Inscrire la protection de l’environnement dans la Constitution, ça servirait à quoi ?

Publié le 22 juin 2020 à 20h16
Emmanuel Macron lors du 60e anniversaire de la Constitution, le 4 octobre 2018
Emmanuel Macron lors du 60e anniversaire de la Constitution, le 4 octobre 2018 - Source : THOMAS SAMSON / AFP / POOL

CONSTITUTION – Les 150 membres de la Convention pour le climat ont décidé dimanche 21 juin de soumettre à référendum la modification de la Constitution pour y intégrer les notions de protection de l’environnement et de lutte contre le dérèglement climatique. Mais à quoi cela servirait-il, alors que la Charte de l’environnement 2004 a déjà valeur constitutionnelle ?

Dimanche 21 juin, la Convention citoyenne pour le climat a achevé ses travaux de près de neuf mois et a transmis un rapport fort de 149 propositions, destinées à faire baisser les émissions de gaz à effet de serre d’ici dix ans. Ses 150 membres ont décidé à la majorité que trois de leurs propositions pourraient être soumises à la consultation des Français, si Emmanuel Macron venait à donner son feu vert le 29 juin. L’une vise à faire reconnaître le crime d’écocide en droit français, les deux autres portent sur une révision constitutionnelle, qui était d'ailleurs dans les tiroirs de la réforme constitutionnelle voulue par l'exécutif.

En effet, la Convention souhaite modifier la Constitution de 1958. Soit en ajoutant au préambule un alinéa affirmant que "la conciliation des droits, libertés et principes qui en résultent ne saurait compromettre la préservation de l’environnement, patrimoine commun de l’humanité", soit en intégrant à l’article 1er un troisième alinéa : "La République garantit la préservation de la biodiversité, de l'environnement et lutte contre le dérèglement climatique". En d’autres termes, elle veut ainsi consacrer le principe de protection de l’environnement dans la Constitution et "renforcer la responsabilité de la France en matière environnementale". 

Véronique Champeil-Desplats, spécialiste de droit constitutionnel à l’université Paris-Ouest Nanterre et directrice du CREDOF (Centre de recherches et d'études sur les droits fondamentaux), explique à LCI que ces deux options, modification du préambule ou ajout d'un alinéa à l'article 1er, ne font pas de grandes différences : "Tout ce qui est inclus et écrit dans la Constitution a une valeur constitutionnelle".

Une décision forte du Conseil de janvier dernier

La question qui se pose est celle de l’intérêt d’une révision, qu’elle porte sur le préambule ou sur l’un des articles. En effet, le préambule a intégré en 2005 la Charte environnementale de 2004, qui consacre de grands principes environnementaux. Ce texte a donc aujourd’hui une valeur constitutionnelle, reconnue aussi bien par le Conseil constitutionnel que le Conseil d’Etat. Certains de ses principes, tels que celui d’information ou de précaution, peuvent être invoqués devant le Conseil constitutionnel, mais pas la notion de l’environnement comme "patrimoine commun de l’humanité".

De fait, la lutte pour préserver l’environnement est encore faiblement transcrite en droit constitutionnel, comme le détaille Véronique Champeil-Desplats, et les 150 citoyens de la Convention pour le climat auraient ainsi pour objectif de faire évoluer la jurisprudence. En janvier 2020, le Conseil constitutionnel a déjà opéré une avancée en reconnaissant la protection de l’environnement comme "patrimoine commun des êtres humains (qui) constitue un objectif de valeur constitutionnelle", pouvant justifier ainsi des "atteintes à la liberté d’entreprendre". Pour la directrice du CREDOF, cette "reconnaissance symbolique" est "un grand pas puisqu’elle donne à la protection de l’environnement un objectif à valeur constitutionnelle". 

Pas de principe invocable par les citoyens

Sauf que cette reconnaissance comporte des limites, nous explique-t-elle : "En en faisant un objectif à valeur constitutionnelle, le Conseil a réduit la portée possible de cet objectif qui ne peut pas être invoqué par des particuliers, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC)". En effet, les Sages estiment que les objectifs, bien qu’ils comportent une valeur constitutionnelle indéniable, ne sont pas des principes constitutionnels en tant que tels. Et qu’ils ne peuvent donc pas être invoqués par des citoyens pour un contrôle d’une loi a posteriori, mais seulement par le gouvernement ou 60 sénateurs ou députés, dans le cadre d’un contrôle a priori. "Il ne s’agit pas d’un droit ni d’une liberté garantie par la Constitution dans le cadre de l’article 61-1", qui définit la QPC, précise Véronique Champeil-Desplats. 

Et puisque tous les principes contenus dans la charte de 2004 ne peuvent être invoqués comme des principes constitutionnels par les citoyens, voilà tout l’intérêt d’une constitutionnalisation du principe de protection de l'environnement. "Modifier le préambule est une façon de consacrer la décision du Conseil constitutionnel de janvier et d’en élargir la portée", résume la juriste. Une telle révision, si jamais elle venait à être votée lors d’un référendum, revient toutefois en dernière instance au Conseil constitutionnel : "L’interprétation appartient au Conseil, c'est lui qui peut faire évoluer le droit". 

Cependant, il apparaît que la configuration actuelle du Conseil constitutionnel, présidé par Laurent Fabius qui a notamment participé à la COP21 en tant que ministre des Affaires étrangères, se montre sensible aux enjeux environnementaux, comme le démontre sa décision de janvier. Reste à savoir si cela suffira pour acter la constitutionnalisation d’un tel principe. Véronique Champeil-Desplats tempère de son côté : "Ils agissent avec prudence".


Caroline QUEVRAIN

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