  Nyiragongo, dans l'est de la république démocratique du Congo est déjà une catastrophe. Mais un scénario cauchemar, plus grave encore, inquiète les autorités. Celui d'une coulée de lave sous les eaux du lac Kivu. Un phénomène également appelé "éruption limnique" qui ferait des milliers de victimes dans la ville de Goma. Ce jeudi matin, une partie de l'agglomération de 600.000 habitants a été évacuée dans le chaos. 

Qu'est-ce que ce phénomène ? Et pourquoi est-il si dangereux ? LCI a interrogé le volcanologue Ludovic Leduc, patron d'Objectif Volcans.

Pourquoi parle-t-on d'éruption limnique ? 

Une éruption limnique, c'est différent d'une éruption de lave, et dans le cadre du lac de Kivu, on peut parler de "bombe à retardement". Dans ce lac, il n'y a pas de circulation des eaux entre la surface et le fond, ce qui fait que les gaz restent concentrés dans les profondeurs et on sait que les couches d’eau profondes du Kivu sont riches en gaz carbonique (CO2) et en méthane (CH4), notamment. Une augmentation de température provoquée par un épanchement de lave sur les hauts-fonds du Kivu, ou un fort séisme par exemple pourrait déstabiliser ces eaux profondes et provoquer une brusque libération de CO2 et de CH4. Et ces gaz en grande quantité sont mortels... Le CO2 est inodore, incolore et plus lourd que l'air : il aurait donc tendance à stagner aux abords du lac, comme pour le lac Nyos au Cameroun en 1986, qui avait fait plus de 1700 victimes. 

Quels sont les autres caractéristiques du Nyiragongo ? 

Il y a plusieurs choses. Tout d'abord, le volcan Nyiragongo est un des volcans les plus actifs en Afrique. Sa spécificité, c'est que la lave peut aller très loin du sommet. C'est extrêmement dangereux pour les habitants, pour les routes et les habitations, surtout que la population est grandissante à Goma. Ensuite, on a la preuve depuis quelques jours que le sol de la ville de Goma se soulève un peu, ce qui pourrait indiquer que le magma se propage en profondeur vers le lac Kivu. Une éruption est donc possible, associée à une éruption limnique par exemple. Tous ces risques font que les autorités ont eu raison d'évacuer la ville.  

Nouvelle alerte ce jeudi, les habitants de Goma doivent une nouvelle fois évacuer la ville.
Nouvelle alerte ce jeudi, les habitants de Goma doivent une nouvelle fois évacuer la ville. - AFP

Les effets d'une telle catastrophe auraient-ils pu être mieux anticipés ? 

Pour l'éruption volcanique, c'est difficile à dire. Apparemment, il n'y a pas eu de signes précurseurs d'enregistrés avant cette éruption latérale. Mais les conditions de surveillance du volcan pourraient être largement améliorées, les évacuations mieux prévues. Ce volcan fait partie des plus dangereux au monde, mais il est moins surveillé que les volcans de l'Etna (Italie) ou celui du Piton de la Fournaise à La Réunion. Pour les risques liés aux éruptions limniques, deux systèmes ont été mis en place 

pour évacuer le gaz en continu. Mais le problème, c'est qu'on ne peut pas connaître la quantité de gaz évacué : ça peut être 1% ou 50%. 

À Nyiargongo, le risque d'éruption limnique est quotidien, mais on peut difficilement les anticiper. Il y a un an, pourtant des scientifiques alertaient déjà sur une possible éruption latérale à moyen terme, sans que cela ne soit suivi de mesures particulières. Dans le futur, les risques vont rester équivalents. Le gaz va continuer de s'accumuler dans le lac et des éruptions latérales auront toujours lieu, comme en 1977, en 2002 et maintenant en 2021. 


Thibault Nadal

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