INONDATIONS - Alors que 19 départements français sont toujours en vigilance orange pour crues, certains spécialistes observent que le cycle crue-sécheresse se répète d'année en année. Les nappes phréatiques seront-elles assez remplies par cet épisode pluvieux ? Une hydrologue nous répond.
Des pluies moyennes mais incessantes depuis le mois de décembre ont rapproché plusieurs cours d'eau du seuil critique de l'inondation. Depuis quelques années, ces crues de l'hiver ne suffisent pas à garantir assez d'eau à notre réseau hydrographique.
Emma Haziza, hydrologue et fondatrice de la structure de recherche Mayane, s'alarme du peu d'attention accordée à ces "signaux faibles", ces phénomènes variés plus difficiles à repérer que les grands cataclysmes mais qui, reliés entre eux, démontrent que l'on a déjà changé d'ère.
Les signaux faibles se transforment en avertissements très concrets
Emma Haziza, hydrologue
A-t-on affaire à des crues exceptionnelles ?
Emma Haziza : Sur certaines zones, comme sur Brest, Dax, ou Paris, on a effectivement affaire à des cumuls assez exceptionnels pour le mois de décembre et janvier cumulés. Paradoxalement, ce ne sont pas de très fortes pluies qui sont tombées, ni des phénomènes de tempête qui, en quelques jours, auraient tout ravagé. Ce sont des pluies continues sur deux mois, c’est-à-dire une anomalie, quelque chose d’exceptionnel.
Les données nous montrent qu’on a une pluviométrie excédentaire. Une crue hivernale plutôt classique, si on en reste là. Par contre, si ces pluies continuent, on pourra discuter à partir de ce week-end sur une évolution du scenario. Pour le moment, cette crue a des contours connus et donc pas le cas d’inondations qui détruisent tout un territoire, qui traversent les rues, comme ce que l’on peut vivre lors d’un épisode méditerranéen par exemple.
Subsistent quelques signaux qui pointent vers une signature exceptionnelle, voire historique. Est-ce que le lien peut être fait tout de suite avec le changement climatique ? C’est trop tôt pour le dire. Sur ces cinq dernières années, ces signaux faibles se transforment en avertissements très concrets. On a des scenarios différents, et à chaque fois complètement atypiques, mais on arrive toujours au même résultat, c’est-à-dire des sécheresses historiques extrêmes. Et on ne peut que faire la corrélation avec le fait que les années 2018, 2019, 2020 sont positionnées en haut du palmarès des plus chaudes jamais enregistrées en France.
Ces hivers pluvieux ne devraient-ils pas nous garantir un remplissage des nappes phréatiques ?
Il y a une corrélation directe entre des phases anticycloniques très marquées en été, avec des vents très secs et surtout une perte directe de pluviométrie potentielle, et d’autre part, des hivers extrêmement pluvieux comme celui que l’on est en train de vivre. L’hiver dernier, on avait rempli les nappes avec un excédent de 30%. Pourtant, chaque année, on a vu venir un phénomène de sécheresse. Quand on l'a observée en 2017, elle s’était terminée fin décembre. Et on a basculé directement de cette sécheresse historique à 3 semaines de pluie sur le bassin parisien. On a alors réalisé que les données sont excédentaires, on a eu un printemps particulièrement orageux et des records historiques du nombre d’éclairs tombés en France, et les nappes se sont rechargées. Mais finalement, le système a basculé dès le mois de juin, qui a été caniculaire.
Des projections inquiétantes viennent d’être publiées, à l’horizon 2100. Elles mettent à jour des bases de données avec une trentaine de scenarios évalués, avec des périodes qui sont analysées, et des taux d’émission de gaz à effet de serre. Mais tout ne va pas se jouer en 2100, car ce qui a déjà été émis ces 30 dernières années est déjà en train d’avoir des effets. C’est le message que j’essaie de faire passer : de toute façon, il faudra s’adapter à ce qu’on a déjà émis. Atténuer les émissions maintenant n'aura des effets que dans 10-20-30 ans. Parce qu’il y a une inertie des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, qui fait que son réchauffement est effectif, et que le climat est complètement modifié.
