Le gel des cultures, "plus grande catastrophe agronomique du 21ᵉ siècle" ?

Publié le 14 avril 2021 à 20h57, mis à jour le 15 avril 2021 à 10h28
L'épisode de gel qui a démarré ce lundi 5 avril est dévastateur pour les cultures agricoles de plusieurs régions françaises
L'épisode de gel qui a démarré ce lundi 5 avril est dévastateur pour les cultures agricoles de plusieurs régions françaises - Source : FABRICE COFFRINI / AFP

PLANÈTE - Le ministre de l'Agriculture a regretté ce lundi que l'événement climatique actuellement traversé par le pays soit en train de provoquer la "plus grande catastrophe agronomique du siècle". Nous avons passé au crible cette affirmation.

Les premiers bourgeons faisaient leur apparition. Ils ont été coupés net dans leur floraison. Alors que le printemps était particulièrement doux en France, une vague de gel s'est abattue sur la France. Les températures devenues quasi estivales ont chuté jusqu'à atteindre parfois -10 °C. Un "événement climatique dramatique", pour reprendre les mots utilisés par le ministre de l'Agriculture. 

Ce lundi 12 avril sur Public Sénat, Julien Denormandie s'est engagé à mettre en place "les aides" pour les agriculteurs afin qu'ils puissent lutter contre la "plus grande catastrophe agronomique de ce début du XXIᵉ siècle". Pourtant, entre inondations et épisodes de sécheresses extrême, les événements climatiques se multiplient ces dernières années. Alors, pourquoi cette fois-ci est-elle inédite ?

Un effet climatique "exceptionnel" mais pas inédit

Le pays traverse effectivement un événement météorologique qualifié d'"exceptionnel" par Météo France. Alors que les Français avaient commencé à sortir leurs tenues légères, une vague de froid a brusquement déferlé sur le pays, les obligeants à retrouver leurs doudounes. D'après Météo France, la température moyenne aura chuté de plus de dix degrés sur le pays en seulement six jours, entre le 1er et le 7 avril. Dans certaines régions, le mercure a même perdu 30 degrés. Un événement d'une "rare intensité", comme l'a décrit Gaëtan Heymes, prévisionniste à l'agence officielle de la météorologie. 

Une situation induite par la rencontre fracassante entre un mois de mars très chaud, suivi d'un début de mois d'avril aux antipodes. Météo France relevait ainsi ce 7 avril qu'au sortir d'une semaine lors de laquelle on a observé des records de chaleur mensuels sur "plus d'un tiers du réseau", "on se retrouve à des niveaux record de froid en avril". Matthieu Sorel, climatologue chez Météo France, a compté quant à lui 172 records de chaleur en mars et déjà 90 records de froid en avril. 

Or, ce changement soudain a un impact sur l'arboriculture et la viticulture. Au même titre qu'un incendie. Comme l'expliquait le ministre, agronome de formation, avec les chaleurs "la plante s’est développée, le bourgeon est devenu fleur, est devenu petit fruit". Et puis, subitement, "dans une nuit", le gel "est venu cramer l'ensemble des dispositifs". 

On peut cependant retrouver des événements similaires dans le passé. Ces changements sont en effet "caractéristiques de la variabilité de la météo printanière". Météo France rappelle que de tels coups de froid ont également marqué les mois de mai 1987, avril 1986, avril 1991 ou encore avril 2003. Seulement, en terme d'étendue et de durer, pour Gaëtan Heymes, seul l'épisode de gel tardif d'avril 1991 est "comparable". Des observations corroborées par Serge Zaka. "Les autres gelées" citées par Météo France "ne cumulaient pas les trois critères", explique à LCI.fr cet expert, engagé sein de l'entreprise ITK (Intelligence Technology Knowledge), qui propose des services connectés pour l'agriculture. 

Les trois principaux facteurs sont au rouge

De fait, comme le souligne ce chercheur en agroclimatologie, au-delà de l'intensité climatique, deux autres points doivent être mis dans la balance. "La surface de l'événement et la phénologie des plantes qui désigne le stade de développement d'une plante", liste Serge Zaka. Or, seules deux autres années rassemblent ces trois voyants au rouge : 1975 et 1991. À l'exception que ces épisodes qui remontent à quelques dizaines d'années ne sont pas arrivés, comme c'est désormais le cas, dans un tel contexte printanier. Ou ne se sont pas étendus sur la même surface. 

Concernant la surface touchée, elle représente 98% de l'Hexagone. Dont les régions les plus sensibles. S'il y a trente ans, le gel tardif avait impacté 90% du pays, dont le sud-ouest et la région d'Agen, il avait épargné la Vallée du Rhône et le Languedoc-Roussillon. "C'est l'une des premières fois où cette zone, où se trouve l'arboriculture et la viticulture", est concernée, note Serge Zaka. Quelques "petits pourcentages de terre" qui font en réalité toute la différence. Météo France relève ainsi que les trois stations du pays plus froides en 2021 qu'en 1991 sont près de cette zone : à Salon de Provence, à Grenoble Saint Geoirs et à Visan. 

Quant au timing, ce gel arrive, comme nous l'avons expliqué précédemment, en pleine période de floraison, provoquée par la douceur de mars. Stade le plus sensible au gel. Si en 1975 l'événement climatique avait, là aussi, touché toutes les zones sensibles du pays, il était à l'époque moins intense. Au nord du pays, les arbres n'avaient pas encore bourgeonné. 

"En 2021, on cumule tout, et tout est plus intense", résume donc l'expert, "c'est vraiment ce qui le distingue des deux autres années". Pour lui, cela ne fait aucun doute, l'événement est bel et bien "unique". Un avis qu'il dit partager avec l'ensemble de la profession, où tous les secteurs se mobilisent d'urgence.

REPORTAGE - 24 heures aux côtés d'un viticulteur de Bourgogne qui lutte contre le gelSource : JT 13h Semaine

Car cette "soufflante qui est passée sur la France", aura des répercussions financières. Déjà en 1991, "la production arboricole avait perdu 30% de ses volumes", rappelle ce scientifique. Ce sera pire cette année. S'il faut encore "attendre quelques semaines" avant d'avoir les chiffres exacts, ce spécialiste estime déjà l'impact de l'événement climatique à "30 à 50% de pertes en arboriculture et en viticulture". Du côté de la Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (FNSEA), on chiffre déjà cette catastrophe à deux milliards d'euros de manque à gagner, rien que pour la viticulture. 

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Devant l’urgence climatique, la crise démocratique, une société aux inégalités croissantes, certains ont décidé de ne pas rester les bras croisés, ils ont un coup d’avance, l’audace de croire qu’ils peuvent apporter leur pierre à l’édifice. Ils sont ce que l’on appelle des Changemakers.


Felicia SIDERIS

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