Notre système est très complexe, nos territoires le sont aussi, donc il y a des interactions qui se déroulent qu’on n’avait pas prévu. Par exemple, le tarissement de certaines nappes : si une nappe est à sec une année, une deuxième, une troisième, elle va avoir ensuite beaucoup plus de mal à se remplir. Il y a beaucoup de phénomènes de ce type qui entrent en jeu, en sachant que la France est une mosaïque, souterraine et superficielle, et complètement différente d’une région à l’autre.
Finalement, comment définir une nappe phréatique ? Un lac gigantesque qu’on aurait sous les pieds ?
C'est parfois le cas, comme les grottes que l'on visite en spéléo, avec des stalactites et des stalagmites. On est là dans des massifs calcaires pouvant contenir des millions de mètres-cubes d’eau, mais qu’on retrouve principalement sur le pourtour méditerranéen. Dans toutes les grandes plaines alluviales, autour de nos grands cours d’eau, l’eau est constituée entre les grains. Une eau très fragile parce que si la nappe n’est pas captive, si elle est à l’air libre, l’évapotranspiration se fera assez rapidement, surtout si on a des milieux racinaires, très "demandeurs" en eau, notamment lors de la reprise végétale. C’est ce qui s’est passé le printemps dernier. Toute notre végétation sort, tout est vert, c’est magnifique. Sauf que cela demande beaucoup d’eau et puise dans les sols. Si vous ajoutez un vent sec - et c’est ce qui s’est passé -, soit un taux d’ensoleillement et des températures au-dessus de la moyenne, vous avez tous les ingrédients pour accélérer l’asséchement.
Si on comprend cela alors on saisit qu’on arrive à un nouveau modèle qui d’ailleurs est anticipé depuis le début des années 2000. Les rapports du GIEC prévoyaient déjà des sécheresses extrêmes. On n’arrivait pas encore à faire la corrélation avec le risque d’inondation. Il n’y a que depuis quelques années que l'on commence à voir le nombre d’épisodes de crues augmenter, et générer des situations plus graves. C’est un faisceau d’indicateurs qu’on a sous les yeux, qui nous montrent tous que le territoire est en train de changer. L’Aquitaine par exemple, touchée actuellement par les crues, avait été arrosée durant tout le printemps, et régulièrement pendant l’été. Alors que l’année d’avant, il n’y avait pas eu une goutte de pluie dans cette zone-là. Ces phénomènes ne sont pas ou peu étudiés. Sur l’hydrologie de la France, il faudrait notamment aller plus loin pour savoir ce qui se passe au niveau de l’effet de continentalité. On maîtrise très mal nos nappes en France, on en sait trop peu sur l’eau contenue dans les sols, et même sur les types et la qualité des sols. Ce sont des choses qui sont en train d’être explorées mais qui jusqu’ici intéressaient peu.
Ce qui me rend positive, c’est qu’on peut faire énormément de choses pour contrebalancer. Si on veut, on peut : la terre est très résiliente. Il suffit de recréer des zones humides, des microsystèmes pour que la nature reprenne ses droits. Mais pour cela, il faut une réflexion à l’échelle globale. Ce qui me désole parfois c’est que le sujet climatique est trusté uniquement par des climatologues, des spécialistes de l’atmosphère. Ils sont essentiels, mais nous on vit sur terre, il faut réfléchir à ce qu’on va faire face au réchauffement qui est déjà acquis pour les 30 prochaines années. Qui seront les victimes ? Comment va-t-on faire avec des températures caniculaires ? Va-t-on revivre des étés 2003, sommes-nous prêts sur le plan sanitaire ? Ce sont les vraies questions à se poser.
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